Les premières rencontres Biblio-fr
Gaëlle Béquet
Du 3 au 5 avril 1998, se sont tenues, à Caen, les premières rencontres Biblio-fr, dont l’objectif était de permettre aux bibliothécaires actifs sur le réseau Internet de mieux se connaître.
La séance d’ouverture a permis au directeur-adjoint du GREYC, Jean-Luc Lambert, d’accueillir les participants et d’annoncer la création imminente d’un DESS (diplôme d’études supérieures spécialisées) à double compétence : informatique et documentation. Jean-Pierre Gabrielli s’est fait le porte-parole du recteur de l’université de Caen pour exprimer à nouveau le souci du ministère de l’Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie de développer l’utilisation des nouvelles technologies dans l’enseignement supérieur. Alain Marchal, du CNRS, est allé dans le même sens lors de son intervention.
Véronique Chatenay-Dolto, directeur-adjoint du livre et de la lecture, a ensuite présenté l’action de la Direction du livre et de la lecture en faveur de l’informatisation des bibliothèques territoriales et les réflexions en cours sur le financement par l’État de la numérisation et de la mise en place de serveurs Web.
Michèle Battisti, pour l’ADBS (Association des professionnels de l’information), a remarqué l’existence de freins au développement des nouvelles technologies dans les bibliothèques. Différents problèmes liés à l’évolution du droit, au coût de l’équipement et à la formation se font jour. L’ADBS, de même que l’ABF (Association des bibliothécaires français), représentée par sa présidente Claudine Belayche, souhaitent accompagner cette mutation de la société en permettant aux bibliothèques de négocier au mieux leur rôle face aux auteurs et aux éditeurs.
Après ces introductions, Hervé Le Crosnier est entré dans le vif du sujet en rappelant que la liste Biblio-fr, dont l’idée a germé lors d’une réunion en 1993 au Conseil supérieur des bibliothèques, est hébergée sur le serveur du Comité réseau des universités (CRU), et rassemble aujourd’hui un peu plus de 2 000 abonnés.
Cette liste prouve son intérêt en diffusant chaque jour en moyenne une dizaine de messages. Il faudrait donc encourager les bibliothèques à utiliser les logiciels diffusés gratuitement par le CRU et à créer leurs propres listes de diffusion ou un supplément régional comme celui qui existe en Lorraine.
La numérisation du patrimoine
Au cours de la table ronde sur la numérisation du patrimoine des bibliothèques, les auditeurs ont pu découvrir le projet de l’université de Lyon 3 : la numérisation des sommaires, des thèses et des livres étrangers (notamment ceux écrits en caractères non latins). La bibliothèque constitue aussi une base de littérature grise à partir des documents rédigés par les enseignants et chercheurs. Enfin, un Intranet permet de diffuser de façon restreinte un corpus de revues électroniques adapté au public. Frédérique Molliné, du Service commun de la documentation Lyon 3, a insisté sur le rôle que doit prendre son institution dans la formation du citoyen.
La bibliothèque de la Villette poursuit, quant à elle, son objectif de diffusion de la culture scientifique et technique grâce à l’exposition « Cœur de réseau » pour laquelle ont été installés des réseaux à hauts débits nécessaires à la transmission de la vidéo numérique.
Création et gestion de sites Web
Un débat animé par Dominique Lahary et Édith Chabot fut consacré à la création et la gestion de sites Web. A la bibliothèque départementale du Val-d’Oise a été créé un site destiné à fédérer un certain nombre d’établissements, à savoir les bibliothèques de l’UCP (Université de Cergy-Pontoise), de l’ESSEC (École supérieure des sciences économiques et commerciales) et celles du conseil général du Val-d’Oise, le centre de documentation de l’ENSEA (École nationale de l’électronique et de ses applications) et celui de l’IPSL (Institut polytechnique Saint-Louis). Une page spécifique est à présent destinée aux dépositaires. La rédaction des pages est confiée à tous les types de personnel. La bibliothèque a installé une interface ISO 23950 (Z 39.50) d’accès à son catalogue au début du mois de mai.
