Choix financiers et politique de service public de la lecture et de la documentation

Marina Weill

« Quels choix financiers pour développer une politique de service public de la lecture et de la documentation ? », tel était le titre du préséminaire du congrès de l'ABF qui s'est déroulé le 28 mai 1999, à la Bibliothèque francophone multimédia (BFM) de Limoges. Comme l’a rappelé Claudine Belayche, présidente de l’ABF, dans sa présentation, cette journée avait pour but de faire le point sur la tarification des adhésions et des services rendus dans les bibliothèques, à l’heure où les nouveaux supports de l’information induisent de nouveaux services dans tous les types de bibliothèques.

Alors que la notion de « service » remplace celle de « fourniture de documents », les bibliothécaires ne doivent-ils pas s’interroger sur la place des bibliothèques dans la société marchande, sur la tarification d’un service public (contrepartie d’un accès, et non pas contribution au coût…) ? Le paiement n’est-il pas un moyen de responsabiliser un usager à la fois client, citoyen et contribuable ? Des villes comme Sélestat (dont un message a été lu à la tribune) et Roanne (dont le maire, Jean Auroux, avait dû renoncer à participer au préséminaire) semblent avoir fait ce choix…

Le pari de Limoges

L’exemple de la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges était particulièrement bien choisi puisque, dès l’ouverture de ce nouveau bâtiment, à l’automne 1998, la municipalité a fait le choix d’offrir à tous les adhérents du réseau de lecture publique de la ville la gratuité de l’inscription et du prêt. Pour Alain Rodet, maire de Limoges, la gratuité n’est pas pour les élus de la ville une leçon donnée aux collectivités locales qui « font payer », mais un pari, une expérience d’incitation à la coresponsabilité face à un bien commun.

Dans sa synthèse sur l’étude des politiques tarifaires en bibliothèques municipales effectuée par un groupe de travail de l’ABF, Jean-Loup Lerebours démontre que les recettes de tarification (inscriptions, prêts, mais aussi indemnités de retard, livres abîmés…) non seulement ne compensent pas les frais de fonctionnement, mais induisent des coûts annexes (frais de timbres, enveloppes, personnel, régie de recette…). Selon lui il faudrait également étudier d’autres paramètres tels que le niveau de vie des habitants de la collectivité locale, les catégories socioprofessionnelles des inscrits, les équipements des bibliothèques municipales en multimédia (et leur coût de maintenance technologique). La Direction des études et de la prospective (DEP) du ministère de la Culture et de la Communication envisage une étude dans ce sens. En réponse à des questions du public sur l’absence d’arguments du bibliothécaire face à une tutelle qui souhaite « créer des recettes », Jean-Loup Lerebours donne l’exemple de la BM de Nîmes qui, en passant à la gratuité, a vu son nombre d’inscrits augmenter considérablement…

Anne Pasquignon, responsable du Service d’orientation des lecteurs à la Bibliothèque nationale de France, a présenté une liste des différents services rendus aux usagers et dressé un catalogue des différentes tarifications pratiquées pour les expositions, les inscriptions en haut- et en rez-de-jardin, mais aussi dans les salles des deux niveaux (grand public et recherche) : photocopies, impressions à partir d’Internet, des cédéroms, des documents numérisés (par exemple, Gallica…), reproductions des ouvrages patrimoniaux…

Comme une entreprise privée

La bibliothèque de l’université de technologie de Compiègne (UTC), avec son statut d’autonomie financière et son personnel contractuel, pratique des tarifications et assure des prestations spécifiques adaptées aux différents types de publics qu’elle dessert : étudiants, enseignants ou entreprises. Annie Bertrand, directeur de l’établissement, reconnaît que la gestion de sa bibliothèque s’inspire largement de celle d’une entreprise privée avec une pratique de l’analyse des coûts pour la fixation des tarifs et, dans un avenir proche, une véritable évaluation, par l’UTC, des performances des services rendus.

Marc Guichard, directeur du développement de l’INIST (Institut de l'information scientifique et technique), évoque les nouvelles missions de cet établissement : induites par le développement des nouvelles technologies, elles s’orientent davantage vers la satisfaction de l’utilisateur final. Une filiale de commercialisation des produits a été créée récemment qui a pour objectif de couvrir au maximum le budget de l’institution par de nouvelles recettes, la subvention du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) ayant tendance à décroître… Si, en France, dans le cadre du PEB (prêt entre bibliothèques), les remises sont identiques pour tous les organismes rattachés au domaine public, les tarifications varient pour les entreprises commerciales : documentalistes d’entreprises privées, médecins d’hôpitaux…

Avec le développement d’Internet, les demandes électroniques de documents dépassent les demandes classiques, mais les négociations avec les éditeurs ou les autres « opérateurs » privés (par exemple, Elsevier) restent difficiles : l’accès au texte primaire en ligne risque en effet de détruire le système économique de l’abonnement.

Les bibliothèques allemandes

Peter Borchardt, directeur de la bibliothèque publique et centrale de Berlin, est intervenu sur le développement des services payants dans les bibliothèques allemandes. En Allemagne, l’accès gratuit à l’information n’est devenu un principe de la politique culturelle que vers la fin des années 60. En revanche, dans les années 80, la crise économique et le chômage ont réintroduit les services payants, surtout dans les bibliothèques de lecture publique. À l’heure actuelle, en Allemagne, pour le public comme pour la profession, il est devenu normal de « payer »… Le tarif moyen d’une carte de lecteur est de 65 à 100 FF.

Une gestion financière plus souple qu'en France permet aux bibliothèques de garder le surplus de revenus et de l’utiliser pour la création ou l’amélioration de ses services (prêt payant de vidéocassettes, de best-sellers pour financer des achats de nouveautés…). À noter également que certaines villes travaillent de plus en plus fréquemment en coopération avec une centrale d’achats de livres, disques compacts, vidéocassettes, cédéroms : EKZ (Einkaufszentrale für Öffentliche Bibliotheken). Cette centrale fournit une certaine quantité de documents aux bibliothèques contractantes qui les prêtent à leur public selon une tarification spéciale qui permet ensuite de racheter de nouveaux documents. EKZ supporte seul le risque que les sommes perçues par la bibliothèque ne permettent pas de faire d’autres achats.

Grâce à l’hospitalité d’Alain Duperrier, directeur de la BFM, et de son équipe, cette journée s’est terminée par une visite approfondie des différents espaces de la nouvelle bibliothèque de Limoges conçue par l’architecte Pierre Riboulet.