Les bibliothèques françaises au seuil du XXIe siècle

Annie Le Saux

Le 11 mars 1999, l'Association des conservateurs de bibliothèques réunissait, à Paris, des représentants des instances officielles autour de thèmes qui font l'actualité des bibliothèques.

La Bibliothèque nationale de France

A tout seigneur tout honneur, le privilège d'entamer la séance revint à la Bibliothèque nationale de France. Tout avait pourtant bien commencé : le déménagement s'était admirablement bien déroulé, en avance même sur le calendrier et aucune perte ne fut à déplorer. Jean-Pierre Angremy reconnut que le langage optimiste qui précéda l'ouverture du rez-de-jardin était prématuré. Cependant, selon lui, les problèmes rencontrés, dont le point culminant fut le « mardi noir » 13 octobre, qui suivit l'ouverture du rez-de-jardin, ne se distinguent guère de ceux auxquels sont confrontées des institutions similaires. Il aurait été étonnant que la British Library et la grève à laquelle cet établissement a dû également faire face ne soient pas mentionnées. Elles le furent.

Jean-Pierre Angremy fit ensuite le point sur l'état actuel de la bibliothèque virtuelle et sur l’orientation du programme de numérisation vers une mise sur Internet. Ce programme a évolué d'une numérisation de textes à une numérisation d'ensembles cohérents à partir de collections de la BnF et des pôles associés sur des thèmes comme les Voyages en France ou les Utopies. Imprimés, périodiques, manuscrits, cartes et plans devraient ainsi aboutir à la constitution de petits corpus 1.

Laissant le soin aux deux directeurs de la bibliothèque, Jacqueline Sanson et Daniel Renoult, de détailler les questions relatives au réaménagement des collections et au développement du système informatique, le président de la BnF conclut sur les extensions que les collections spécialisées du site Richelieu devraient connaître.

Réaménagement des collections

La comparaison avec la British Library était décidément bien tentante. Amenées toutes deux à réaménager leurs collections dans un nouveau bâtiment, La British Library et la BnF se distinguent sur plusieurs points :

– le bâtiment de la BL est compact, celui de la BnF est dispersé entre quatre tours (et l'on connaît les nombreuses critiques sur ce point) ;

– les collections de la BL se répartissent en deux pôles : humanités et sciences, à la BnF les collections se partagent entre quatre départements thématiques ;

– la BL est restée bibliothèque de recherche ouverte aux étudiants et aux chercheurs, la BnF concentre deux bibliothèques en une : une de recherche et une d'étude.

Cette différence d'organisation est capitale : la dispersion et le double niveau de la BnF, s'ils en font l'originalité, sont aussi la source de bien des difficultés. De même que l'organisation, différente de celle de Richelieu, ne s’est pas faite sans heurts. Les périodiques, par exemple, regroupés à Richelieu dans un seul et même département, ont dû être répartis, titre à titre, dans les quatre départements de Tolbiac.

L’organisation des salles de lecture en deux niveaux n’est pas non plus chose simple et le public, notamment les étudiants, ne l’accepte pas toujours. Dans l’avenir, une clarification de la politique liée au public sera indispensable. Un public qui vient à la bibliothèque : ils sont plus de 1 000 par jour à fréquenter le rez-de-jardin et environ 2 000 documents leur sont communiqués, signale Daniel Renoult, qui fait remarquer qu’il y a plus de lecteurs qu’à Richelieu, mais moins de documents communiqués.

Une question sur le taux de rotation des lecteurs par rapport au nombre de places amena une mise au point intéressante sur les places du rez-de-jardin : 2 000, tel est le chiffre toujours fièrement énoncé aux médias. En fait, précisa Jacqueline Sanson, sur ces 2 000 places, il faut soustraire certaines d’entre elles non ouvertes au public actuellement : les 350 places des salles réservées à des groupes sont converties pour l’instant en salles de formation, les salles situées dans les loges ne sont elles non plus pas ouvertes. Ce qui ramène le chiffre de 2 000 à 1 200, qui se répartissent en places pour la lecture des imprimés (environ 900), pour la lecture des microformes, pour l’audiovisuel, pour les handicapés visuels… Cette complexité de fonctionnement explique les problèmes de saturation.

