L'École nationale des chartes

histoire de l'école depuis 1821

par Christophe Pavlidès
Thionville : G. Klopp éditeur, 1997. 326 p. : ill. ; 35 cm. ISBN 2-911992-05-9. 430 F

Depuis 1996, l'éditeur Gérard Klopp a lancé une collection de « beaux livres » consacrés à quelques-uns des « fleurons » réels ou supposés du fameux élitisme républicain : lycées prestigieux (Henri IV et Louis le Grand, déjà parus) et grandes écoles : l'École des chartes est la première traitée, mais l'École vétérinaire d'Alfort et l'École Boulle sont annoncées parmi les prochains titres. Il ne faut pas attendre de cette collection d'austères sommes scientifiques qu'elles révolutionnent la connaissance du sujet sous un apparat critique indigeste : on y trouvera plutôt d'honnêtes monographies rassemblant en une synthèse agréable des témoignages, des éclairages historiques, une iconographie remarquable, bref une vulgarisation réussie.

Vulgarisation ? Un tel terme peut surprendre à propos de ce temple de l'érudition qu'est l'École des chartes depuis sa fondation en 1821. Et pourtant, on peut dire que cet ouvrage est le premier, consacré à cette école, à pouvoir être lu par un large public sans lui tomber des mains. Ses coordonnateurs, tous trois du sérail puisqu'il s'agit d'Yves-Marie Bercé, directeur de l'École, et de ses jeunes et dynamiques collaborateurs Olivier Guyotjeannin et Marc Smith, ont réussi le pari de réunir des contributions qui dépoussièrent l'histoire chartiste en évitant tant la caricature que l'autosatisfaction. Les articles réunis sont évidemment d'intérêt et de portée inégaux, tant sur la forme (témoignages, biographies, sociologie des chartistes) que sur le fond, et l'attention du lecteur sera évidemment fonction de ses centres d'intérêt.

Chartistes et bibliothèques

Concernant les bibliothèques, on regrettera que la place qu'y occupent et qu'y ont occupée les chartistes ne soit pas plus largement évoquée 1. La série de grandes figures du passé (Léopold Delisle bien sûr, Henri Vendel, André Masson) évoquées en quelques pages par Louis Desgraves laisse sur sa faim, surtout lorsqu'un Georges Bataille est expédié en une phrase, au prétexte que le célèbre directeur de la bibliothèque d'Orléans « est surtout connu comme philosophe et homme de lettres »  !

Les souvenirs de Pierre Lelièvre sur l'Association des bibliothécaires français et sur la Direction des bibliothèques sont passionnants, mais la période la plus contemporaine est décidément bien absente, alors que les chartistes sont plus présents que jamais dans les bibliothèques, et même ainsi va la gestion des emplois de l'État actuellement hégémoniques dans les effectifs d'élèves de l'École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques (enssib). Les Archives, qui les traitent si mal et les accueillent si peu ces dernières années, sont autrement plus évoquées dans cette partie de l'ouvrage consacrée aux carrières des chartistes : mais sans doute le long (et statutairement scandaleux) monopole des postes de conservateurs d'archives dont ils ont bénéficié n'y est pas totalement étranger...

Chartistes et politique

Plus intéressantes sont les contributions « transversales » sur les liens entre chartistes et politique, notamment autour de l'affaire Dreyfus par Bertrand Joly, des Archives nationales, sur les chartistes protestants par Étienne Trocmé, de la Faculté de théologie protestante de l'université de Strasbourg, ou sur l'approche de l'histoire de la Révolution par les chartistes par Odile Krakovitch, des Archives nationales.

Si trop d'articles laissent penser que l'École des chartes a existé surtout avant 1914, les remarquables contributions d'Olivier Guyotjeannin sur les thèses soutenues jusqu'en 1996 et de Robert Fossier, professeur émérite à Paris I, sur la préparation de l'École depuis un demi-siècle nous ramènent salutairement dans le contemporain. L'École qui a formé le théoricien du désir mimétique, René Girard comme le rappelle Bruno Neveu, président de l'École pratique des hautes études, peine à se trouver une identité qui ne soit ni simple conservation d'un passé glorieux, ni rupture avec ce passé : toute son histoire au xxe siècle, jusqu'à la création parallèle de l'École nationale du patrimoine et de l'enssib, en passant par les incertitudes immobilières on lira aussi l'article de Christian Hottin sur les locaux actuels du 19, rue de la Sorbonne, est traversée par ce malaise dialectique.

Reste une école qui est plus qu'une école, le coeur d'une corporation aussi puissante symboliquement que dépourvue de pouvoir réel, qui a su fasciner des générations par les savoirs magiques dont elle est dépositaire (les fameuses « sciences auxiliaires de l'histoire » aux doux noms d'archivistique, de diplomatique ou de philologie) ; et reste un livre qui ne lève qu'un coin de voile, mais avec beaucoup de charme.