Offre et usages des cédéroms en bibliothèque jeunesse

La médiathèque des enfants de la cité des sciences et de l'industrie

Georgia Leguem

Les bibliothèques sont de plus en plus sollicitées pour élargir leur offre au document multimédia, en l'occurrence le cédérom. Elles doivent permettre à tous de découvrir ce support et s'interrogent sur la place et le rôle de ce support, surtout quand leur public est à dominante jeune. Après une présentation de l'édition électronique pour enfants (fiction, documentaire, jeu, scolaire), cet article propose des pistes de réflexion sur l'usage des supports électroniques à la médiathèque des enfants de la Cité des sciences et de l'industrie.

Libraries are increasingly required to enlarge their holdings of multimedia documents, in the form of CD-ROMs. They must allow everyone the opportunity to discover this resource and ask themselves about the role and the place of this support, above all when their clients are predominantly young. After a presentation of electronic publishing for young children (fiction, factual works, games, scholarly documents), this article offers some tracks for reflection on the use of electronic supports at the children's médiathèque de la Cité des sciences et de l'industrie, in Paris.

Die Bibliotheken sind mehr und mehr gefordert, ihr Multimediaangebot, insbesondere das der CD-Roms zu erweitern. Sie sollen allen die Möglichkeit zur Entdeckung dieser Datenträger bieten, vor allem wenn ihr Publikum mehrheitlich aus Jugendlichen besteht. Nach einer Vorstellung des elektronischen Verlagswesens für Kinder (Erzählungen, Dokumentarisches, Spiel, Schule), schlägt dieser Artikel Überlegungsansätze zur Benutzung der elektronischen Medien in der Kindermediathek der Cité des sciences et de l'industrie vor.

A la différence d’un livre que l’on peut ouvrir, lire et regarder n’importe où, le cédérom est un produit fermé qui ne délivre son contenu que si l’on dispose d’une installation spécifique. Face à l’équipement croissant des ménages français en micro-informatique, les bibliothèques sont de plus en plus sollicitées pour élargir leur offre aux documents multimédias. Le public peut ainsi découvrir de nombreux titres, puis acheter en connaissance de cause.

Cependant, si les bibliothèques cèdent à la pression des utilisateurs, elles doivent aussi permettre à tous de découvrir ce support et ne pas manquer de s’interroger sur sa place et son rôle, surtout quand le public est à dominante jeune.

L’édition électronique pour enfants

Dans la production de cédéroms pour enfants, on peut distinguer quatre grandes catégories – fiction, documentaire, jeu et scolaire – dont les frontières ne sont pas toujours très nettes, car nombreux sont les produits qui mélangent les genres.

La fiction

Les cédéroms de fiction sont souvent des adaptations de livres destinés aux plus jeunes. C’est notamment le cas avec Bérangère n’a peur de rien (Broderbund Living Books), accessible en trois langues avec karaoké, ou Un Bébé quelle drôle d’idée (Grolier interactive), construit sur le modèle classique des cédéroms destinés aux trois-quatre ans : une histoire animée et des surprises à découvrir.

D’autres fictions pour cette tranche d’âge proposent aussi une histoire accompagnée de jeux d’observation, soit dans l’histoire elle-même, comme c’est le cas pour Une Aventure de Charivari de Chat-Malô (Ubi Soft), soit indépendamment de l’histoire comme Un Vélo pour petit tigre (Flammarion multimédia). Les fictions destinées aux enfants plus âgés sont plus rares, et parmi les réussites, on compte Le Livre de Lulu et La Reine des neiges (Flammarion multimédia).

D’autres cédéroms mêlent fiction et documentation, comme par exemple Le Petit prince (Gallimard) ou Opération Teddy Bear (Flammarion), qui est à la fois une bande dessinée interactive et une source de riche documentation sur la seconde guerre mondiale et le débarquement. Toutefois, ce genre est peu représenté dans la production, car, à moins d’inventer une écriture multimédia qui offre une réelle interactivité, la lecture d’une fiction reste plus confortable et plus chaleureuse avec un livre.

Les documentaires

Jusqu’à présent, les cédéroms documentaires pour enfants sont essentiellement des produits destinés au grand public et aux adolescents. Qu’il s’agisse des titres édités par Liris interactive (Histoire du monde, Encyclopédie de la nature, A la recherche des dinosaures…), par Emme (La Botanique pour tous, La Conquête de l’espace, Vies en danger…), leur facture est, en général, très classique, peu originale et se contente trop souvent de juxtaposer différents supports (texte, images et son) sans qu’il y ait de complémentarité entre eux et que l’on sente un vrai travail d’auteur.

