Le local et le global dans la législation sur les bibliothèques
Dominique Arot
Une conférence internationale, intitulée « Le local et le global dans la législation sur les bibliothèques : cadre législatif national dans les systèmes fédéraux et régionaux », s'est tenue les 29 et 30 avril 1999 dans les locaux du siège central du Goethe Institut à Munich à l'initiative du Conseil de l'Europe. Elle faisait suite à la conférence « Bibliothèques et démocratie » organisée à Strasbourg en novembre 1998. De tels travaux prennent bien sûr un intérêt évident pour tout observateur français, compte tenu des projets de l'heure.
L'ensemble des travaux a pris appui sur un « projet de recommandation pour une législation sur les bibliothèques en Europe », organisé autour de quatre points essentiels : liberté d'opinion et libre accès à l'information ; les bibliothèques dans le contexte d'une politique nationale du livre et de l'information ; les bibliothèques comme intermédiaire actif dans la chaîne du livre et de l'information ; la protection du patrimoine conservé dans les bibliothèques 1.
Un cadre de réflexion et d'action
L'objectif du texte présenté à Munich est de fournir ainsi un cadre de réflexion et d'action aux pays qui veulent construire, ou reconstruire, une législation nationale pour leurs bibliothèques (en particulier, les pays d'Europe centrale et orientale), mais aussi de rendre plus facile l'harmonisation des différentes législations nationales existantes dans une perspective européenne qui prendrait acte du caractère de moins en moins borné géographiquement de la diffusion de l'information.
La conférence de Munich, comme son titre l'évoquait, s'est efforcée de mettre l'accent sur les problèmes spécifiques rencontrés par les pays de structure fédérale conduits à faire évoluer leur législation nationale en tenant compte du poids politique et des décisions des différentes régions.
Michael Naumann, le nouveau ministre allemand de la culture, a ouvert cette conférence en soulignant que les bibliothèques allemandes, fréquentées par plus d'un cinquième de la population, formaient en quelque sorte « la matière première de la nation » (Rohstoff) et que leurs moyens financiers devaient être impérativement préservés, quel que soit le niveau des difficultés budgétaires des différentes collectivités. Selon lui, les législations en Europe devraient tout à la fois faire d'Internet un espace dans lequel le droit est respecté et garantir l'accès gratuit des bibliothèques à un grand nombre de sources d'information, car la « commercialisation » croissante de l'information scientifique risquerait d'entraver irrémédiablement l'accès au savoir. Il concluait en insistant sur le devoir des politiques dans la défense de cet accès démocratique à l'information.
Giuseppe Vitiello rappelait ensuite l'esprit dans lequel ce cadre de recommandations du Conseil de l'Europe avait été élaboré. Ce projet de cadre législatif (qui doit être considéré comme un legal instrument) s'efforce de tenir compte de la convergence de plus en plus grande entre les différents types de bibliothèques (« passer de points de vue catégoriels à des points de vue fonctionnels »), mais aussi des relations loyales qui devraient se développer entre le secteur commercial et le secteur non commercial du livre, l'objectif d'une loi sur les bibliothèques étant de répondre aux besoins des citoyens, en particulier dans le domaine de l'alphabétisation et de la formation continue des adultes. Il importe aussi que la loi puisse apporter des réponses à un ensemble de questions qui ne sont pas toutes nouvelles : autonomie des établissements, privatisation, liberté et gratuité d'accès, développement d'activités commerciales par des organismes à but non lucratif, conséquences des guerres et des catastrophes sur le patrimoine.
Situations européennes
Faisant le point sur la situation législative en Allemagne, Harald Müller soulignait l'absence d'une loi unique sur les bibliothèques, mais l'existence, comme dans de nombreux pays (dont la France), de textes législatifs dispersés régissant l'activité des bibliothèques allemandes : lois sur la Deutsche Bibliothek, sur le droit d'auteur, sur le dépôt légal, sur la protection de la jeunesse, sur l'organisation des budgets, etc. Il rappelait qu'avait existé en République démocratique allemande une loi sur les bibliothèques.
L'exemple espagnol, présenté par Victoriano Colodron, illustrait parfaitement la problématique de ces deux journées. L'Espagne se trouve effectivement partagée entre le local (des identités régionales fortes dont témoignent l'existence d'une réglementation en Catalogne et la préparation d'une autre en Andalousie) et le global (un cadre législatif national insuffisant et une fonction de Bibliothèque nationale répartie entre plusieurs établissements).