A l’Institut universitaire de technologie de Tours, le résultat hétéroclite de la création du serveur, entreprise menée collectivement par les étudiants de la section Information et communication, a nécessité l’intervention d’un éditeur afin d’harmoniser l’apparence des pages et d’en contrôler le contenu. Ce travail prend environ 40 % du temps de travail.
Les licences de revues électroniques
En soirée, s’est tenue la conférence de Ann Okerson, de la bibliothèque de l’université de Yale, sur les licences des revues électroniques. En premier lieu, elle a rappelé que la loi américaine sur le copyright accorde beaucoup de droits aux utilisateurs, mais que le gouvernement américain était en train de réfléchir à l’harmonisation de sa législation avec la directive européenne sur les bases de données qui prévoit pour ces dernières un droit sui generis (les bases de données sont protégées pendant quinze ans et chaque modification entraîne un renouvellement de la protection).
Pour Ann Okerson, l’utilisation des revues électroniques a tendance à se situer hors du champ d’application de la loi sur le copyright, puisque le diffuseur et la bibliothèque signent un contrat. Cette dernière obtient une licence qui accorde la jouissance d’un bien sans en transférer la propriété. Elle doit négocier avec l’éditeur qui offre souvent un abonnement pour un ensemble de revues.
Dans cette négociation, il est préférable que la bibliothèque s’allie à d’autres établissements. Aux États-Unis, il existe environ une cinquantaine de consortiums, soit à peu près un par État, qui arrivent souvent à négocier des baisses de prix de 10 à 15 %. Les bibliothèques américaines sont actuellement engagées contre les shrinkwrap licenses qui, comme dans le cas des logiciels, ne sont pas le fruit de négociations, mais qui sont imposées par l’éditeur au moment de la vente du produit. Il n’est pas certain que cette façon de procéder soit légale puisque l’acheteur ne connaît pas à l’avance la teneur du contrat qui le lie.
Dans un premier temps, l’édition scientifique a bénéficié d’Internet, les chercheurs publiant directement leurs articles sur le réseau, mais elle est de nouveau contrôlée par les éditeurs. En Grande-Bretagne, le gouvernement a négocié des abonnements pour l’ensemble des bibliothèques universitaires. Pour les bibliothèques publiques américaines, la négociation est quasiment impossible, car leurs sources de financements proviennent de différentes municipalités et il est difficile de cerner leur public et de le contrôler. Ann Okerson a encouragé les bibliothèques universitaires françaises à s’allier pour négocier des contrats.
La formation des professionnels
La formation des professionnels fut abordée par Michèle Rouhet, de Mediadix, et Jean Michel, de l’École nationale des ponts et chaussées. La première a dressé un constat très pessimiste, critiquant les statuts de la fonction publique qui séparent bibliothécaires et documentalistes, ainsi que le manque de coordination entre des établissements tels que l’Institut de formation des bibliothécaires, les centres régionaux de formation, l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques. Elle souhaiterait que soient mises en place une évaluation, et des compétences techniques et humaines, sans toutefois préciser comment seraient évaluées ces dernières, qui iraient de la capacité de travailler en groupe à l’aptitude à communiquer.
Jean Michel, quant à lui, a distingué sept axes d’évolution :
– la globalisation, l’augmentation des échanges internationaux et la nécessité d’établir des comparaisons entre les professionnels et entre les diplômes ;
– la possibilité de suivre une formation à n’importe quel moment de sa carrière ;
– l’évaluation par les compétences plus que par les diplômes ;
– la nécessité de penser la formation tout au long de la vie ;
– l’accréditation, la certification des organismes de formation ;
– la mutation de la formation avec l’apparition des cours en réseau, des cédéroms d’auto-apprentissage ;
– une nouvelle économie de l’information qui demande beaucoup d’investissements.
Bibliothécaires et documentalistes doivent accepter l’autonomisation des utilisateurs et accompagner ceux-ci dans leur recherche. Ils doivent aussi évaluer leurs compétences et organiser leur propre formation continue.
