Editorial

Bertrand Calenge

En alertant les professionnels des bibliothèques sur l'importance fondatrice des collections, le Conseil supérieur des bibliothèques s'est fait l'écho de l'inquiétude fascinée de notre société devant l'inflation d'une production documentaire protéiforme, et devant les risques de discrimination sociale éventuellement induits. Les actes de censure politique constatés dans certaines municipalités extrémistes soulignent, au-delà des volontés inadmissibles d'intolérance et d'embrigadement, que la construction des collections n'est plus, et n'a sans doute jamais été, une opération dénuée de sens social. De même que l'érudit affichait ses convictions et sa curiosité personnelles par sa bibliothèque, les bibliothécaires construisent une offre publique qui fait écho à la collectivité qu'ils servent. C'est leur responsabilité sociale et même civique qui les conduit à construire des indicateurs, à élaborer des méthodologies, afin que leur action quitte le secret de l'intimité et prenne place dans l'action civique. Conduire une politique documentaire, c'est affirmer la dimension citoyenne de la collection.

C'est dire combien le travail conduit aujourd'hui sur les politiques documentaires ne peut jamais se limiter aux seules mesures et procédures : interroger les collections, c'est interroger les préoccupations de la société, c'est interroger la fonction de la bibliothèque et lui donner un sens. Les contenus privilégiés, les usages encouragés, la cohérence construite par le rapprochement de textes choisis sur des sujets voisins, tout cela fait du bibliothécaire un créateur d'univers. Pourtant, rien de moins soumis à la main du bibliothécaire que la collection. Fruit d'un passé qui transforme le fonds en patrimoine, nourrie de choix budgétaires qui s'intéressent aussi bien à d'autres choses qu'à elle, revendiquée par des usagers qui désirent s'y retrouver, contrainte par la production éditoriale, la collection de bibliothèque tend toujours à échapper au bibliothécaire qui a la chance de l'alimenter, de l'émonder, de la conserver, de la gérer et de la valoriser.

C'est dans ce contexte que de nombreux professionnels travaillent à se doter d'outils, lesquels balisent un champ émergent de la bibliothéconomie, désireux de décrire la collection et ses mouvements, d'en formaliser le développement. Souhaitons que les travaux menés dans les bibliothèques françaises et francophones, et, espérons-le, dans des écoles ou centres de recherche, construisent peu à peu un corpus de méthodes éprouvées et surtout reconnues, sources d'une nouvelle compétence professionnelle.