Formation des usagers ou formation des bibliothécaires ?
Martine Blanc-Montmayeur
La règle du libre accès et de l'autonomie de l'usager recherché comme modèle a entraîné des types de formation qui laissaient dans l'ombre le rôle de formateurs joué par les bibliothécaires au bureau d'information. La littérature professionnelle reste pauvre sur ces questions. L'introduction des nouvelles technologies de l'information, en rendant obligatoire un accompagnement pédagogique particulier à chacun des instruments, bouleverse non seulement la formation des usagers, mais surtout la formation permanente des bibliothécaires.`
The rule of free access and autonomy for the researcher, as a model, has brought about types of training which leave the role of educators, played by the librarians at the information desk, in the shade. The professional literature is slim on these questions. The introduction of new information technology, in rendering a pedagogical accompaniment to each tool obligatory, affects not only the training of users but, above all, disrupts the on-going training of librarians.
Der Leitsatz des freien Zugangs und der Autonomie des Benutzers, nach dem man sich als Vorbild richtete, hat Typen der Ausbildung hervorgebracht, die die Rolle der Ausbilder, gespielt von den Bibliothekaren an der Information, im Dunkeln ließ. Die Fachliteratur bleibt bei diesen Fragen dürftig. Die Einführung der neuen Informationstechnologien, die eine besondere pädagogische Begleitung bei der Anwendung nötig machen, haben nicht nur die Schulung der Benutzer verändert, sondern auch die kontinuierliche Weiterbildung der Bibliothekare.
Peut-on retracer les grandes étapes de la formation des usagers, s’interroger sur ses fondements, développer les hypothèses sur les évolutions à venir ?
Tout part de la bibliothèque, espace organisé, mais aussi espace de plus en plus vaste. Si la BPI est restée longtemps, avec 10 000 m2 offerts au public, une des plus grandes sinon la plus grande bibliothèque de lecture publique en France, les constructions récentes ont multiplié ses partenaires égaux ou supérieurs en taille et tous les projets de bibliothèques municipales à vocation régionale (BMVR) atteignent ou dépassent cette superficie. Il a donc été nécessaire, dès l’origine, de donner les clefs de cet espace. Elles sont de quatre ordres : du plus général au plus particulier, la signalétique, le libre accès, le classement et la classification, les catalogues.
L’autonomie de l’usager
L’objectif prioritaire donné à ces quatre éléments complémentaires était celui de rendre le lecteur autonome. Arrêtons-nous sur cette notion d’autonomie très liée à l’idéologie de la lecture publique. Elle renvoie à la conception même de la bibliothèque comme lieu ouvert à tous, sans discrimination de niveau d’études, sans bagage préalable obligatoire, sans recours obligé à un personnel.
La stratégie des bibliothécaires, leur fierté même, a longtemps été d’être des médiateurs transparents, un recours possible, mais qui devrait être évitable dans la plupart des cas.
Cette conception est évidemment liée au libre accès considéré comme un remède universel. La littérature professionnelle est, en conséquence, beaucoup plus prolixe sur les différents outils à mettre à la disposition du lecteur, de la signalétique au guide du lecteur et aux documents d’information que sur les bureaux d’information eux-mêmes.
Des stages ont existé sur « la rédaction d’un guide du lecteur », des journées d’études ont ébranlé la profession autour des mérites comparés de la classification décimale Dewey et du classement par centres d’intérêt, la signalétique est un des éléments appréciés par les architectes dans les programmes de construction ; quant aux catalogues, c’est à qui aura le menu le plus convivial avec icônes, sons, couleurs, pour aboutir à une recherche documentaire toujours très discutée : « Tout se passe comme s’il y avait un seuil, que l’on ne franchit pas, entre l’affirmation de la nécessité d’accueillir tous les publics, même les moins compétents, et l’étude des mesures à prendre, fonctionnellement et matériellement, pour le faire. Ou, plus exactement, comme si après avoir prôné l’amélioration de la qualification du personnel, on préférait se fier en ce domaine de l’accueil à des solutions techniques (classification, signalétique, bibliobus…) plutôt qu’humaines », constate Anne-Marie Bertrand 1.
La pratique évolue cependant et les bibliothécaires font peu à peu leur entrée officielle comme un des dispositifs de formation des usagers. De plus en plus nombreuses sont les plaquettes, dans les nouveaux établissements, qui font clairement référence au personnel comme élément d’aide. Retenons la formule employée dans le « guide de l’usager » de la médiathèque de Bourges : « La médiathèque est organisée pour permettre l’autonomie à chaque usager, mais le personnel est là pour aider chacun ».
Il reste donc, même dans les déclarations les plus ouvertes, un léger zeste d’antagonisme entre l’autonomie et le recours au personnel, il reste à tout le moins encore une hiérarchie des outils mis à la disposition des lecteurs, hiérarchie dans laquelle le personnel n’intervient qu’en dernier.
