Usagers ou clients ?

Écoute, marketing et qualité dans les services publics

par Aline Girard-Billon

Bertrand de Quatrebarbes

préf. de Claude Gruson. 2e éd. rev. et augm. Paris : Éd. d'Organisation, 1998. 392 p. ; 24 cm. (Service public). ISBN 2-7081-2189-8. 230 F

Plusieurs sondages réalisés entre 1989 et 1996 apportent des informations éclairantes sur la représentation que les Français ont du service public et de ses agents. Le service public a une image positive pour 63 % des Français, mais, en 1996, ils sont 68 % à dire qu'une réforme de l'État et des services publics est urgente (44 %) ou très urgente (24 %).

Les aspects positifs des services publics portent sur la compétence (69 %), les reproches sur le manque d'efficacité, de dynamisme, de capacité d'innovation. 59 % estiment que les services publics sont « déficitaires » et 44 % qu'ils sont « mal gérés ». Plus d'un Français sur deux pense que le service public ne traite pas les usagers de façon égalitaire, que ses efforts sont insuffisants en matière d'information, d'accueil, d'adaptation à la demande.

C'est par ce constat contrasté qui induirait à lui seul la nécessité du changement pour le service public que Bertrand de Quatrebarbes introduit son livre. La réorganisation politique et économique mondiale et l'évolution de la société française rendent encore plus impérative et urgente une mutation que le service public aurait pu retarder si elle avait été engendrée par des motivations exclusivement fonctionnelles. Le service public est aujourd'hui au cur de tous les enjeux.

Une nécessaire adaptation

Les problèmes à résoudre sont nombreux : comment adapter les prestations aux besoins, en améliorer le niveau et la diffusion, modifier le comportement des fonctionnaires et des usagers dans un monde où les services publics sont de plus en plus en concurrence, concurrence entre l'intérêt général et l'intérêt privé, les différents budgets de l'État, la mise en oeuvre publique et privée des missions publiques ?

L'auteur pose d'emblée que les services publics ont des missions spécifiques, une responsabilité et une position originale : ils sont au service de l'intérêt général ce qui les distingue fondamentalement de l'entreprise privée même si celle-ci est au service de l'État et se développent autour de principes fondamentaux (égalité, neutralité, continuité) et de principes d'action (transparence et responsabilité, simplicité et accessibilité, participation et adaptation, confiance et fiabilité) 1.

Cela ne doit pas les empêcher de faire appel, dans la conception et la diffusion de leurs prestations, à des méthodes de gestion : formation à l'accueil, enquêtes d'opinions, marketing, qualité, ceci d'autant plus que leurs activités, effectifs et besoins sont en nette croissance, dans des domaines aussi variés que l'éducation, les transports, les hôpitaux ou les équipements culturels et que le modèle de l'entreprise est devenu dominant. La prééminence de ce modèle est un des facteurs qui rendent indispensable la transformation des services publics, non pas pour qu'ils fassent leur l'ensemble des valeurs de l'entreprise et se soumettent à la loi exclusive du marché un service public n'a pas pour objet d'être bénéficiaire, mais pour qu'ils intègrent des facteurs essentiels de changement et soient en mesure de répondre à la demande des usagers habitués à de nouveaux modes de fonctionnement, fondés sur un lien direct entre l'action et les résultats de cette action.

Les apports du marketing et de la qualité

Dans ce contexte, les apports du marketing et de la qualité sont évidents. Le marketing, comme la qualité, est d'abord un état d'esprit qui place l'usager au centre des préoccupations de l'organisation. C'est lui qui en justifie l'existence. Les politiques de l'État comme celles des collectivités ne peuvent se concevoir sans destinataires. Les démarches et les outils des approches marketing et qualité contribuent de façon intéressante à la prise en compte des publics, puisqu'ils valorisent l'usager et proposent des méthodes opérationnelles au-delà des politiques de communication ou d'accueil.

Il faut cependant clarifier préalablement certains points essentiels : la demande institutionnelle et les enjeux de celle-ci, les missions, valeurs, objectifs et la stratégie globale de l'institution, ses compétences, ses activités et prestations, les destinataires de celles-ci, son niveau de perception de la dynamique sociale. Cette étape franchie, il convient d'approfondir la connaissance du public par la définition de son statut (citoyen, contribuable, usager, utilisateur, consommateur, bénéficiaire, destinataire, client ?), et de ses besoins et attentes par le biais de l'écoute, de l'observation directe et de la recherche d'information. Il faut aussi que l'organisme public connaisse et comprenne le marché au sein duquel il évolue, même s'il doit veiller à prendre ses distances par rapport aux lois de celui-ci.

