Les droits dans l'édition électronique

Françoise Danset

C’est à Copenhague, que s’est tenu, les 12 et 13 février derniers, le séminaire consacré aux droits dans l’édition électronique, organisé par EBLIDA (European Bureau of Library, Information and Documentation Associations), à l’invitation de l’Association des bibliothécaires danois et du Service danois des bibliothèques. Plus de cent participants, venus de tous les pays de l’Union européenne, étaient venus s’informer des dernières évolutions du problème des droits appliqués à l’édition électronique.

Récemment, éditeurs et diffuseurs ont multiplié les interventions auprès des législateurs à tous les niveaux, tant nationaux qu’internationaux, et notamment auprès des législateurs de la Commission européenne, afin de renforcer leur protection et celle des auteurs, en particulier dans le cadre de la diffusion des documents électroniques.

Au niveau européen, le résultat de ces initiatives se fait sentir depuis 1992, avec la Directive sur le droit de prêt et les droits voisins, la Directive sur la protection des bases de données en 1996, et la proposition de Directive sur la société de l’information de décembre 1997. Chacune de ces directives tend à restreindre la liberté de communication au public et à établir de nouveaux droits, appliqués non plus à l’acquisition d’un document, mais à son utilisation, avec instauration de systèmes de paiement à l’acte de recherche, de lecture ou de copie.

Au nom de l’ensemble des bibliothèques européennes, EBLIDA s’efforce de diffuser toute information sur ces questions et d’initier des actions de lobbying auprès des décideurs, tant à Bruxelles que dans chacun des pays membres de l’Union européenne. Ces actions tendent à limiter les restrictions qui ne manqueraient pas de se mettre en place, ou qui se mettent déjà en place, portant ainsi atteinte au service public de l’information, tel qu’il était jusqu’à présent offert dans les bibliothèques du secteur public.

Elles cherchent à obtenir que soit retenu le principe d’exonération de droits pour les bibliothèques, dans le cadre de la communication à un large public, de même que dans celui des activités d’archivage et de conservation exercées par la bibliothèque, et pour l’autorisation de la copie à usage privé.

L’objet du séminaire de Copenhague était de rappeler le rôle et les missions des bibliothèques dans la diffusion de l’information et de la culture, thème de l’exposé de Frode Bakken, président de l’Association des bibliothécaires norvégiens. Ce dernier a aussi précisé que, dès l’instant où l’on considère que les biens culturels sont des biens comme les autres, ils entrent dans le circuit du commerce électronique. Le copyright devient alors un élément parmi d’autres de réglementation de ce commerce.

Cependant, si l’on veut considérer les bibliothèques du secteur public comme participant au circuit commercial, on ne peut les voir comme des concurrents de ce secteur commercial, en raison justement de leur mission de service public devant garantir à tout citoyen l’accès à l’information.

Rappeler les principes fondamentaux de l’égalité et de la liberté du droit des citoyens à l’accès à l’information fut le thème de l’intervention de Harald Müller, de l’Institut Max-Planck, à Heidelberg. Il indiqua que ce sont les législations sur le dépôt légal qui permettent aux bibliothèques d’assurer à tous l’accès à l’information.

Informer sur les conséquences possibles pour les bibliothèques, du projet de Directive sur la société de l’information, tel fut le propos de Emanuela Giavarra, de EBLIDA. Après une analyse de ce projet et de ses considérants, elle a rappelé le préambule du traité de l’OMPI (Organisation mondiale pour la propriété intellectuelle) publié en décembre 1996 : il faut que soit respecté un juste équilibre entre les intérêts et les droits des auteurs et ceux du public, en particulier en matière de recherche, d’éducation et d’accès à l’information.

Les nouvelles réglementations sur la communication au public que l’on tente de nous imposer ne doivent pas rendre impossibles, pour les usagers comme pour les établissements, les pratiques courantes de recherche d’un document, de sa consultation, ou de copie à usage privé.

