Des autoroutes de l'information à la « démocratie électronique »
de l'impact des technologies de l'information et de la communication sur nos libertés
Posant comme postulat que les autoroutes de l'information provoquent et provoqueront une « mutation profonde de notre société », l'ouvrage signé par C. Lamouline et Yves Poullet présente le double inconvénient d'être daté clos au 1er mai 1996, il y a un siècle pour la « démocratie électronique » et de se hasarder sur un terrain où, entre législations nationales, pratiques, recommandations, usages, le terrain est mouvant et abonde en chausse-trapes.
L'approche du sujet est, pour autant, originale, qui se propose d'examiner l'impact des réseaux sur les différents droits concernés, et notamment le droit de la propriété intellectuelle, le droit de l'information, le pluralisme de l'information, le droit au respect de la vie privée, etc. Vaste sujet on le voit, traité pourtant en moins de 150 pages, ce qui conduit inévitablement à des synthèses rapides qu'une bibliographie riche et utilisée de manière raisonnée et approfondie permettra au lecteur intéressé (et averti) d'affiner.
Il est difficile de résumer un ouvrage relativement dense, et plus éclairant de souligner les aspects les plus étudiés par les auteurs ; ainsi de la notion de « service universel », souvent invoquée par les tenants de France Telecom comme service public, dont on se demande comment elle peut avoir un sens dans un contexte (européen) de libéralisation.
Un peu étonnamment, les auteurs s'appuient largement sur les pratiques américaines en la matière, la fameuse National Information Infrastructure Policy du président Clinton étant prise comme référence, de même que, pour ce qui est de la réglementation des pratiques, le si controversé Communications Decency Act, dont l'application a connu, depuis 1996, des évolutions dont, hélas, le livre ne peut rendre compte.
Démocratie électronique ?
Cette question de la liberté d'expression et d'information sur les réseaux et de ses conséquences occupe les parties les plus intéressantes d'un ouvrage où les auteurs, rendant compte des débats qu'elle suscite, se gardent bien de trancher dans un sens ou dans un autre, soulignant cependant que la tendance est à laisser aux récepteurs plus qu'aux émetteurs la responsabilité d'éventuelles limitations, ce qui se situe dans le droit fil de la législation européenne en la matière mais pourra en choquer plus d'un.
Les chapitres consacrés aux régimes juridiques appliqués s'appuient sur une typologie très détaillée des différents médias électroniques, forcément battue en brèche par les innovations incessantes dans ce domaine. Mais ils sembleront plus intéressants que ceux consacrés au cur du propos, c'est-à-dire les rapports entre les autoroutes de l'information et la démocratie : vaste programme, et plus politique que technique ou juridique, ce qui, de fait, limite rapidement l'intérêt des propos tenus par des auteurs consciencieux, certes, mais un peu dépassés ou aveugles. En témoigne (p. 105) cette prise en compte des lobbies comme participants à part entière d'un processus démocratique, ce qui pourra laisser rêveur.
De fait, l'ambition de départ semble singulièrement prise en défaut, et largement pervertie par un ensemble de présupposés, propres peut-être au fonctionnement des Communautés européennes et du Conseil de l'Europe (auquel le rapport était destiné), mais qui n'offrent pas forcément une vision objective des enjeux. Tandis qu'on peut s'interroger sur la valeur décisive de l'accès de tous à l'ensemble des documents administratifs, dans un monde où l'influence de l'administration est volontairement battue en brèche par bien des acteurs politiques, ceux des Communautés européennes au premier rang. Pour finir, les auteurs finissent par considérer que « l'autorégulation conduit à une véritable responsabilisation des acteurs », pirouette bien commode mais peu satisfaisante qui vient hypothéquer un ouvrage parfois peu convaincant.