Tim Owen, qui représentait la Library and Information Commission britannique, tout en mettant l'accent sur la longue tradition législative de son pays (le premier Public Library Act date de 1850), insistait sur la nécessité d'adapter la législation existante aux nécessités nouvelles introduites par les nouveaux modes de stockage et de transmission de l'information. Objectif compliqué par les difficultés budgétaires actuelles. Pour mener à bien cette rénovation législative, le cadre proposé par le Conseil de l'Europe lui semble bien adapté.
Son collègue écossais, Robert Craig, démontrait, quant à lui, l'importance de situer tout projet législatif concernant les bibliothèques dans une stratégie nationale de l'information.
Une partie de la conférence s'est fort opportunément attachée à montrer comment les bibliothèques nationales, mais aussi les divers réseaux bibliographiques et de fourniture et d'échanges d'information (nationaux et régionaux) permettaient la réalisation concrète des objectifs législatifs, mais postulaient aussi l'existence de cadres législatifs et contractuels.
Ute Schwens et Kai Walter ont rappelé à partir de l'expérience de la Deutsche Bibliothek et de ses trois sites (Francfort, Leipzig et Berlin) le rôle bibliographique central de toute bibliothèque nationale. Pour continuer à mener à bien cette mission, l'Allemagne songe à réactualiser la loi de 1969 sur la Deutsche Bibliothek, afin que la conservation sur le long terme des documents sous forme électronique puisse y être incluse.
Uwe Rosemann, en commentant l'évolution des systèmes de fourniture de documents en Allemagne, indiquait qu'elle reposait sur une longue tradition, le prêt entre bibliothèques étant pratiqué en Prusse dès 1893. Entre 1997 et 1999, les projets SUBITO ont permis d'expérimenter des formes nouvelles de circulation des documents toutes fondées sur la loi sur le droit d'auteur (le paragraphe 53 de l'« Urheberrecht Gesetz ») et prévoyant les paiements correspondants pour le prêt des ouvrages, les photocopies et le paiement de la taxe sur les photocopieurs et les scanners. Selon les chiffres de 1997 donnés par l'orateur, le droit de prêt aurait rapporté environ 61 MF, les droits de photocopies 25 MF et la taxe sur les photocopieurs autour de 150 MF. Les problèmes ne semblent pas pour autant tous réglés, un procès opposant depuis 1995 le Börsenverein (équivalent du Syndicat national de l'édition français) aux bibliothèques.
En présentant le Servizio bibliotecario nazionale italien qui regroupe 818 bibliothèques autour de 37 nœuds locaux, Giovanna Merola a indiqué l'importance quantitative d'un tel projet (4 millions de notices ; 7,5 millions de localisations ; 40 000 connexions par jour), mais aussi son enjeu politique. À travers le répertoire des bibliothèques italiennes qui sert de base à cette réalisation (sur un modèle qui évoque notre futur CCFr-Catalogue collectif de France), les différentes bibliothèques et les collectivités qui en ont la tutelle prennent conscience d'appartenir à un réseau national qu'il faut réguler et réglementer par la loi.
Un socle indispensable
Tous les orateurs ont insisté sur un point : les bibliothécaires doivent exercer leur influence sur les lois qui les concernent. Cette activité de lobbying peut prendre des formes variées. Dans tous les cas, elle s'appuie sur l'indiscutable popularité des bibliothèques publiques dans les différents pays.
Autre point d'accord : la loi, si elle constitue un socle indispensable du développement des bibliothèques, ne prend de sens qu'accompagnée des moyens humains et financiers propres à sa mise en œuvre.
Trois points importants n'ont pas, ou peu, été abordés au cours de cette conférence et feront sans doute l'objet de travaux ultérieurs :
– la réticence des élus locaux à se voir imposer, au travers d'une loi, des principes contraignants vécus comme une remise en cause de compétences déjà acquises, surtout si la loi n'est pas accompagnée, ou de manière insuffisante, de mesures budgétaires permettant d'en respecter les exigences ;
– la notion de sanction : en cas de non-respect des principes législatifs, de quels moyens dispose le législateur pour contraindre les collectivités contrevenantes ?
– enfin, la notion de contrôle et d'évaluation : de quels outils peuvent se doter les pays pour mesurer l'application effective de la loi ? A ce titre, un bilan des dispositifs d'inspection dans les différents pays européens serait sans doute porteur d'informations intéressantes.
Giuseppe Vitiello concluait ces deux journées en constatant que construire une législation était une entreprise difficile, mais nécessaire et en évoquant l'équilibre à trouver entre dispositifs législatifs et négociations contractuelles. Car si l'Europe a su créer des principes de fonctionnement communs en matière d'économie, une harmonisation des diverses réglementations en matière de bibliothèques reste en grande partie à inventer.