Revue de la Bibliothèque nationale de France
1, janvier 1999
En faisant paraître, au printemps 1976, le premier numéro du Bulletin de la Bibliothèque nationale, l'administrateur général Georges Le Rider entendait doter l'institution d'une revue qui lui permît de « donner des informations sur le contenu et l'accroissement de ses collections en même temps que sur les diverses formes de son activité ».
Les sommaires des fascicules sortis des presses jusqu'en 1981, date à laquelle le Bulletin se mua en Revue de la Bibliothèque nationale, rappellent combien cette publication tirait son originalité d'un enracinement permanent dans l'étude des fonds de l'établissement, la présentation des pièces maîtresses qui en assurent la réputation, voire l'analyse de problèmes tels que la conservation ou la restauration des oeuvres auxquels d'autres bibliothèques se trouvent elles aussi confrontées.
Mais, au fil des années, le contenu du périodique s'était transformé. L'orientation prise, signe peut-être d'une crise d'identité, conduisit à une perte indéniable de sa spécificité, la part d'études strictement universitaires étant devenue prépondérante, au détriment des contributions bibliologiques ou bibliothéconomiques qu'on se plaisait à trouver dans ce trimestriel.
Retour aux sources
Interrompue après le quatrième fascicule de 1994, la parution de la Revue de la Bibliothèque nationale de France reprend en 1999, sous une forme rénovée qui fait figure d'un retour aux sources bienvenu. Le président de la BnF l'affirme du reste sans ambages : il s'agit désormais d'« articuler plus étroitement le contenu [...] avec les collections, ouvrir la réflexion sur l'avenir du livre et des bibliothèques ».
Le numéro inaugural de la nouvelle série, consacré au thème des acquisitions, illustre avec éloquence le parti retenu par l'équipe éditoriale ou, pour reprendre un mot que revendique Thierry Grillet, le « manifeste » qu'elle entend mettre en uvre. Bien que chargée de connotations politiques ou littéraires, cette notion doit d'abord être entendue à la manière des juristes, pour lesquels le manifeste constitue « la liste des marchandises transportées dans un vaisseau » Et l'attention du lecteur se trouve ainsi attirée, dans le cas présent, sur des « biens récemment "embarqués" dans le fonds de la Bibliothèque » Mais traiter des acquisitions ne consiste pas seulement à placer en exergue tel fonds précieux ou tel monument de l'enluminure. Il s'avère aussi nécessaire, aux yeux du rédacteur en chef, de traduire « un certain nombre de préoccupations autour desquelles peut se rassembler la communauté scientifique ».
Une politique claire et ferme
Dans la passe difficile que traversent aujourd'hui beaucoup d'établissements et le premier d'entre eux ne fait pas exception..., la définition d'une politique d'acquisition claire et ferme apparaît comme une condition sine qua non de leur bon fonctionnement.
Catherine Petit et Valérie Tesnières montrent quelle place centrale occupe la réflexion sur la nature, les enjeux et les modalités des accroissements dans la théorie et la pratique professionnelles et de quelle manière étroite l'orientation, voire la vocation même d'une bibliothèque, en dépendent. Ainsi, par exemple, les auteurs ne cachent pas que les acquisitions à titre gracieux ou onéreux de la Bibliothèque nationale ont longtemps reposé sur le seul dépôt légal et se sont limitées, pour les achats d'oeuvres étrangères, à d'insuffisants échantillonnages dans le secteur des humanités.
Dès lors, pour la BnF, deux défis doivent aujourd'hui être relevés : il importe d'abord de « renouer avec une vocation encyclopédique », en renforçant les domaines scientifiques longtemps négligés, « sans pour autant tomber dans le piège d'une tentation d'exhaustivité impossible à tenir » Seconde ambition : « l'élargissement du lectorat » Celui-ci passe par une « offre documentaire » adaptée, consistant à « traiter de tous sujets, de toutes questions de façon documentée et synthétique pour des usagers diversifiés » Alors que la BnF se trouve dans l'il du cyclone, confrontée aux graves difficultés que l'on sait, la conclusion de Catherine Petit et Valérie Tesnières paraîtra rassurante : « Une bibliothèque ne doit jamais oublier qu'elle est jugée d'abord et avant tout sur l'ensemble de ses collections ».
Les neuf contributions suivantes, livrées dans un ordre inversement chronologique qui mène le lecteur du XXe au XIIIe siècle, de Sacha Guitry à Isaac ben Joseph de Corbeil, forment en réalité moins une illustration de la politique d'acquisition de la BnF qu'une présentation détaillée, d'ailleurs souvent passionnante, d'enrichissements intervenus dans des domaines très variés lors des dernières années, tous représentatifs de la diversité tant matérielle qu'intellectuelle des collections précieuses de l'institution, ainsi que de la spécificité des départements qui la composent.