D’autres éditeurs, comme Alsyd, ont privilégié le son au détriment du texte, totalement absent dans Au temps des ballons ou Ces boîtes à images. On sait effectivement que l’œil fatigue très vite à la lecture de pages-écrans interminables, mais lorsque les informations ne sont fournies que par des voix off soporifiques, on a vite fait de se lasser d’un cédérom qui n’offre pas les mêmes qualités ni la même fluidité que l’audiovisuel.

Cependant, des éditeurs comme Montparnasse multimédia (Histoires du ghetto de Varsovie, Chroniques de l’Afrique sauvage…) ou Microfolies (L’Océan des origines, Aux origines de l’homme, La Matière molle : physique des objets de tous les jours) font preuve d’imagination dans le traitement des sujets, de soin et de créativité dans la forme apportée aux cédéroms.

L’offre des documentaires est beaucoup plus restreinte pour les plus jeunes et les plus appréciés sont ceux dont le contenu est autant informatif que ludique. Ainsi, lorsque l’utilisateur enquête sur un complot dans Versailles, complot à la cour du roi (RMN/Canal+/Cryo), il enrichit ses connaissances sur la vie de la cour et les intrigues du palais. Dans Au cirque avec Seurat (Gallimard/ RMN), l’enfant, tout en explorant le tableau Au cirque de Seurat, rencontre des jeux, des animations et des informations détaillées sur les couleurs, le pointillisme, la construction d’un tableau. Mon premier corps humain super génial (Nathan/Havas interactive) propose une abondante documentation et de nombreux jeux sur l’emplacement des organes et des os et les besoins en nourriture et en repos du corps humain.

Au cours d’une promenade interactive en forêt, le cédérom Forestia (Laser Media/Eidos interactive) invite les enfants à résoudre des énigmes tout en découvrant la flore et la faune d’un milieu de vie. Enfin, des titres comme Sim town ou Sim park (Maxis) permettent à l’utilisateur de simuler des situations complexes comme l’aménagement et la gestion d’une ville ou d’un parc naturel en se servant à bon escient des informations contenues dans une base de données.

Ces produits ludoculturels remportent un vif succès auprès des enfants, car le jeu leur procure un tel plaisir qu’ils en oublient l’aspect éducatif et apprennent sans le savoir ou bien détournent certains titres de leur fonction documentaire.

Les jeux

La catégorie des jeux représente la plus grande part du marché des cédéroms et bien que les jeux vidéo soient les plus vendus, nous nous limiterons aux jeux éducatifs classés ici en quatre rubriques : jeux d’éveil, d’aventure, de stratégie et de création artistique.

– Les jeux d’éveil et d’observation sont en général proposés dès trois ans. Avec Ça se transforme, Il y a quelque chose dedans et Ça fait peur, les éditions Bayard ont choisi ce créneau et produisent des titres où dessins animés, activités d’éveil (memory, puzzle, association d’images…) et environnement graphique simple et coloré, le tout en quatre langues, sont appréciés des petits. Gallimard propose aux cinq-huit ans J’ai trouvé, qui consiste à retrouver des objets cachés dans des pages pleines d’objets en tout genre afin d’exercer sa mémoire, son sens de l’observation et celui de l’orientation ;

– de plus en plus nombreux, les jeux d’aventure comme La Grande aventure de Pabo (Gallimard), Marine malice (Humongous entertainment), L’Album secret de l’oncle Ernest (Emme) sont des jeux où l’enfant doit découvrir un univers, remplir une mission et récolter des objets pour venir à bout d’épreuves et d’énigmes. Les compétences mises à contribution sont nombreuses : de l’orientation dans l’espace pour se déplacer dans un monde, souvent en trois dimensions, à la mémorisation pour retrouver un objet en passant par le raisonnement logique pour résoudre un problème et poursuivre l’aventure ;

– les jeux de stratégie et de réflexion développent les compétences transversales indispensables pour progresser dans les matières scolaires comme l’analyse, la déduction, la mémorisation sans oublier l’imagination. Outre les jeux d’échec, go et autres jeux de stratégie, L’Odyssée des zoombinis (Broderbund) sur la logique booléenne, Destination Zénith (Ubi Soft) qui propose quarante-cinq jeux de raisonnement très originaux, Les Animalins 3 (Iona Software) pour s’exercer à la programmation informatique ou Le Maître des éléments (Gallimard), aventure dont le but est de rétablir les lois de la physique, sont des jeux qui apprennent à réfléchir et à apprendre ;

– enfin, nombreux sont les cédéroms qui cultivent la création et le sens artistique des enfants. Ainsi, Kid pix studio (Broderbund) et Le Petit Léonard (Génération 5) invitent les plus jeunes au dessin, Les Animalins (Iona Software) proposent des palettes graphiques sophistiquées et des jeux d’écoute et de création musicale, L’Atelier du livre et Théo au pays des histoires animées (Iona Software) convient les enfants à inventer, écrire et animer des histoires.

