Le commerce de la librairie en France au XIXe siècle
1789-1914
Cet épais volume, publié par l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine (IMEC) et la Maison des sciences de l'homme (MSH), reprend, sous la direction de Jean-Yves Mollier, la quarantaine de communications présentées au colloque de Saint-Quentin-en-Yvelines en novembre 1996 1.
Dans son introduction, Jean-Yves Mollier situe les résultats de ce colloque par rapport à l'ensemble des travaux conduits en histoire du livre, notamment à partir de la publication de la monumentale Histoire de l'édition française 2, dirigée par Henri-Jean Martin et Roger Chartier et publiée de 1983 à 1986.
La médiation livre-public
L'objet de ce colloque était de s'intéresser à une partie mal connue encore des trois temps de l'analyse du livre repérés par Roger Chartier
la production des imprimés, leur diffusion, leur réception, c'est-à-dire les conditions de la médiation entre le livre et le public. Cette publication vient donc utilement compléter la documentation sur cette question, même si elle n'apparaît pas dans un terrain complètement en friche : rappelons notamment la publication en 1996 des actes du colloque de Lyon (1993) sur L'Europe et le livre, réseaux et pratiques du négoce de librairie, XVIe-XIXe siècle 3.
La librairie est entendue ici dans son sens contemporain, et non dans son sens courant sous l'Ancien Régime. Il s'agit bien de l'étude du commerce de détail, à une époque un « grand » XIXe siècle, étendu de 1789 à 1914 où ce commerce s'est individualisé et où le vocabulaire lui-même a traduit cette évolution de la librairie. Alain Rey, dans son Dictionnaire historique de la langue française 4, date du milieu de ce même siècle l'application du mot « librairie » à un magasin où l'on vend des livres.
En réalité, cet ouvrage est bien plus qu'une histoire de la librairie au XIXe siècle, il est une réflexion d'ensemble sur la naissance de cette idée et ses conséquences jusqu'à aujourd'hui. Du reste, pour mener cette réflexion, se sont joints aux historiens, des sociologues, des philosophes et des littéraires, qui permettent ainsi de conduire une analyse comparative et pluridisciplinaire, classique finalement dans ces questions d'histoire du livre ou de la lecture, toujours situées aux confins de plusieurs disciplines ou de plusieurs types d'approches.
La réflexion d'origine est donc une étude, nouvelle dans son sujet, de la librairie au XIXe siècle. Elle s'articule autour de quatre axes, complétés d'une approche des libraires dans la littérature, autour notamment des exemples de Charles Nodier et Émile Zola, ainsi que d'une réflexion sur les « libraires d'aujourd'hui et [les] libraires de demain ».
Le premier axe, étude de la géographie de la librairie française au XIXe siècle, permet d'en appréhender la diversité, à travers des exemples choisis dans tout le territoire : Paris ou Lyon, bien sûr, mais aussi Bordeaux, Saintes, Clamecy, la Bretagne, la Franche-Comté, la Drôme et l'Ardèche, etc. Diversité et hétérogénéité que l'on retrouve dans le troisième axe consacré à quelques exemples de librairie populaire et librairie spécialisée.
Le deuxième axe, consacré aux pratiques commerciales, aborde en particulier le problème de la constitution des organisations professionnelles et syndicales (la création du Cercle de la librairie, par exemple). Quant au quatrième axe, la librairie dans l'espace international, il éclaire la question de la présence du livre étranger en France et du livre français à l'étranger.
Une approche du métier actuel
Mais l'enjeu de cet ouvrage et c'est aussi ce qui en fait toute l'importance est de proposer, à partir de cette réflexion historique, une approche du métier actuel de libraire : il s'agit bien, pour Jean-Yves Mollier, non seulement de « faire avancer la connaissance du passé, mais d'aider, dans la mesure du possible, les libraires d'aujourd'hui à cerner avec plus de précisions l'évolution de leur profession ». Il est frappant de voir à quel point les grandes questions qui ont agité, voire déchiré le monde du livre dans les vingt dernières années, trouvent leur origine dans ce XIXe siècle, charnière importante de l'évolution du commerce de la librairie. C'est ainsi que, par exemple, la question de l'office, si douloureusement et conflictuellement posée entre libraires et éditeurs il y a quelques années, trouve son origine vers le milieu du XIXe siècle. Pour répondre à la farouche concurrence introduite par de puissants éditeurs comme Firmin-Didot ou Hachette, qui recherchaient, pour leur production en augmentation permanente, de nouveaux débouchés, par exemple dans les grands magasins, quelques éditeurs, entre autres Werdet, Renouard et Roret, fondèrent le « Dépôt central de librairie » dont l'objectif était d'adresser régulièrement leurs nouveautés à des libraires qui devenaient ainsi leurs correspondants. On voit naître aussi à cette époque le débat, essentiel aujourd'hui en Europe, autour du prix du livre.
Cet ouvrage, publié dans la collection « In Octavo », où ont déjà été édités quelques volumes importants pour l'histoire du livre et de la lecture, apporte donc une contribution du meilleur intérêt pour la compréhension de ce problème de la librairie, du point de vue historique, mais aussi dans la perspective d'une réflexion plus globale sur la fonction et le rôle des libraires, aujourd'hui et même dans l'avenir.
On pourra peut-être regretter l'absence d'index qui rend le volume difficile à manipuler dès qu'on veut y chercher un renseignement ponctuel.