Les bibliothèques en France

1991-1997

par Marc Chauveinc
Sous la dir. de Dominique Arot ; préface de Michel Melot. Paris : Éd. du Cercle de la librairie, 1998. 315 p. ; 24 cm. (Collection Bibliothèques). ISBN 2-7654-0706-1. 250 F

Cet ouvrage fort important, disons-le tout de suite dresse, presque à chaud, un bilan et construit une réflexion sur l'évolution des bibliothèques en France depuis 1991 1. Il fait, en ce sens, penser aux ouvrages anglo-saxons ( Yearbooks, Annual Survey, Librarianship and Information Work Worldwide) qui portent en général sur une année. On peut, pour le principe, regretter son arrêt en 1997, sept ans étant une durée courte pour en appréhender les transformations réelles. De plus, les statistiques sur lesquelles s'appuient les articles datent de 1995, voire de 1994, ce qui réduit la période étudiée à quatre ans Suggérons simplement de le reprendre en 2001 afin de couvrir dix années complètes.

Néanmoins, comme l'explique Michel Melot dans la préface, « la modernisation des bibliothèques françaises a pris des proportions nationales dans les années 1970 et 1980 », et il était judicieux de « détailler le "socle" sur lequel reposent désormais [leur] organisation et [leurs] principes directeurs ». Et, comme on va le voir, la moisson est particulièrement riche.

Un des intérêts de cet ouvrage est qu'il ne décrit pas les bibliothèques françaises selon le cadre « institutionnel » qui distingue bibliothèque nationale, bibliothèque universitaire, bibliothèque municipale, bibliothèque départementale de prêt, etc. Posées côte à côte, il les regroupe selon certains thèmes, tels que les bibliothèques dans leur territoire, l'informatique, les collections, les usagers, la conservation, qui forment des chapitres au cours desquels tous les types de bibliothèques sont étudiés conjointement. Cette présentation a le mérite d'éviter les cloisonnements excessifs entre catégories de bibliothèque, les redondances entre chapitres, et permet une étude comparative des évolutions spécifiques qui souligne les parallélismes. Elle montre que, sur de nombreux points, les bibliothèques se rapprochent dans leur fonctionnement, leur public ou leurs relations avec les différentes tutelles.

Seules la Bibliothèque nationale de France (BnF), les bibliothèques scolaires et les bibliothèques françaises à l'étranger ont leurs chapitres propres, tout comme les lois, règlements et institutions, les statuts et la formation, ainsi que quelques bibliothèques spécialisées.

L'ouvrage compte treize chapitres rédigés par des auteurs différents, des annexes, et surtout, un index à remarquer, car trop souvent absent des publications françaises. L'ensemble est dirigé par Dominique Arot, secrétaire général du Conseil supérieur des bibliothèques.

La Bibliothèque nationale de France

Dominique Arot lui-même a signé le premier chapitre, consacré à la Bibliothèque nationale de France (BnF). Quarante pages denses et serrées retracent l'histoire de cet établissement de 1991 à 1997, période qui va de la mise en place de l'Établissement public de la Bibliothèque de France, de la fusion des deux établissements, à l'inauguration par François Mitterrand en 1995 et à l'ouverture du haut-de-jardin en décembre 1996.

Toutes les étapes sont décrites avec minutie et précision, notamment les violentes polémiques absurdement déclenchées par des intellectuels, les uns jaloux d'un projet qu'ils ne dirigeaient pas, les autres trop conservateurs pour envisager une évolution pourtant plus que nécessaire. A posteriori, il est bien regrettable que, devant une contestation très parisienne, les pouvoirs publics aient fléchi et provoqué, en 1992, le départ de Jean Gattégno, auquel l'auteur rend un hommage bien mérité. Une question reste cependant posée : derrière les arguments avancés, légers ou de mauvaise foi, quelles étaient les motivations profondes ?

La reprise en main du projet par les traditionalistes contre les novateurs, qui se prolonge encore aujourd'hui, a beaucoup nui à la qualité et à l'originalité du résultat final. La fusion de 1994 était nécessaire, le conflit de deux établissements ne pouvant se prolonger, mais peut-être aurait-elle pu se faire avec plus de sang neuf et un maintien plus ferme des projets antérieurs. Un établissement de cette taille sur plusieurs sites doit se gérer comme une entreprise et non comme l'ancienne Bibliothèque nationale, de manière trop centralisée.

