Des livres pour le développement

De la dotation en ouvrages à l'appui à l'édition

Claudine Liéber

Les Assises nationales de l’association Culture et développement, qui se sont déroulées les 11 et 12 décembre 1998 à Lille, ont été l’occasion d’un nouveau dialogue nord-sud entre donneurs de livres et bénéficiaires. Faire le point sur le chemin parcouru sans en cacher les ornières, relater les expériences fécondes, mais aussi les ratages d’une activité si particulière, tracer les voies d’une évolution qui, pour être positive, doit mener les pays d’Afrique vers l’autonomie grâce à l’émergence d’une édition et d’un système de librairie viables, tels ont été les principaux thèmes abordés.

Le titre, choisi à dessein par les organisateurs, a constitué le fil d’Ariane des débats, ouverts par F.-N. Simonneau, président de l’association. J.-C. Balmès, du ministère des Affaires étrangères, de la Coopération et de la Francophonie, a planté le décor en décrivant les flux : d’un côté, une insolente situation d’abondance, mise en relief par les surplus des éditeurs et le désherbage des bibliothèques renouvelant leurs collections, de l’autre côté, une pénurie dramatique, qui entrave le développement de l’éducation et de la culture de tout un continent.

L’offre et la demande

Pour autant, l’adéquation de l’offre et de la demande n’est pas forcément au rendez-vous. Tous les participants africains – Abel Nadié, directeur de la lecture au Burkina Faso, Mme Sissoko, de Bibliothèques, culture et développement, au Sénégal – l’ont rappelé : s’il ne part pas d’une sérieuse analyse des besoins, s’il n’est pas à l’écoute des demandes des bénéficiaires, le don de livres risque de flatter d’abord l’orgueil ostentatoire du donateur, d’apporter gêne et humiliation, de transmettre avant tout des rapports de pouvoir. Le geste n’est pas innocent (Michel Caïd, sociologue), il est aussi l’expression d’une culpabilité enfouie, il renvoie à des espaces de violence par son poids même. La volonté de rompre avec la politique des containers apportant des tonnes d’ouvrages qui nourriront les termites, d’éviter aussi de se défausser d’un matériel inadéquat – un vieux bibliobus par exemple – marque l’entrée du don dans l’âge adulte. L’Afrique n’est pas une poubelle.

Véronique Chatenay-Dolto, de la Direction du livre et de la lecture, s’est interrogée sur la place du don de livres dans un réseau d’échanges : l’action menée par le ministère de la Culture depuis cinq ans s’appuie sur les professionnels du livre, bibliothécaires, libraires, éditeurs, et favorise l’exportation et la valorisation du livre français.

Côté bibliothèques

Côté bibliothèques, la Banque rhônalpine du don de livres (M. Fenoli, de Culture et développement), qui trie, traite et assure l’envoi des livres désaffectés des bibliothèques de la région, dispose d’une capacité de 60 000 volumes à Grenoble.

Les résultats d’une enquête récente de cette organisation auprès de six régions font état d’une nébuleuse d’initiatives, de pratiques peu organisées où domine une absence voulue de collaboration entre les donateurs (« C’est mon pauvre »).

On note cependant l’émergence de quelques opérateurs spécialisés (Biblionef, Bibliothèques sans frontières, Solidarité livres...) et la médiation d’associations françaises de migrants africains. L’évolution vers l’achat d’ouvrages neufs, grâce à des collectes d’argent ou à la revente d’ouvrages usagés, est patente. L’Association des bibliothécaires française (ABF) et les Amis de la Joie par les livres (AJPL), toujours très actifs, militent du reste pour ce type de solution. Biblionef fournit depuis sept ans des ouvrages neufs et récents pour enfants et adolescents, à l’aide du pilon des éditeurs, soit 100 000 ouvrages par an dans quarante-cinq pays. Les difficultés tiennent à la mise en place de la logistique (transport, réception et distribution), à un manque de formulation de la demande, et à un mauvais retour d’information. Surtout, les envois peuvent gêner la constitution d’un réseau commercial viable.

Éditeurs et libraires

Les dons d’éditeurs (avec avantage fiscal à la clé) provenant du pilon (vingt à trente millions d’ouvrages par an) offrent l’avantage de maintenir la présence du livre, notamment français, leur permettent de se faire connaître, mais ne doivent pas nuire au marché potentiel (Sophie Lieber). A cela s’ajoute la vente à petit prix, au travers de programmes soutenus par la Direction du livre et le ministère de la Coopération, qui consentent des conditions exceptionnelles à certains pays (programme Plus), et favorisent les accords de coédition. L’action de France Édition (S. Billerey) s’appuie sur ces mêmes éditeurs, avec le soutien des ministères concernés (dont les ministères des Affaires étrangères et de la Culture et de la Communication), et vise précisément à une insertion adroite dans le contexte économique : promotion du livre dans les foires et lieux universitaires, offre de formation aux libraires locaux. Les dons peuvent nourrir l’action de fondations comme la Fondation Hachette, qui dote des bibliothèques.

Le réseau des librairies en Afrique connaît en effet un certain développement. Il recouvre aussi bien les « librairies par terre », qui proposent dans la rue des livres de seconde main, de provenance souvent incertaine, les bourses du livre, où se louent les manuels nécessaires aux examens, les librairies papeteries, les « vraies » librairies enfin, très conscientes de leur rôle d’espace démocratique, et qu’il convient de protéger. La présence d’un réseau de distribution est nécessaire au soutien de l’édition africaine et à l’abaissement des coûts.

Le lancement du magazine Planètes Jeunes (par une association, avec l’aide de Bayard Presse) destiné aux 14-20 ans et vendu en Afrique à prix très bas grâce aux fonds du mécénat, va dans le même sens (J. Kerguéno). La rédactrice en chef, africaine, s’appuie sur une relation permanente avec son public, à travers des groupes de réflexion d’adolescents, qui ont mis en place des clubs d’activités multiples. Ces générations, ouvertes sur le monde extérieur, revendiquent leurs liens avec les jeunes du monde entier, notamment via Internet.

G. Poussin a montré comment l’Unesco, au centre de nombreuses initiatives en faveur du livre, a été à l’origine de l’exemption de taxes douanières pour une série de produits à visée culturelle et éducative destinés aux pays en développement, grâce à la signature des Accords de Florence en 1950 (87 états signataires) et du protocole de Nairobi en 1976 (32 pays).

Le panorama a été complété par le récit d’expériences in situ, comme celle de la belle histoire qui lie la ville et la bibliothèque de Bouguenais (Loire-Atlantique) à une communauté rurale du Sénégal, qui a fait ressortir l’importance de travailler avec les relais et les structures en place (Aline Présumey).

Le projet de Charte du don de livres, présenté en conclusion par F. d’Almeida, affirme une série de principes dans le droit fil des propos échangés : qualité des dotations plutôt que quantité, association du partenaire étranger à tous les stades, si possible collaboration avec le secteur commercial du livre, contribution à la production locale. « Le don efficace est celui qui, à terme, permet au destinataire de s’en passer ».