Et pourtant, la réalité est bien différente des discours. La formation des usagers à la Bibliothèque publique d’information, comme ailleurs, repose avant tout sur le personnel et reposera de plus en plus sur lui au fur et à mesure que les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) envahiront les bibliothèques et que les places dites câblées se multiplieront.
Une formation organisée
Dans un premier temps cependant, on note deux types de formation aux usagers :
– une formation organisée ;
– une formation au coup par coup selon les questions posées.
La formation organisée n’est pas encore le fait de l’ensemble des bibliothécaires, mais d’un service spécifique, celui de l’accueil des publics, qui planifie, plusieurs fois par mois, sur rendez-vous, des séances d’entraînement au maniement de l’espace « bibliothèque » . Il s’agit :
– d’une présentation générale de la bibliothèque : deux séances par mois (deux heures par séance), auxquelles assistent 6 à 8 personnes en moyenne ;
– d’une formation aux cédéroms : deux séances par mois (1 h 30 par séance), auxquelles assistent 7 personnes en moyenne ;
– d’une présentation de la logithèque : cet espace spécifique de logiciels d’autoformation comptait, avant les travaux de réaménagement en cours 2, une part importante dévolue à la bureautique : une séance par mois (1 h 30 par séance) à laquelle assistent 7 à 8 personnes en moyenne ;
– d’une formation au catalogue qui a lieu deux fois par semaine, sans rendez-vous, sur annonce vocale. Cette formation est d’une durée très courte (de 10 minutes à une demi-heure) et le nombre de participants est très variable.
Moins d’une dizaine de bibliothécaires assurent ces formations, considérées, dans cette optique, comme un travail spécialisé, hors du champ normal de compétences du professionnel. Environ 300 à 400 personnes en années pleines bénéficient de ces formations.
De plus, il s’agit là d’une démarche volontaire des usagers, programmée, sans lien obligatoire avec leurs recherches documentaires personnelles, même si les exemples pris par les formateurs peuvent s’inspirer des questions qu’ils peuvent poser.
La formation personnalisée
A côté de cette formation organisée qui touche en définitive peu de monde – n’oublions pas que la BPI reçoit en moyenne 10 000 lecteurs par jour – on ne saurait sous-estimer la formation personnalisée faite par les différents bureaux d’information en connexion directe avec les demandes qui y sont formulées.
Les chiffres sont alors d’une toute autre ampleur, puisque, au travers des enquêtes de 1982, 1988 et 1995, ce recours à la médiation dont on parle si peu, est resté stable : 25 % des usagers s’étaient, le jour de l’enquête, adressés au personnel, mais plus des deux tiers d’entre eux l’avaient fait si l’on tient compte des visites précédentes. Il n’y aurait donc qu’un tiers des fréquentants réellement autonomes, et ce, pour des raisons qu’il conviendrait d’approfondir. Quant aux autres, il s’agit pour eux de trouver un document en accès indirect (microfilm, film vidéo, etc.), mais aussi d’obtenir un renseignement :
– soit en s’orientant dans ou en dehors de la bibliothèque ;
– soit en demandant de l’aide dans le cadre d’une recherche bibliographique ou autre.
Quelles formations dispenser dans ce rapport privilégié ? Vaste question dont on sait qu’elle repose sur la disponibilité du bibliothécaire à un instant T, de la file d’attente devant les bureaux d’information, de ses compétences propres et, plus subtile mais souvent décisive, de l’empathie s’instaurant entre deux personnes situées de part et d’autre de la banque d’accueil.
Anne-Marie Bertrand, dans son ouvrage, a longuement analysé, au travers des entretiens, ces attitudes du bibliothécaire face au public. Le facteur temps est prioritaire dans les réponses fournies. Plus il y a de monde, plus les réponses sont courtes. On donne les premières indications de recherche, on désigne les grandes masses documentaires du lieu et on dit à l’usager de revenir s’il ne trouve pas. Lors du deuxième recours, l’usager gagne le droit d’être accompagné dans les rayons. Participent aussi de cet accompagnement documentaire le recours aux compétences plus pointues d’un collègue, la reformulation de la question. Dans tous ces cas, il ne s’agit pas encore d’accompagnement pédagogique ni donc de formation stricto sensu, mais de fourniture de la documentation recherchée.
Une démarche pédagogique
La démarche pédagogique reprend pour une part les formations organisées : explication du lieu, de la signalétique, du classement, etc., expli cation d’une cote, du maniement du catalogue qui fait suite à la question rituelle : « Est-ce que vous avez interrogé le catalogue ? ».
On pourrait arrêter l’exposé des faits à cette question hautement significative qui renvoie les deux partenaires à la collection et à la collection seule. On aurait donc un tableau de la formation des usagers reprenant les outils traditionnels, maintenant inséparables du libre accès ; s’y ajouterait des séances organisées avec des documents d’information précisant telle ou telle recherche, et faites par un personnel guidé avant tout, dans ses démarches de formateur, par le temps disponible et ses aptitudes propres et dont la présence est aussi floue qu’omniprésente .
