Le marché de la réinformatisation des bibliothèques

Marc Maisonneuve

En 1998, le marché de l’informatisation des bibliothèques a connu une croissance exceptionnelle de 40 % avec un montant de 260 millions de francs (MF) contre 185 MF en 1997. C’est dans le secteur des bibliothèques municipales et des bibliothèques spécialisées, principaux moteurs de cette croissance, que s’observent les plus fortes progressions. L’autre facteur de croissance est le développement des projets de réinformatisation.

Un contrat sur deux correspond à une réinformatisation

Le graphique n° 1 (cf. page suivante) présente l’évolution du nombre de contrats signés par les sociétés commerciales avec les bibliothèques. Il distingue les premiers équipements des réinformatisations 1. Il ne prend pas en compte la vente des produits effectuée par le CRDP (Centre régional de documentation pédagogique) Poitou-Charentes (le progiciel BCDI) ou par l’Unesco (Cds Isis).

En 1998, les réinformatisations représentent 46 % du total des contrats, contre un peu moins de 40 % en 1997 et 26 % en 1996. Tout laisse penser que le montant total de ces contrats dépasse maintenant très largement celui des premières informatisations. En effet, la réinformatisation revient généralement plus cher que le premier équipement puisqu’il faut payer les services de reprise de fichiers. A tel point que le coût standard des offres évolue vers une égale importance des trois postes de dépense : un tiers pour le matériel, un tiers pour le progiciel et un tiers pour les services.

L’autre facteur qui nous conduit à penser que la réinformatisation dépasse très largement en valeur le montant des premiers équipements, c’est qu’elle concerne aujourd’hui des bibliothèques plus grandes que la moyenne. Ce sont en effet les établissements informatisés à la fin des années 1980 qui sont aujourd’hui en cours de rééquipement. A l’époque, les petites bibliothèques n’étaient pas encore équipées. Aujourd’hui, en revanche, elles investissent massivement dans leurs premiers systèmes informatiques. Ainsi, sur la période 1996-1998, on compte plus de deux cents références pour Microbib, plus de cent pour Quick Book et à peu près autant pour Paprika. En résumé, les petites bibliothèques sont en train de s’équiper, alors que les moyennes ou les grandes engagent leur deuxième ou parfois leur troisième informatisation.

Les contrats de réinformatisation

Le nombre de contrats de réinformatisation double tous les ans. Ce rythme ne durera certainement pas longtemps, car ni les bibliothèques ni les fournisseurs ne pourraient suivre. L’analyse des contrats de réinformatisation montre que les produits remplacés le sont parfois à l’occasion de la disparition d’une société (194 migrations Diderot de la défunte Polyphot), du rachat d’une société, de l’abandon d’un logiciel spécifique qui ne passerait certainement pas l’an 2000 (trente-six contrats), de l’obsolescence des progiciels (version DOS de plusieurs produits, Iris, Libs100, Glis, Tobias…), ou parfois de l’abandon d’un outil bureautique (une dizaine de cas). Un grand nombre de migrations semble s’effectuer à l’instigation du fournisseur, dans le cadre de la commercialisation d’une nouvelle version du progiciel. C’est ce que nous appelons les migrations internes.

Deux bibliothèques sur trois qui se réinformatisent choisissent de continuer avec le même fournisseur. La même proportion s’observait en 1997. Plusieurs fournisseurs parviennent extrêmement bien à fidéliser leurs clients : c’est le cas de GB Concept (plus de cent vingt migrations d’Alexandrie sur la période 1996-1998), de Borgeaud Informatique (44 passages sur Win Biblix), de EOS International (plus de 94 migrations de Card Datalog sur GLAS), de RII Diffusion (47 passages sous Liber Média), ou d’Opsys (79 contrats pour le passage sur Opsys V8.10 ou V8.20).

Les migrations externes

Si les bibliothèques qui effectuent des migrations internes le font parfois sous la pression ou les encouragements de leurs fournisseurs, ce n’est pas du tout le cas de celles qui s’engagent dans une migration externe. En effet, la récupération des fichiers demande un minimum de préparation et de réflexion. Mieux vaut établir un cahier des charges dans les règles de l’art si l’on veut obtenir un engagement de résultats en la matière et ce dans le cadre d’un forfait.

