Bibliothèques municipales à vocation régionale
Quelle coopération pour le livre ?
Claudine Liéber
Richesse des échanges, mutualisation des expériences, variété et liberté des interventions ont marqué le colloque consacré aux bibliothèques municipales à vocation régionale (bmvr), qui s’est tenu les 11 et 12 juin 1998 à Châlons-en-Champagne, et dont la thématique était : « Quelle coopération pour le livre ? ». Deuxième du genre après celui de Rennes 1 en 1997, il marquait la fin du programme quinquennal où douze collectivités sont inscrites, dont trois se situent en Champagne-Ardenne. Les participants ont été frappés par le degré d’implication des nombreux élus présents, étonnés par le partenariat des institutions, des associations et des établissements.
Les élus – M. Bourg-Broc, maire de Châlons-en-Champagne, M. Sebeyran, maire adjoint de Troyes – ont salué « une décentralisation bien comprise », l’alliance du patrimoine et de la modernité. Ils ont souligné l’effet d’entraînement de ces structures multifréquentées, ouvertes, que sont les bibliothèques modernes, leur rôle comme outil de restauration du lien social, leur poids dans la vie de la cité, qui les hisse au rang des priorités municipales, dira Mireille Barriet, maire adjoint de Poitiers. L’intérêt du conseil régional pour les bmvr champardennaises ne faisait aucun doute – comme les conseils généraux, il a subventionné leur construction –, mais l’heureuse surprise est venue de la promesse d’une aide financière aux lourds budgets de fonctionnement de ces établissements.
Le regard des architectes
Le regard des architectes a mis en relief la singularité de la médiathèque, ses territoires contrastés, ses contradictions, qui s’expriment dans des dualités a priori inconciliables (conserver/communiquer, tranquillité des espaces/dynamisme, individualisme du lecteur/foule).
Pour Paul Chemetov, le classicisme des projets architecturaux est une première réponse à la diversité. Bâtiment équivoque, symbolique, qui affiche dans la ville, par son esthétique et sa transparence, sa stratégie de séduction et d’ouverture, la bmvr répond à une volonté politique, selon Pierre Du Besset et Dominique Lyon.
Pour Marc Germain, architecte conseil à la Direction du livre et de la lecture, flexibilité, compacité et éclairage naturel sont les caractères communs de ces nouveaux équipements. Mais comment assurer le respect du rituel de la lecture, avec son approche singulière (« une bibliothèque, c’est un lecteur qui va vers un rayonnage, s’approche d’un livre, s’assied pour le lire… ») ? L’intériorité du bâtiment s’exprime à travers trois catégories : le contrôle de la lumière, l’importance du mobilier, enfin la manifestation du stock dont la présence visible démontre l’objet de la bibliothèque, et donne la conscience du temps mémorisé.
Pour Jean-Paul Viguier, qui en construit une à Reims sur le parvis de la cathédrale, la bibliothèque, lieu de pérennité, borne de mémoire dans le passage du siècle, peut dialoguer avec un monument prestigieux.
Une collaboration intelligente
Bruno Carbone, de la bibliothèque municipale de La Rochelle, et François Fressoz, de l’agence cafe, ont insisté sur les enjeux de la programmation : définir finement le projet culturel, anticiper la demande, faire dialoguer des espaces pluriels.
Avec les exposés de Marie-Jeanne Poisson, du Service commun de la documentation de Reims, d’Hélène Richard, de la bibliothèque municipale de Besançon, et de Marcelle Beaudiquez, de la Bibliothèque nationale de France, fut abordé le domaine de la coopération. Outre la description du réseau diversifié des pôles associés (trente-neuf pôles associés, dont huit pôles labels), deux modèles de collaboration intelligente et pragmatique entre bibliothèques municipales et universitaires ont été détaillés, fondé l’un sur une offre de services partagés, l’autre sur un réseau informatique commun, d’où cette boutade finale : « A quand une buvr ? ».
L’évocation du réseau britannique laser a fait rêver. Cette société de cinquante-trois bibliothèques à statut public réunit dix millions de volumes et dessert seize millions d’habitants. Achats, catalogue, et formation sont communs.
Béatrice Pedot, de la Fédération française de coopération entre bibliothèques, a ensuite présenté les agences de coopération françaises et leur activité, en prenant deux exemples, celui d’Interbibly, pour la région Champagne-Ardenne (D. Quéry) et celui du crl (Centre régional des lettres) Centre (Marie-Pierre Rigollet). Le partage de fonction avec les bmvr, dont la vocation régionale reste floue, est au cœur du devenir des agences. De statut souple, elles pourraient garder tout leur rôle de liaison et de coordination, les bmvr organisant la coopération à partir de leurs ressources documentaires.
Les publics
En retraçant l’histoire de la Bibliothèque publique d’information, Anne-Marie Bertrand a montré ce que son extraordinaire succès public et son usage atypique par un public nouveau ont apporté aux bibliothèques. Qu’est-ce pourtant qu’une bibliothèque populaire ? Benoît Lecoq a apporté la réponse de Nîmes dont « l’espace citoyen » diversifie les publics, Jean-Marie Compte, celle de Poitiers, dont la bibliothèque affirme ses fonctions d’accueil, grâce au souci de la signalétique et de la circulation, à une centralisation de l’information et des services dès l’entrée, à une priorité du service public dans le temps de travail (les deux tiers). Autres publics, autre réponse : le Centre de documentation de la Chambre de commerce et d’industrie (crci) de Champagne-Ardenne, financé par un impôt additionnel, propose un service spécifique aux pme-pmi avec objectif de rentabilité, en réseau avec 182 chambres de commerce.
Les politiques d’acquisition
Les collections ont été vues sous l’angle des politiques communes. Sarah Toulouse a présenté l’expérience de la bibliographie régionale bretonne, un coup de projecteur a été donné par Françoise Bérard, Thierry Delcourt, et Nicolas Galaud, sur chacune des trois bmvr de Champagne-Ardenne et leurs projets de coopération documentaire dont la cohérence et la connivence sont un modèle du genre ; Claudine Lieber a fait un tour d’horizon du partage, idéal, réel ou supposé des politiques d’acquisition et de conservation.
La formation, autre champ coopératif d’importance, a été très rapidement vue par Michèle Gasc à travers les centres régionaux de formation ; puis, avec Nadine Herman, ce fut le regard du Centre national de la fonction publique territoriale ; et enfin l’apport de l’enssib avec François Dupuigrenet Desroussilles.
Après la synthèse de Dominique Arot, qui a notamment regretté le manque d’implication des bibliothèques départementales de prêt, outil forgé pour l’aménagement du territoire, l’intervention de Jean-Sébastien Dupuit a levé plusieurs incertitudes qui s’étaient fait jour chez les participants : le programme bmvr marque d’une étape importante la route qui conduira au dépassement de la notion de bibliothèques municipales classées pour prendre en compte le rôle spécifique des bibliothèques d’envergure régionale. L’échéance significative est celle des contrats de plan État/région. Il n’y aucune raison d’opposer agences de coopération et bmvr.
Oui, ce fut un beau colloque.