Des mots et des notes
Ouvrant le ban, Noëlle Guibert met l'accent sur la richesse du fonds Guitry dont les pièces hétérogènes apparaissent comme autant d'illustrations « des diverses facettes du travail de Guitry, de sa vie théâtrale et personnelle » De son côté, Noëlle Giret s'attache à La merveilleuse histoire de sept perles fines, un film du même écrivain, étudié à la lumière des documents conservés au Département des arts du spectacle.
Les chercheurs intéressés par Max Jacob découvriront au Département des manuscrits une part non négligeable de l'abondante production du poète, lequel « aurait peint 900 gouaches et écrit quelque 20 000 lettres et peut-être 14 000 Méditations entre 1909 et 1944 » Valentine Weiss brosse l'historique du fonds rassemblé par Didier Gompel ; elle détaille les acquisitions que ce cousin de Jacob entreprit « à un moment où l'on se désintéressait » de lui et analyse les échanges de correspondance que de tels achats ont pu susciter.
Spécialiste reconnu au plan international de l'oeuvre de Claude Debussy, François Lesure étudie les Nocturnes du compositeur, partition qui, pour l'ancien directeur du Département de la musique, signe « la rupture de la tradition symphonique » Le manuscrit original est entré dernièrement dans les collections ; « n'ayant servi ni à la gravure ni à l'exécution, [il] est l'un des plus soignés et des mieux préservés que l'on conserve de [Debussy] ».
Le Maroc de Delacroix
Le Département des estampes, quant à lui, peut s'enorgueillir de posséder désormais un exceptionnel manuscrit inédit d'Eugène Delacroix, acheté à Caen en 1987 et dont on ignorait l'existence jusqu'à ce qu'il fût mis en vente. Il se rapporte au voyage que le peintre effectua au Maroc en 1832 ; séjour durant lequel, « ivre de saveurs, de parfums et d'images, Delacroix ne cessa d'écrire et de dessiner » Le document nouvellement acquis, soulignent Laure Beaumont-Maillet et Barthélemy Jobert, « est d'un intérêt inestimable : il apporte beaucoup à la connaissance de l'artiste ».
La réunion d'un ensemble de globes dans le cadre de l'exposition « Couleurs de la terre » donne l'occasion à Monique Pelletier de revenir sur des objets qui, partagés entre institutions de lecture et musées, étaient à la fois « les instruments privilégiés de l'éducation géographique et servaient à l'ornement des bibliothèques et cabinets d'étude » Soulignant « qu'il reste beaucoup à faire pour mieux connaître les collections françaises, les mettre en valeur et les rendre accessibles », l'auteur examine les perspectives ouvertes dans les domaines de la préservation, de la restauration ou encore de la numérisation.
Deux études ont pour objet des pièces appartenant à la division orientale du Département des manuscrits. La première contribution, signée Francis Richard, porte sur Le livre des rois du sultan de Kaboul (XVe siècle), poème épique « que tout prince de culture persane se devait de posséder en un ou plusieurs exemplaires » La seconde, due à Michel Garel, concerne deux textes de droit rabbinique composés à la fin du XIIIe siècle et conservés dans « une copie rare » du milieu du XIVe. Mentionnons enfin l'article de Nicole Reynaud sur le livre d'heures du chancelier Guillaume Jouvenel des Ursins, « un manuscrit jusqu'alors inconnu et d'un intérêt patrimonial évident », en raison notamment de la stature de son possesseur et du décor héraldique d'une exceptionnelle importance ornant les marges de l'ouvrage.
Il reste à souligner, pour conclure, que la maquette rajeunie de la Revue offre un intéressant compromis entre l'austérité des publications savantes et la présentation plus avenante des magazines sur papier glacé : format plus petit, illustrations en noir et blanc et en couleurs (trop peu nombreuses, toutefois et réunies en cahier, sur fond noir, au début du fascicule), mise en pages sur deux colonnes, notes présentées en marge...
Le sommaire des quatre prochains numéros, pour les années 1999 et 2000, est prometteur : les dossiers porteront en effet sur « le livre annoté », « littérature et musique », « la chronologie », « archives, patrimoine et spectacle vivant » La Revue de la Bibliothèque nationale de France devrait donc retrouver sa place dans toutes les (bonnes) salles de périodiques.