Les catalogues collectifs

L’état présent et les développements à venir du catalogue collectif de France furent ensuite dépeints. Les 6 214 919 notices actuellement dans le catalogue, qui placent la BnF, souligne Daniel Renoult, au troisième rang mondial des bases de données bibliographiques, devraient atteindre le chiffre de plus de 7 800 000 notices en novembre prochain. L’objectif est de fusionner les données des ouvrages en libre accès et celles des ouvrages patrimoniaux afin d’aboutir à une seule et unique interrogation. A partir d’avril 1999, il sera possible de croiser l’ensemble des index, et des liens hypertexte se feront automatiquement, sans qu’il y ait à lancer de nouvelles interrogations. En avril également il est prévu de mettre le catalogue sur Internet. De même est-il prévu que les chercheurs puissent, au cours du dernier trimestre 1999, réserver leur place par Internet. Mais la prudence reste désormais de mise.

La politique des catalogues collectifs n’est pas l’apanage de la seule BnF. Dans les années 80, au ministère de l’Éducation nationale il était question du CCN PS, de la base Téléthèses, des réservoirs SIBIL, OCLC et BN Opale, ainsi que du Pancatalogue. Au début des années 90, un schéma directeur était lancé qui a débouché sur le Système universitaire qui se met actuellement en place 2. Les principes qui ont été à la base de la conception du SU sont : l’unification de catalogues différents (monographies, thèses, publications en séries…), des catalogues gérés par des fichiers d’autorité, une continuité d’identification et de commande, et un allégement du travail de catalogage et de signalement. C’est un outil irremplaçable d’aide à la politique documentaire et à l’élimination, affirme Claude Jolly, sous-directeur des bibliothèques et de la documentation, et, selon lui, l’apparition des nouveaux moyens d’accès à l’information bibliographique ne rend en rien caducs les catalogues collectifs existants, mais en assure la complémentarité. Simplement, ils appellent à un développement de la formation à la recherche d’informations et aux différents outils bibliographiques.

A côté de ces catalogues collectifs généraux se développent des répertoires spécifiques : le Répertoire des manuscrits littéraires français et celui des Services et ressources des arts du spectacle, le Catalogue collectif des livres illustrés, le Catalogue régional des incunables…

Le plan U3M

Ceux qui attendaient des scoops sur le programme U3M ont été déçus. Le dossier est encore au stade de l’analyse des besoins et seules les grandes lignes ont pu être présentées par Claude Jolly. Les différents stades de l’intégration des bibliothèques dans l’université furent cités, à savoir le décret de 1985 – critiqué en son temps et actuellement incontestable –, les effets positifs du rapport Miquel, dont une croissance de moyens passant de 85 MF à 535 MF, et le programme U 2000, étapes importantes, mais auxquelles il manque, comme l’a regretté Denis Pallier, inspecteur général des bibliothèques, une évaluation, indispensable à la veille du nouveau programme.

Le contexte d’U3M est différent de celui d’U 2000 : l’accroissement continu du nombre d’étudiants a cessé et l’on assiste désormais à une érosion de la démographie étudiante. De plus, ce n’est plus seulement un plan de construction qui est à l’étude, mais de réhabilitation de locaux et de mise en sécurité : des bâtiments flexibles, en libre accès, dans lesquels une large place sera faite aux nouvelles technologies.

Des données chiffrées n’ont pu être annoncées, même si certains chiffres ont déjà circulé : environ 10 milliards de francs seraient destinés à la vie universitaire, chapitre dans lequel s’incluent toujours, curieusement, les bibliothèques.