Les scolaires

Les produits scolaires et parascolaires se partagent en général trois missions : récupérer un élève en difficulté, présenter des batteries d’exercices pour élèves de tous niveaux, permettre aux « cracks » d’anticiper sur le programme scolaire.

L’enjeu pour ces cédéroms consiste à intéresser suffisamment l’enfant pour qu’il ait envie d’essayer, de recommencer et d’aborder les connaissances en y trouvant du plaisir.

En conséquence, les éditeurs portent beaucoup plus d’attention à l’environnement graphique, moins statique et plus élaboré dans la mise en scène. Très souvent, les enfants doivent venir à bout d’une aventure et surmonter des épreuves (exercices de grammaire ou de maths) guidés par un « gentil accompagnateur ».

C’est notamment le cas pour les séries Adi (Coktel), Atout-clic (Hachette) ou Tim 7 (Hatier/Ubi Soft). D’autres titres comme Fête et maths (Iona), Univers maths (Génération 5), Pierre Lapin au pays des nombres (Gallimard) proposent des exercices scolaires, pas forcément calqués sur les programmes de l’Éducation nationale et qui s’attachent à rendre la forme attrayante et gaie.

Mais ces titres d’entraînement scolaire, s’ils sont des répétiteurs idéaux, se contentent trop souvent de dire à l’enfant : « Tu t’es trompé, recommence ! », sans donner d’explication appropriée, sans faire la différence entre une faute bénigne et une erreur grossière. Ils ne cherchent pas à faire développer la réponse par l’élève, ce qui est bien dommage, car la finalité d’un cédérom éducatif devrait permettre à l’apprenant de devenir acteur de son apprentissage.

Médiation et multimédia

Après ce panorama de l’édition électronique pour enfants, il convient de se poser la question des usages.

L’expérience multimédia de la médiathèque des enfants de la Cité des sciences et de l’industrie fait apparaître trois utilisations principales. Outre la curiosité instinctive et le pouvoir d’attraction des écrans auprès des enfants, on observe que les usages sont en partie conditionnés par l’accès et les types de cédéroms : les postes sur lesquels sont installés des produits documentaires ou encyclopédiques sont en libre accès et favorisent une lecture rapide, « papillonnante » et peu assidue du texte. Les enfants, qui recherchent surtout les images fixes et animées, ou les quiz qui agrémentent de nombreux cédéroms documentaires, se laissent porter de lien en lien au gré des courants. A l’inverse des adultes, ils n’ont pas l’air gênés par l’absence d’explication, la présence d’icônes incompréhensibles et les modes de navigation intuitive. Ils semblent surtout sensibles à la qualité graphique, aux effets spéciaux et prennent beaucoup de plaisir à manipuler la souris et à cliquer le plus possible.

Les enfants adoptent une attitude différente devant les cédéroms encyclopédiques dans le cadre d’une recherche d’informations : plus concentrés, ils évitent la navigation aléatoire, essayent d’être opérants et rapides, adoptent une bonne stratégie dans leur méthode de recherche et aboutissent très souvent au résultat souhaité. Cette attitude est notable, car le même enfant faisant la même recherche est en général plus autonome et plus efficace avec une encyclopédie électronique qu’avec une encyclopédie papier. Néanmoins, la lecture de l’article et la prise de notes demeurent aussi laborieuses qu’avec le support papier.

Les produits ludo-éducatifs sont tous regroupés sur les six micros de la didacthèque des enfants. Compte tenu de la très forte demande, les enfants (de quatre à treize ans) doivent s’inscrire pour des séances de trente minutes. Huit cédéroms plus ou moins ludiques et pouvant convenir à plusieurs tranches d’âge sont installés sur chacun des postes. Les enfants peuvent ainsi choisir entre des cédéroms de jeux pour se divertir tout en faisant travailler leurs neurones, et des cédéroms plus scolaires avec lesquels ils s’entraînent principalement aux mathématiques et aux sciences naturelles.