Ces migrations externes sont généralement la conséquence de trois facteurs. Le cas le plus fréquent est l’obsolescence du matériel serveur. Un autre cas, moins rare qu’il n’y paraît, est l’impossibilité du progiciel à passer le cap de l’an 2000. Dernière cause déclenchant ces migrations externes, la construction d’une bibliothèque. En effet, celle-ci suppose de telles extensions informatiques qu’elle impose le plus souvent la remise en concurrence des fournisseurs. Ces trois causes principales ne sont pas exclusives et, dans bien des cas, elles se combinent.

Lors des réinformatisations, de plus en plus souvent, les bibliothèques vont devoir remettre en concurrence leurs fournisseurs, même si elles n’ont pas envie d’en changer. C’est en tout cas ce qui s’impose aux bibliothèques du secteur public soumises aux règles du Code des marchés publics. En effet, celui-ci impose une remise en concurrence systématique, sauf cas explicitement prévu (cf. articles 104-II et 308). Les cas recensés aboutissent à limiter le recours à une migration interne, sans mise en concurrence, « lorsque les besoins ne peuvent être satisfaits que par une prestation qui, à cause des nécessités […] d’investissements préalables importants […], ne peut être confiée qu’à un entrepreneur ou un fournisseur déterminé ». Cela peut justifier des négociations de gré à gré, sans mise en concurrence, lorsque le système à remplacer ou à étoffer a été acquis il y a moins de cinq ans. Au-delà, il sera jugé amorti et rien ne saurait justifier l’absence de remise en concurrence. Contrairement à une idée largement répandue, le montant de l’achat n’est pas un critère du Code des marchés publics pour apprécier l’opportunité d’une mise en concurrence. Le montant de l’opération (et non celui de l’achat) ne détermine que le choix du mode de consultation (appel d’offres, procédure négociée) et les règles d’appel public à la concurrence. Comme les élus semblent échaudés et craindre de plus en plus la justice administrative, il va devenir très délicat de s’abstenir d’une remise en concurrence.

Sociétés de services et suivi des projets

Les fournisseurs vont montrer un intérêt de plus en plus marqué pour les projets de réinformatisation, car celle-ci représente en valeur plus de la moitié du marché. Par contre, un rééquipement augmente très considérablement la charge de l’intervention, ne serait-ce que pour effectuer la reprise des données. Le développement du marché de rééquipement va donc contraindre les sociétés à embaucher et à professionnaliser leurs services. Car celles-ci n’ont pas le droit à l’erreur : une impasse dans la reprise des fichiers peut conduire à l’interruption du service public pendant plusieurs semaines. Ces réorganisations devraient aboutir à une plus grande qualité des prestations et à une plus grande rigueur des contrats. Elles peuvent également, au moindre retournement du marché, fragiliser considérablement la trésorerie des sociétés et aboutir, après disparition des plus vulnérables d’entre elles, à une concentration de l’offre.

Les bibliothécaires doivent donc être très vigilants. Lors du choix d’un nouveau système, ils doivent accorder une attention particulière aux perspectives de développement des fournisseurs en étudiant ce que le Code des marchés publics appelle les garanties professionnelles et financières. Lors de l’exécution du marché, les bibliothécaires devront certainement assumer une charge de gestion de projet de plus en plus lourde. Au-delà de l’organisation de la reprise des fichiers qui n’est pas une mince affaire, les bibliothécaires devront faire face à des sociétés de mieux en mieux structurées et de plus en plus conscientes de leurs droits et de leurs obligations. La relation de confiance qui avait pu s’instaurer lors du premier équipement se transformera très certainement en des échanges peut-être moins faciles, mais certainement plus rigoureux et plus professionnels.

Tout cela suppose une plus grande disponibilité du bibliothécaire chef de projet, mais c’est à cette condition que la bibliothèque pourra limiter les risques d’interruption du service ou de manque de qualité dans la reprise des données.

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Graphique n°1. Évolution de la proportion des contrats de réinformatisation

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Graphiqeu n°2. Évolution de la part des projets ayant donné lieu à un changement de fournisseur

  1. (retour)↑  Ces chiffres sont extraits des études de marché publiées par Livres Hebdo : « Le marché de l’informatisation des bibliothèques en 1999 », à paraître dans Livres Hebdo ; « Le marché de l’informatisation des bibliothèques en 1998 », Livres Hebdo, n° 301, 21 août 1998, p. 79-85 ; « Informatisation des bibliothèques : étude du marché français 1997 », Livres Hebdo, n° 259, 5 septembre 1997, p. 69-76.