Mais sont venues les NTIC, non pas uniquement les catalogues informatisés, mais la multiplication extraordinaire des documents numérisés, des interrogations complexes et multiples, des cédéroms non homogènes aux logiciels de recherche chaque fois différents, nécessitant la maîtrise d’un clavier, d’une souris, et de la lecture d’un écran, introduisant donc un intermédiaire technique incontournable entre le contenu et le lecteur et pour finir le vaste monde du Web insondable et fascinant.
Les formations à Internet
Les formations à Internet ont commencé à la BPI dès l’installation des postes, soit en juin 1995.
L’explosion des demandes a entraîné un élargissement radical des méthodes employées.
Deux séances par semaine devant les écrans avec inscription préalable, rassemblant à chaque fois près de 20 personnes, une séance mensuelle sur grand écran rassemblant entre 80 et 100 personnes. Au total, plus de 2 000 personnes suivent, annuellement, ces formations. Ce qui a entraîné leur prise en charge, non plus par le service spécialisé, mais par une équipe de 11 formateurs internes de différents services, sur la base du volontariat.
Il est sans doute simplificateur de dire qu’Internet a modifié la donne de la formation des utilisateurs, mais ces demandes massives ont précipité la prise de conscience par tous, et non plus seulement par les spécialistes des différents domaines, de l’obligation d’introduire les NTIC dans le renseignement quotidien au lecteur.
Car le visage même de ces nouveaux contenants rend en grande partie caduque les types de formation de l’usager, dispensés à partir des bureaux d’information tels que nous les avons décrits : on ne peut renvoyer l’usager aux grandes masses de l’espace NTIC, il faut absolument entrer dans le détail de chaque question et de chaque contenant. Il faut donc maîtriser non plus seulement les principes de la recherche documentaire mais aussi, plus précisément, la recherche dans tel ou tel document, cédérom, site Internet, etc. On passe donc d’une formation collective à une formation particulière. Mais on est aussi obligé, en dépit de l’urgence, d’entrer, pour chaque usager, dans la démarche pédagogique de la maîtrise de l’outil, maîtrise préalablement indispensable pour les bibliothécaires.
Certes, le personnel de la BPI n’a pas attendu Internet et les cédéroms pour se former aux grands documents de chacune des disciplines. Ces formations étaient propres à chacun des groupes de service public. Par exemple, chaque année, au bureau d’accueil d’économie et de droit, il y avait une présentation commune des dernières publications de l’INSEE, du Kompass, etc.
Mais la prolifération de tels outils informatisés, ainsi que la période transitoire des travaux pendant laquelle les bureaux de service public ont été modifiés, ont entraîné la mise en place d’une formation non plus du public, mais du personnel. La conjonction d’événements extérieurs modifiant les habitudes et les savoirs acquis ainsi que la pression, de plus en plus forte, presque physique, exercée par la présence muette de tous ces écrans silencieux aux contenus opaques et transparents ont précipité les bibliothécaires de la BPI dans une opération de formation de grande envergure. Qu’on en juge :
Phase 1 : 1997
135 agents formés sur les 150 faisant du service public, à raison de 2 h 30 par agent dans des groupes de 7 à 8 personnes maximum. En tout 728 heures de formation dispensées en l’espace de quelques semaines, au beau milieu du déménagement des collections vers la BPI Brantôme ;
Phase 2 : 1998
Intensification de la connaissance des outils par domaine : 115 agents formés à raison de 8 heures par agent, soit 1 000 heures de formation, cette seconde phase s’étalant sur plusieurs mois. Plus encore que la première, elle a demandé aux formateurs internes des efforts considérables d’approfondissement de leurs connaissances et de leurs savoirs pédagogiques. Cela a aussi été l’occasion d’élaborer un programme de formation de formateurs toujours sur la base du volontariat. (cf. ci-contre l’exemple de formation)
Un an nous sépare encore de la réouverture. Un an pour approfondir ce nouvel usage des outils, cette compréhension réelle des contenus et pour s’exercer à la transmettre, dans une pression moindre, à chacun des lecteurs de la BPI Brantôme.
Au 1er janvier 2000, au milieu de tous les défis à relever, il y aura aussi celui de la formation des usagers qui, faisant des 10 000 lecteurs par jour tous des nouveaux venus, devra concilier l’explication des nouveaux espaces, de la signalétique, des nouveaux catalogues avec l’accompagnement pédagogique personnalisé aux 400 offres documentaires électroniques. Une maîtrise la plus complète possible de tous les outils par l’ensemble des bibliothécaires est la solution sine qua non dans ce foisonnement d’un accompagnement du lecteur qui, le temps d’une génération peut-être, en tout cas d’une dizaine d’années au moins, devrait devenir l’objectif prioritaire.
Ainsi, on sera donc passé de l’autonomie du lecteur à son accompagnement et du bibliothécaire comme dernier recours au bibliothécaire comme passage obligé.
C’est toute une stratégie de l’accueil à changer, toute une idéologie aussi de la profession. Il me semble que c’est le seul moyen, dans la société de l’information, pour tenter de maintenir l’égalité de tous à l’information.
Novembre 1998