Inviter un écrivain
Martine Pringuet
Le jeudi 17 septembre 1998, à la médiathèque du Carré d’Art, à Nîmes, l’agence de coopération Languedoc-Roussillon (CLLR), en partenariat avec la revue Le Matricule des Anges, a inauguré un cycle de rencontres-formation intitulées « Destination littérature » et s’adressant aux bibliothécaires, documentalistes, et professionnels du livre.
Le projet de chaque journée est de réunir l’ensemble des partenaires autour d’un thème commun – celui de la première étant « Inviter un écrivain » –, de présenter un éditeur et de programmer, en soirée, une lecture-rencontre dans les locaux de la bibliothèque d’accueil. Le programme de chaque rendez-vous associe une approche professionnelle et théorique complétée volontairement par des « travaux pratiques ». Dominique Mans, de la CLLR, l’a précisé lors de sa présentation : « Destination littérature » est un travail de partenariat professionnel.
Confronter les identités
Le programme annoncé par Thierry Guichard, du Matricule des Anges, était concret : pourquoi inviter des écrivains dans une bibliothèque ? Comment choisir l’invité ? Et surtout, comment gérer la communication, qu’elle soit interne, en direction des usagers, des médias, mais aussi dans le cadre de la rencontre, des débats ?
Les intervenants de la matinée étaient tous deux bibliothécaires : Martine Cribier, à la bibliothèque municipale d’Alès, Jean-Gabriel Cosculluela, à la bibliothèque départementale de prêt de l’Ardèche. Leur présence n’était pas fortuite. Tous deux, ayant acquis dans le réseau professionnel une solide réputation d’« entremetteurs » entre auteurs, livres et publics, ont exposé leurs principes de travail : reconnaître et affirmer l’existence et le travail des écrivains, leur permettre de rencontrer des lecteurs et, au-delà, un public susceptible de découvrir leurs textes. Martine Cribier a employé la très exacte expression de « confrontation d’identités » dans ces espaces de médiations que sont les bibliothèques publiques.
Rencontres avec les classes, résidences d’écrivains, ateliers d’écriture, lectures, publications de textes, de catalogues… toute une gamme de propositions, de programmations qui sont les « éléments de base du travail bibliothéconomique, compléments indispensables du travail d’acquisitions », affirme Jean-Gabriel Cosculluela.
Le choix d’un auteur
Pour ces rencontres, le choix d’un auteur peut se faire à partir de la nécessité de connaître l’œuvre, de la notion de désir, d’un projet d’équipe et d’un travail en relation avec les institutions – la Direction régionale des affaires culturelles, le Centre national du livre… peuvent être de bon conseil ; mais aussi en partenariat avec les éditeurs, avec lesquels les contacts directs sont souvent complices et amicaux (Martine Cribier).
Il peut se faire aussi à partir de l’importance de l’œuvre, de l’écriture, de la place de l’écrivain dans la création de l’époque, « être dans la langue qui s’invente aujourd’hui » (Jean-Gabriel Cosculluela). Il s’agit d’aller plus loin, d’emmener les lecteurs ailleurs, de faire lire, de faire découvrir, d’« agrandir les terres de lecture » (Jean-Gabriel Cosculluela) 1.
Les interventions de la matinée furent complétées par des « détails pratiques » judicieux, proposés par Thierry Guichard sur les relations et les informations à gérer avec l’écrivain, l’organisation de la rencontre, la rémunération, l’hébergement, mais aussi les commandes de livres, le travail avec les libraires, avec les collègues (il paraît que certaines animations sont des échecs tout simplement parce que le personnel de la bibliothèque n’est pas informé de la venue de l’auteur…).
La communication
L’après-midi était confiée à Thierry Guichard qui, en trois heures passionnantes, a fait travailler et réfléchir tous les présents sur les divers aspects de la communication autour des invitations d’écrivains, notamment la communication avec la presse – une bonne connaissance de la structure d’une entreprise de presse permet de mieux rédiger un communiqué ou un dossier de presse…
Un autre sujet de réflexion fut l’animation de débat, de son organisation pratique (qui fait quoi, mise en « scène ») à sa progression même : présentation biographique de l’écrivain, questions sur l’œuvre replacée dans le contexte littéraire, filiations…, afin d’amener à un temps de lecture et un temps d’échange avec le public. Il s’agit de favoriser la spontanéité, de ne pas faire du spectacle, d’être naturel pour permettre au public de se sentir à l’aise et d’intervenir sans hésitation.
Un éditeur local
Pour rendre complète toute cette réflexion, Thierry Guichard avait convié Gérard Fabre, fondateur et responsable des éditions Cadex, une de ces rares et précieuses petites structures éditoriales, qui, en région, ont entrepris de publier des catalogues remarquables qui proposent des choix d’auteurs actuels, prospectifs, novateurs (les éditeurs assument, il faut le préciser, leurs choix et les risques financiers qui leur sont liés).
La présentation de ces éditions a permis d’en découvrir l’histoire, le catalogue, les relations de l’éditeur avec les métiers du livre – bref, l’autre côté du miroir présenté le matin et, donc, la mise en pratique et en question des expériences et programmes exposés : l’organisation des rencontres bibliothécaires-éditeurs, bibliothécaires-auteurs, les achats, la constitution des collections.
Chacun percevait, à cet instant, quelle que soit sa profession, l’importance du temps, de la durée, des éléments primordiaux dans tous les aspects du travail autour de l’écriture et de ses acteurs. Les bibliothèques, comme les écrivains, les éditeurs et les libraires, se doivent de lutter contre la rapidité, l’urgence, la consommation immédiate.
La dernière partie de cette après-midi fut inattendue et novatrice. Deux écrivains, Daniel Biga et Pierre Autin-Grenier, avaient accepté de participer à la mise en application immédiate de cette formation pour un débat fictif, mais « dans les conditions du réel ». Tout au long des discussions, furent posées de bonnes et de mauvaises questions, furent montrées les bonnes et les mauvaises façons de procéder sur divers points ; ce qui n’empêcha pas de découvrir ou d’approfondir la connaissance de ces deux écrivains-poètes invités pour la lecture programmée en soirée et bien « réelle » celle-là !
Quand on saura qu’un libraire – celui du Carré d’Art – était présent avec une table de livres des éditions Cadex et des deux auteurs invités –, on comprendra combien cette journée de formation essentielle et originale fut intéressante. La rencontre suivante devait avoir lieu à Montpellier, le jeudi 10 décembre, les invités étant les auteurs Michel Surya et Bernard Noël, les Éditions Verdier et le thème « La littérature française contemporaine ».