Des questions furent posées sur la situation des bibliothèques parisiennes, délaissées dans les plans précédents. Il est prévu qu’U3M leur fasse une meilleure part. Mais des choix fondamentaux restent à faire. Des craintes se sont élevées que les avatars de Jussieu n’aient une incidence négative sur les autres bibliothèques parisiennes.

Gestion des personnels

Le thème leitmotiv de chaque rencontre fut évidemment abordé : celui des horaires d’ouverture. Si l’on n’atteint pas les 60 heures préconisées dans le rapport Miquel, la moyenne en 1999 devrait être de 54 h 15. Ce qui n’est pas si mal quand on connaît la complexité de certaines situations : celles des bibliothèques multisites, pour ne parler que d’elles.

Difficile de comparer ces horaires à ceux des bibliothèques municipales, qui sont des services des collectivités territoriales et dépendent donc de ces dernières. La moyenne y est de 30 h par semaine. Mais il ne faut pas, note avec justesse Jean-Claude Van Dam, de la Direction du livre et de la lecture, limiter l’évaluation des services rendus par ce type d’établissement à leur seule ouverture, qui s’adapte aux besoins et aux disponibilités des lecteurs.

Pour l’Éducation nationale, il fut aussi question de projets de déconcentration des mouvements du personnel de bibliothèques, à l’exemple de celui du personnel enseignant. Deux chantiers sont en cours : celui de la mise en place de commissions paritaires d’établissement et celui de la déconcentration de la gestion des personnels administratifs (ITARF). En ce qui concerne le personnel de bibliothèques, son petit nombre et sa gestion interministérielle en rendent complexe une éventuelle déconcentration.

Sylvie Luneau, de la Direction des personnels administratifs, techniques et d’encadrement, a aussi évoqué les travaux d’amélioration en cours dans la gestion des personnels : un accent particulier mis sur la catégorie C, une refonte de la catégorie B, une recherche d’une meilleure adéquation entre le poste et la personne, des fiches sur profils, une recherche de solution à la déperdition de moyens occasionnée par les rompus de temps partiel…

Enfin, on apprit qu’une circulaire sur les emplois-jeunes dans l’enseignement supérieur devrait bientôt sortir et qu’aucune décision gouvernementale n’était pour l’instant prise concernant le sujet épineux des 35 heures.

Le droit de prêt

La journée a pris fin avec l’intervention de Jean-Claude Van Dam sur le dossier du droit de prêt. Après avoir rappelé les grandes lignes du rapport Borzeix, il a fait part du souhait de Catherine Trautmann de voir les professionnels dégager eux-mêmes des pistes de réflexion à partir de certains accords qui semblent établis :

– sur le fait que les auteurs doivent être rémunérés ;

– sur la possibilité de déroger au droit exclusif de l’auteur et d’accepter un système de licence légale ;

– sur l’établissement d’un tarif forfaitaire.

Mais des désaccords subsistent sur les sources de ce financement : si les éditeurs et les auteurs sont pour que les usagers paient ce droit, ce n’est absolument pas l’avis des bibliothécaires. Il n’est pas non plus décidé quelles catégories d’usagers exempter. Le ministère de la Culture et de la Communication envisage plusieurs scénarios : un tarif forfaitaire par usager inscrit, un tarif de prêt payé dès l’achat du document…

Cette journée a permis d’aborder de nombreux sujets en tête des préoccupations des professionnels des bibliothèques, même si elle était un peu prématurée pour que des réponses précises soient apportées.

  1. (retour)↑  En juin dernier, la BnF avait organisé, en collaboration avec la New York Public Library un colloque sur l'état des lieux des grands projets numérisés (cf. le compte rendu de ces journées dans le BBF, 1998, n° 5, p. 108-110). En juin prochain un colloque sur le même thème et avec les mêmes partenaires se déroulera à New York.
  2. (retour)↑  Les sept sites pilotes du SU, dans lesquels le système sera mis en œuvre fin janvier 2000, sont : Grenoble 2 et 3, Le Mans, Lille 3, Lyon 2, Nice, Perpignan, Rennes 2.