Editorial

Bertrand Calenge

Le succès social des bibliothèques ne menace-t-il pas l'illusoire unité du concept même de bibliothèque ? On peut se le demander à voir les tensions multiples qui déforment ou transforment la nature des collections, des services, des lieux où s'exerce l'activité de ces institutions. Qu'une bibliothèque comme la BPI déménage pour quelques mois à une centaine de mètres de sa précédente implantation, et c'est un nouveau public qui apporte ses nouvelles exigences. Qu'apparaissent des accès électroniques aux côtés des documents imprimés, et c'est l'économie du lectorat et des services qui s'en trouve bouleversée. La plasticité de la bibliothèque est l'image des tensions et mouvements qui agitent la société. Deux thèses de doctorat récentes s'en font l'écho : Alain Gleyze démontre la permanence séculaire des tensions entre la bibliothèque universitaire affirmée par l'État et les bibliothèques des facultés à l'activité continue ; Anne-Marie Bertrand souligne le rôle de la bibliothèque municipale physique comme objet d'investissements croisés de la part du politique, de l'urbanisme, du culturel, de l'éducatif.

Pourtant, la bibliothèque n'est pas une auberge espagnole ni un navire ballotté par les tempêtes de la société. A mesure que les bouleversements se multiplient, les bibliothécaires travaillent à donner du sens à ces tensions diverses. Construire des catalogues collectifs, ménager des accès différenciés, élaborer des outils de gestion, modéliser des services nouveaux, penser la formation des utilisateurs, tout est mis en uvre pour tenter de poser les bases d'un système simple, adaptable, mais cohérent avec son environnement.

La multiplicité de ces actions d'adaptation rend cruciale une double question : en quoi la bibliothèque agit-elle sur cet environnement et n'est-elle pas seulement le fruit passif de pressions diverses ? Où se situe la capacité d'action autonome du bibliothécaire dans ce contexte ? Il n'est pas anodin que ces questions, qui renvoient au statut de la bibliothèque comme au métier de bibliothécaire, se développent aujourd'hui dans des directions aussi ambitieuses que la déontologie par exemple. Car, somme toute, c'est la capacité de la société à produire et maintenir pour ses membres des lieux de connaissance partagée qui est ainsi questionnée, et non seulement l'utilité de l'existence de réservoirs d'information.