Après ce rappel historique, Dominique Arot décrit les différents aspects de l'établissement, le bâtiment d'abord, objet de controverses et de modifications, le cadre urbanistique, l'informatisation, elle aussi source de conflits et de retards, mais que l'on peut espérer voir enfin réalisée cette année, la numérisation des collections et le poste de lecture assistée par ordinateur, qui révèle le paradoxe du projet.

Comme l'écrit Dominique Arot : « C'est la tension constitutive et contradictoire de l'ensemble du projet de Tolbiac : servir au mieux le public des chercheurs, en lui proposant des services nouveaux et renouvelés (postes de lecture assistée par ordinateur, audiovisuel, etc.), et rendre accessibles les ressources de l'établissement à un public plus large et plus diversifié ».

On peut regretter que la transmission à distance des documents, sous quelque forme que ce soit, ait été abandonnée ou du moins retardée, car rien ne la remplace actuellement. On constate là un repliement de la BnF sur elle-même.

D'autres sujets sont traités, comme le récolement, la conversion rétrospective des catalogues, la politique d'acquisition, l'audiovisuel, la conservation, les pôles associés et l'avenir du site Richelieu. Rien ne manque dans cet excellent article.

Les bibliothèques dans leur environnement

Un autre article de très bonne qualité, « Les bibliothèques dans leur territoire », rappelle les relations qu'entretiennent les bibliothèques non seulement avec leur tutelle (ville, département, université), mais aussi avec leur environnement social. Ce concert à deux voix Sylvie Fayet et Bruno Van Dooren résume bien les évolutions institutionnelles survenues dans les structures liées aux bibliothèques (décentralisation, service commun de la documentation) et analyse avec finesse les exigences communes à tous les types de bibliothèques, la faiblesse des moyens face aux nouvelles fonctions et aux publics plus diversifiés. L'évolution des produits documentaires (Internet, cédérom, etc.) nécessite aussi de nouvelles approches, notamment la formation, et de « nouveaux lieux » de lecture.

En conclusion, les auteurs regrettent les difficultés, toujours présentes, posées par la mise en oeuvre d'une véritable coopération entre les bibliothèques. Trois compléments ont été reportés en annexe : la situation parisienne, les concours particuliers, les antennes universitaires.

Bibliothèques scolaires, informatisation...

Vient ensuite un chapitre sur les bibliothèques scolaires, rédigé par Françoise Chapron et France Vernotte, de la Fédération des associations de documentalistes et bibliothécaires de l'Éducation nationale (FADBEN). Y sont décrits en détail les centres de documentation et d'information (CDI) et les bibliothèques centres de documentation (BCD), ainsi que le capes de documentation.

Le chapitre sur l'informatisation résume plus qu'il ne développe les services et systèmes mis en place par les ministères de l'Enseignement supérieur et de la Recherche : Agence bibliographique de l'enseignement supérieur, Système universitaire de documentation, Catalogue collectif de France, Institut de l'information scientifique et technique. De courts paragraphes mentionnent Internet, les cédéroms, la normalisation et les bibliothèques publiques. On reste malgré tout un peu sur sa faim.

Le chapitre sur les partenaires de la chaîne du livre est l'occasion de résumer clairement et complètement les problèmes du copyright, du droit de prêt et du « photocopillage ». Sont cités quelques extraits des nombreux rapports qui ont jalonné ce conflit ardu avec les éditeurs. « La baisse de l'achat n'est pas due au développement des emprunts, mais ceux-ci ne conduisent pas à un renforcement des achats ». L'émergence du document électronique bouleverse déjà le contexte des conventions internationales sur le droit d'auteur.

Les collections

Suit un excellent article de Bertrand Calenge sur les collections en restructuration, qui décrit le renouvellement de la politique documentaire dans les bibliothèques, sans toutefois rendre l'hommage dû au rôle initiateur et fondamental des Américains.

En effet, chez les bibliothécaires d'outre-Atlantique, le développement des collections est une pratique quotidienne, ce qui n'est pas encore le cas en France. L'idée qu' « au-delà de l'accumulation de documents plus ou moins disparates, la collection semble poindre comme un objet identifiable qui possède ses caractéristiques propres, ses atouts et ses faiblesses, ses liens particuliers avec la collectivité », n'est pas encore perçue avec évidence. Sans doute, la faiblesse des crédits en France n'a jamais permis ce luxe d'une politique documentaire.