C'est alors seulement qu'il pourra définir son offre de service, réorienter sa relation avec le public, communiquer sur les prestations, les promouvoir, et s'il en ressent le besoin, entamer une démarche qualité.

L'implication des acteurs

Dès le début de la réflexion, l'organisme aura pris soin d'associer l'ensemble des personnels à la problématique : agents en contact avec le public, personnel d'encadrement, services de gestion (personnel, comptabilité), responsables des services d'accueil et de relations publiques, représentants du personnel, dirigeants. Il prendra soin de les impliquer à tous les niveaux et toutes les phases du projet et de solliciter leur adhésion en faisant apparaître les enjeux fondamentaux de la démarche pour l'organisation dans son ensemble. Tous sont des partenaires dans les actions engagées, même si les exigences attendues de chacun sont très différentes.

Un manque de prise en compte des attentes du personnel, une incompréhension ou une différence d'appréciation des enjeux et des orientations du service, un changement mal conduit dans les habitudes et les rôles, un manque d'accompagnement social conduisent à l'échec et la prise en compte des usagers risque d'être un vu pieux, une affaire de mode. La réussite repose sur la définition d'objectifs communs et d'axes d'action clairs pour chacun : amener les usagers au centre des préoccupations de l'organisme, associer le personnel à l'écoute des publics, à la définition, au suivi et à l'amélioration des prestations, et inciter chacun à prendre ses responsabilités.

Des exemples nombreux

Bertrand de Quatrebarbes ne se contente pas de faire la synthèse de théories désormais reconnues. Il cite de nombreux exemples et témoignages, qui éclairent la démarche décrite et l'on constate que les organismes qui s'appliquent à prendre en compte les attentes de leurs publics et à faire coïncider qualité administrative et qualité de service relèvent aussi bien de l'État que des collectivités territoriales : l'Imprimerie nationale, le ministère de l'Équipement, la Banque de France, le conseil régional de la région Centre, la RATP, la Poste, EDF, plusieurs hôpitaux, et diverses mairies. L'on constate également que la réflexion est jusqu'à présent essentiellement le fait de services publics dont les usagers sont des « clients ».

Les bibliothèques, leur mission et leurs publics

Qu'en est-il des équipements culturels ? L'exemple du Centre Georges-Pompidou n'éclaire en rien la problématique propre aux services publics culturels, et en particulier celle des bibliothèques. Jusqu'à quel point la prise en compte des attentes du public existant (et du public potentiel) est-elle compatible avec la mission des bibliothèques ? La plupart des professionnels s'accordent à dire qu'il faut tout mettre en oeuvre pour répondre aux besoins des publics... à condition que ceux-ci ne soient pas contradictoires ou incompatibles avec les objectifs du service public « bibliothèque ».

Leur prudence relève bien évidemment d'une conscience forte de la mission spécifique de la bibliothèque dans l'environnement culturel, social et éducatif, mais aussi, disons-le, d'une difficulté certaine à mettre précisément en rapport mission de l'institution et modalités d'utilisation (présente et future) par les usagers. « Mesurer si les missions ont été remplies, cela suppose que ces missions aient été définies ».

Thierry Giappiconi pointe du doigt la difficulté du problème 2, relevée par tous ceux qui s'intéressent à l'évaluation et à la mesure des performances dans les bibliothèques. Se poser la question de savoir si les usagers sont satisfaits, si la bibliothèque répond à leurs attentes, amène directement à : satisfaits par rapport à quoi ? L'offre existante, ou même l'offre programmée, est-elle le critère par rapport auquel il convient de juger ? Toute démarche d'évaluation, d'évolution de l'offre, de marketing, de qualité, passe par une définition préalable, sans ambiguïté, des missions de l'organisme. De nombreux services publics d'État et territoriaux ont dépassé cette première étape. Les bibliothèques l'amorcent à peine. C'est la raison pour laquelle la culture de l'évaluation est encore très peu répandue chez elles, même si elle entre aujourd'hui dans les faits 3, la raison pour laquelle également les démarches de contrôle de gestion qui intègrent la bibliothèque sont parfois mal vécues par les professionnels.

Le livre de Bertrand de Quatrebarbes ne peut qu'intéresser les bibliothécaires, car ils ne doivent plus prendre le risque aujourd'hui de rester à l'écart d'une évolution générale des services publics. Cette évolution, dont les conséquences positives sont appréciées par les usagers, s'imposera de toute façon à eux. Il vaut donc mieux anticiper que subir, si l'on ne veut pas que soient imposés, par défaut, au service public « bibliothèque » des missions et des outils de gestion et d'évaluation inappropriés 4.