Parce qu’ils sont libres de choisir, on pourrait croire a priori qu’ils délaissent les produits scolaires. Pourtant, bien que ces derniers soient un peu moins demandés, ils sont tout de même très utilisés et souvent par des enfants qui rencontrent des difficultés à l’école. Ils paraissent en effet satisfaits de pouvoir s’exercer tranquillement, en échappant aux jugements des adultes sur leurs résultats, mais en faisant partager avec joie leurs réussites. Il arrive parfois que des enfants choisissent les mêmes exercices et organisent des compétitions entre eux.

Toutes les séances sont encadrées par un(e) médiathécaire qui conseille les enfants sur le choix d’un cédérom en fonction de leur âge, de leurs centres d’intérêt et qui donne des explications sur les buts à atteindre ou la manière de s’en servir. La présence d’un médiateur est essentielle pour qu’ils s’approprient l’outil : en effet, beaucoup n’ont pas d’ordinateur à la maison et ressentent le besoin d’être rassurés et guidés dans leurs premiers pas. L’utilisation d’un cédérom n’est pas toujours facile si l’on n’a pas en main le mode d’emploi – certains ne fournissent que très peu d’instructions –, et, bien souvent, les enfants n’écoutent pas les consignes qui leur sont données. Le médiateur doit alors intervenir pour répéter une consigne ou l’expliquer autrement, afin que l’enfant comprenne et ne se trouve pas en situation d’échec.

Par ailleurs, les médiathécaires organisent la rotation des séances, assurent un minimum de maintenance sur les machines et veillent à ce que les enfants ne pénètrent pas dans les fichiers du disque dur. Ponctuellement, des animations sont organisées (concours de dessins, écriture d’une histoire sur un thème donné) afin de proposer des cédéroms qui développent la créativité, de tisser des liens et de provoquer une émulation qui encourage les jeunes à se dépasser.

Les plus assidus viennent tous les jours, connaissent les produits aussi bien que le personnel et aident les autres enfants, ce qui est valorisant pour eux. Le multimédia, inspiré des jeux vidéo, séduit presque tous les enfants, surtout ceux qui disent ne pas aimer lire, et qui, pourtant, sont tenus de lire des consignes de jeux ou des questions afin de répondre à des quiz ou encore du texte quand ils naviguent sur un cédérom documentaire.

Parce qu’il permet aux enfants de progresser à leur propre rythme, dans un environnement graphique attractif, interactif, et qu’il demande moins d’effort que la lecture d’un livre, le multimédia attire les enfants qui ne fréquentent pas les bibliothèques traditionnelles. Il apparaît comme un élément moteur d’intégration et peut favoriser le passage des enfants vers la lecture. Il ne doit pas être perçu comme un concurrent du livre, mais comme un complément capable de susciter un « déclic lecture ».

D’ailleurs, afin d’éviter toute spécialisation qui pourrait induire l’idée d’une coupure et d’une concurrence entre les supports, ce sont les médiathécaires dans leur ensemble qui animent les séances de la didacthèque et s’intéressent au multimédia. Et lorsque des enfants qui ne venaient que pour les cédéroms découvrent peu à peu les livres, notre satisfaction est grande, car en gagnant de nouveaux lecteurs, nous remplissons pleinement notre rôle de bibliothécaire.

Même si depuis deux ans les ventes de micro-ordinateurs ont explosé dans les ménages français, la grande majorité des familles ne possède pas encore d’ordinateur. Les bibliothèques, qui sont à la fois intermédiaires et réservoirs du savoir, ont une longue tradition de service public ouvert à tous. Il est donc légitime qu’elles s’intéressent aux nouveaux supports de la connaissance et en fassent profiter leur public. Néanmoins, elles doivent veiller à ce que le multimédia, qui nécessite un équipement coûteux, ne soit pas réservé aux plus favorisés qui viendraient « en clients » emprunter des cédéroms et oublieraient la notion de bien public.

Il ne faut donc pas qu’elles se contentent d’acquérir et de prêter ce type de documents, mais qu’elles œuvrent pour une réelle intégration et une réelle diffusion des supports électroniques. Pour ce faire, elles doivent bien sûr sélectionner les produits, favoriser la consultation en installant des bornes multimédias dans les espaces publics et réfléchir à la fonction de médiation des bibliothécaires, fonction primordiale dans une bibliothèque pour enfants.

Février 1999

Illustration
Les Enfants du Net