Obtenir des dérogations

Afin de conserver aux bibliothèques leurs pratiques classiques, il faut obtenir des dérogations au versement de ces nouveaux droits. Dans une intervention très musclée, Thomas Vinje, du cabinet Morrison et Foerster, à Bruxelles, invita les participants à ouvrir les yeux sur les difficiles et complexes relations entre les législations sur le copyright, les différents systèmes de contrats de réglementation de l’usage des documents électroniques et la protection par cryptage des données proposées par les éditeurs. Thomas Vinje cita en exemple les démarches et la stratégie des bibliothécaires américains qui veulent faire modifier en leur faveur la législation sur le copyright, en particulier par l’adoption du concept de fair use, ou usage privé.

Le rôle de l’avocat du diable fut tenu par un représentant de l’Union européenne des éditeurs, Charles Clark, qui indiqua que, pour les éditeurs, le concept d’usage privé d’un document mis à disposition dans les bibliothèques porte sérieusement atteinte à son exploitation commerciale. Il montra aussi que revendiquer le simple fait de faire des recherches et de butiner gratuitement sur un écran était ne pas tenir compte de la juste rémunération attendue par les éditeurs, ni des investissements réalisés pour les logiciels d’accès.

Ursula Pachi, conseiller juridique au Bureau européen de l’Union des consommateurs, faisant référence aux exigences du Traité de Maastricht en matière de protection des consommateurs, a rappelé les intérêts légitimes des consommateurs que sont les usagers des bibliothèques, indiquant qu’ils ne lui semblaient pas convenablement respectés dans ce projet de directive.

Graham Cornish, de la Bibliothèque nationale de Grande-Bretagne, faisait état de la mission de concertation confiée à imprimatur. Il s’agissait d’entendre toutes les parties : auteurs, éditeurs, diffuseurs de l’écrit comme de l’audiovisuel, bibliothécaires, usagers. Concertation qui s’est avérée difficile, les pourvoyeurs de l’information annonçant surtout leurs intentions d’obtenir le perfectionnement des outils de cryptage des documents.

Les actions en cours

Après cette première journée d’information, une deuxième journée regroupait un cercle plus restreint, de membres de l’association EBLIDA, pour un état des lieux des actions en cours dans les différents pays, et une concertation sur les actions à entreprendre ou à poursuivre en commun auprès des instances de l’Union européenne. Écho fut fait des démarches italiennes, danoises, suédoises, anglaises, espagnoles. Les différents arguments à présenter lors des contacts avec les décideurs ont été mis au point, ainsi que les amendements à faire adopter pour éviter que la directive sur la société de l’information ne porte une sévère atteinte aux missions de service public des bibliothèques.

Les trois représentants des associations françaises sont repartis confortés dans l’idée de la nécessité de mettre en place de façon urgente une action coordonnée entre toutes les associations professionnelles, de lobbying auprès des tutelles administratives et des membres français du Parlement européen, susceptible de faire introduire les amendements souhaités au texte de la directive. En effet, les bibliothèques françaises voient aujourd’hui s’amonceler des obstacles juridiques et économiques qui semblent sévèrement préjudiciables à la continuité de leurs missions de service public.

Les éditeurs et les représentants des ayants droit réclament simultanément l’instauration d’un droit de prêt, d’un système de paiement à l’acte, négocié entre les établissements et les éditeurs, pour toute utilisation de documents électroniques, de droits de photocopie à des tarifs exorbitants, le plafonnement à 10 % des remises dans l’acquisition des documents.

De plus, et c’est tout nouveau, la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), ne se contentant plus de percevoir des droits d’écoute publique calculés au mètre carré, vient d’annoncer le prélèvement d’une taxe sur les postes multimédias, les téléviseurs, les casques individuels, et les attentes téléphoniques.

Aujourd’hui, les bibliothécaires et leurs tutelles, en particulier les collectivités territoriales, font leurs comptes, et se demandent qui va payer. A l’évidence, la plupart pensent qu’il n’est pas possible de se résigner à acquitter cette avalanche de droits, sauf à abandonner la notion de service public garantissant le droit pour tous de l’accès à l’information et à la culture, et de réserver les services des bibliothèques aux seuls usagers qui peuvent les payer.