Sont ensuite analysés la diversification des supports, le rapport entre document et support, la place de l'image, les besoins des usagers, la production de documents et l'émergence d'une politique documentaire nationale, qui s'est manifestée à partir de la BnF les pôles associés, le dépôt légal imprimeur, mais aussi le Centre national du livre, les centres d'acquisition et de diffusion de l'information scientifique et technique (cadist), les réseaux locaux. On y trouvera une critique bienvenue et justifiée de l'abandon du Centre de prêt de la Bibliothèque nationale, décidé et réalisé sans souci des besoins des autres bibliothèques, bien avant que la transmission électronique soit une réalité.

Le premier des trois chapitres suivants s'intéresse à l'émergence du patrimoine écrit, expression qui date seulement de 1982, quand certains fonds ont commencé à être restaurés, catalogués et mis en valeur. Le patrimoine fait lui aussi l'objet d'une politique nationale, en bibliothèque universitaire comme en bibliothèque municipale, fondée sur l'individualisation des collections et sur l'élargissement de la notion de patrimoine, qui, au-delà des fonds anciens, inclut désormais les fonds littéraires modernes.

Le troisième chapitre signé par Christophe Evans reprend les enquêtes et les statistiques sur la lecture et les lecteurs dans les différents types de bibliothèques, y compris la BnF et la Bibliothèque publique d'information, et définit la notion ambiguë d'usager et son évolution liée aux nouvelles bibliothèques.

La place manque pour décrire les autres articles qui portent sur les statuts et la formation articles très complets, qui proposent même des modifications souhaitables des statuts actuels et une esquisse prospective des statuts en 2010, les lois, règlements et institutions, et les bibliothèques françaises dans le monde. Si cet article fait mention du ministère des Affaires étrangères, de l'Europe et de l'ifla, il ne mentionne pas le ministère de la Coopération et ses bibliothèques dans les pays d'Afrique et d'Asie.

Un dernier article décrit avec vivacité et sans langue de bois quelques bibliothèques spécialisées, comme la Bibliothèque de l'Arsenal, la Bibliothèque publique d'information, et l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine.

Un livre riche et dense

Voilà, malheureusement trop résumé, un ouvrage de 315 pages, à l'apparence légère et courte, mais trompeuse. En effet, l'utilisation de petits caractères et la mise en page bien pleine aidant, il est riche, dense, rassemble beaucoup d'informations, bien maîtrisées, bien structurées, bien condensées et mises en perspective, sans être jamais pédant, ni verbeux.

Il se présente souvent comme un dictionnaire encyclopédique dans lequel un renseignement peut être cherché ponctuellement sans lire tout l'ouvrage. On trouve en annexe une bibliographie sélective et commentée des textes officiels et des principaux articles et livres parus pendant cette période, préparée par Jean-Philippe Lamy, ainsi que l'évolution des institutions et des associations mentionnant les noms des directeurs et des présidents. L'auteur constate un développement important des publications bibliothéconomiques en France depuis quelques années, et notamment la parution d'un premier manuel français sur l'accroissement des collections, et celle d'un premier ouvrage français sur les images dans les bibliothèques 2.

Cet ouvrage est donc une synthèse approfondie, bien rédigée, bien documentée grâce à la riche bibliographie en bas de page de l'histoire récente des bibliothèques françaises. En tant que tel, il doit figurer sur les rayons de tout professionnel de la documentation digne de ce nom.

  1. (retour)↑  Cet ouvrage s'inscrit dans le renouveau des publications sur l'histoire des bibliothèques françaises qui se manifeste depuis quelques années. Cf. les quatre volumes de l'Histoire des bibliothèques françaises, parus de 1988 à 1992 et qui justement s'arrêtent à l'année 1990, ainsi que différentes publications, tel le dossier « Les bibliothèques en France, 1981-1991 », paru dans le bbf, n° 4, 1992, p. 6-61.
  2. (retour)↑  Bertrand Calenge, Les Politiques d'acquisition, Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 1994 (Collection Bibliothèques). Cf. le compte rendu paru dans le bbf, 1995, n° 3, p. 87-89 ; Claude Collard, Isabelle Giannattasio, Michel Melot, Les Images dans les bibliothèques, Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 1995 (Collection Bibliothèques). Cf. le compte rendu paru dans le bbf, 1995, n° 5, p. 93.