Lectures et lecteurs à l'école
Michel Le Bouffant
Ce petit ouvrage, destiné essentiellement aux enseignants, leur permettra de prendre une certaine distance afin de « mieux comprendre ce que lire signifie et met en jeu ». Là est bien l'intérêt et l'originalité de son message. Un texte étant à la fois un objet d'étude et un projet de lecture, l'activité de lecture elle-même est structurée par des dimensions diverses qu'il faut insérer dans un modèle cohérent. Pour qu'un enfant devienne un « sujet lecteur », il faut tenir compte non seulement de ses dimensions cognitives, mais aussi de son imaginaire, de l'ensemble de sa pensée, et du développement de sa pensée affective.
Évolution de la pratique
Dans la première partie, « Lire à l'école aujourd'hui », l'auteur évoque l'évolution de la pratique de la lecture qui se modifie selon les fonctions qu'une société attribue à l'écrit, et qui varie aussi selon les supports de l'écrit. Dans un monde qui ne cesse de changer, le maître doit connaître la nature de la relation que ses élèves entretiennent avec la lecture : est-elle d'ordre utilitaire ou se situe-t-elle dans le cadre de la formation culturelle de l'enfant ?
L'auteur cherche également à définir la lecture et les différentes activités qu'elle met en jeu. Puis il examine les Instructions officielles de 1995. Il préconise enfin d'envisager la lecture comme un processus culturel et de lier les opérations de lecture et d'écriture. L'ordinateur permet de libérer l'écrit d'une certaine linéarité : le texte change alors de nature et se rapproche d'autres médias connus de l'enfant, qui n'a plus à se soumettre à « l'univocité du sens », en devenant un lecteur-explorateur.
L'auteur étudie dans la deuxième partie, Des écrits au texte, vers une approche littéraire des textes », le statut d'un écrit en fonction d'une typologie souvent utilisée à l'école ; l'enfant parviendra plus aisément à donner un sens à cet écrit s'il connaît son contexte d'émission et s'il perçoit le rôle qu'il veut lui attribuer. L'auteur note avec pertinence qu'un message écrit n'est compris que s'il est relié à notre connaissance du monde. Il établit que le réel n'a d'existence véritable qu'à partir du moment où il est médiatisé par le langage. Le texte actualise pour nous, par la lecture, « l'existence du monde réel ou fictif ».
Différentes sortes de lecture
Enfin, dans la troisième partie, « L'élève, le maître et les lecteurs », l'auteur développe l'idée que l'hétérogénéité est une richesse dans une classe ; il analyse les différentes sortes de lecture et ce que chacune d'entre elles apporte à l'élève dans la construction d'une lecture personnelle. Lire et écrire sont des activités indissociables. Maîtriser le code écrit, c'est à la fois s'approprier les bases culturelles de notre société et développer la personnalité culturelle de l'enfant, dans le respect de son individualité et de son imaginaire Un dernier chapitre est consacré au rôle du maître, instructeur, éducateur, animateur et « médiateur » entre le lecteur et l'écrit. C'est le maître qui rend possible la parole de l'élève grâce au regard que celui-ci porte sur le texte. Cette parole « se structure à partir de connaissances progressivement acquises sur les textes », car « le texte doit d'abord être proposé aux élèves comme un lieu de circulation du sens, un univers dans lequel ils entrent et qu'ils explorent ».
Cet ouvrage développe, sur la lecture et le lecteur, des points de vue rarement envisagés dans l'abondante littérature existant sur ce sujet. Il met en évidence la grande complexité de cet apprentissage, qui n'est pas celui d'une technique, mais d'une organisation de la pensée. C'est dire son importance primordiale, ce dont personne ne doute. Mais la réflexion ici proposée constituera sans doute une aide précieuse pour ceux qui en sont chargés. Elle élargira aussi le cadre des recherches de ceux qui se penchent sur les problèmes concernant les obstacles rencontrés dans cet apprentissage par des adultes.