Les logiciels libres
Bernard Lang, de l’INRIA (Institut national de la recherche en informatique et automatique), et Stéphane Bortzmeyer, de l’Institut Pasteur, ont animé un très intéressant atelier sur les logiciels libres, créés par des universités, des entreprises ou des particuliers, et avec lesquels sont livrées les sources (contrairement aux logiciels gratuits). Avec ces dernières, les informaticiens peuvent apporter des modifications, alors que pour développer un logiciel commercial, il faut acheter un coûteux kit de développeur.
Les logiciels libres peuvent être vendus sous différentes licences, que ce soit la General Public Licence, qui interdit toute commercialisation ultérieure, ou la licence Berkeley, qui permet au contraire la distribution commerciale après modification. Ont été cités des exemples de logiciels libres comme Gimp (retouche d’images), Apache (serveur Web) ou Linux (système d’exploitation dont la réputation n’est plus à faire sur Biblio-fr).
Enfin, les logiciels libres peuvent être utilisés en combinaison avec des logiciels commerciaux : ainsi la suite bureautique Staroffice peut-elle tourner sur Linux. Il faut rendre hommage à Stéphane Bortzmeyer et Bernard Lang d’avoir su passionner leur auditoire avec un tel sujet.
Au cours de la séance dédiée à la démocratisation de l’accès à Internet, qui rassemblait des représentants de bibliothèques de lecture publique – celle de Gravelines et la Bibliothèque publique d’information –, et d’une bibliothèque universitaire – celle de Montpellier –, plusieurs conseils furent donnés par les intervenants, des conseils pour la promotion de l’accès gratuit au réseau et l’organisation d’animations, notamment à l’occasion d’événements comme la fête d’Internet ; pour la sélection des sites destinés au public et l’intégration de l’accès au réseau avec consultation du catalogue et des cédéroms. Un participant a souligné la difficulté à convaincre les élus de l’intérêt du réseau Internet.
Signalement et catalogage sur Internet
La sélection des sites, voire des documents sur Internet, pose le problème de leur signalement, de leur catalogage. C’est de ce thème qu’a traité une table ronde, qui rassemblait Catherine Lupovici, de la société Jouve, Jacques Ducloy, de Loria, et Elizabeth Cherhal, de la cellule MathDoc. Pour Catherine Lupovici, plusieurs approches sont possibles : la création d’un lien entre le numéro de la notice vers le document électronique, l’ajout de métadonnées directement dans le document ou l’utilisation du champ 856 du format MARC.
On peut aussi, dans un environnement Web, utiliser les métadonnées comme le Dublin Core en faisant le lien entre ces éléments et les fichiers d’autorité. Enfin, il est possible de mettre en place une base de documents en SGML qui permet ensuite d’extraire automatiquement les données nécessaires à la constitution d’une notice MARC.
Jacques Ducloy a présenté les métadonnées telles qu’elles ont été normalisées dans le Dublin Core (appelé ainsi en raison de la conférence inaugurale qui s’est tenue à Dublin, Ohio, au siège d’OCLC). Le Dublin Core définit quinze zones, dont le titre, l’auteur, le sujet, la date, le type de données, qui servent à cataloguer une page HTML. Pour Jacques Ducloy, rien n’est perdu pour les catalogueurs qui utilisent MARC : c’est à partir des notices que pourront être générés les données du Dublin Core ou encore le nouveau concept de Resource Description Framework (RDF) développé par le W3 consortium.
Une application pratique des métadonnées a été faite à la cellule MathDoc de Grenoble. Les articles écrits par les chercheurs au format TeX, spécifiquement conçu pour les documents à contenu scientifique, donnent naissance à un résumé au format HTML et à des textes dans trois formats différents (DVI, Postscript et PDF). L’ensemble est placé sur un serveur Web. Le résumé au format HTML porte les métadonnées qui sont exploitées par un logiciel de recherche gratuit, Harvest (http://www.mathematik.uni-osnabrueck.de/harvest).
Le droit d’auteur
En raison de la diffusion de plus en plus large des documents électroniques, les éditeurs cherchent à protéger au mieux leurs intérêts. Dominique Arot, du Conseil supérieur des bibliothèques, a rappelé que, dans les négociations sur la propriété intellectuelle, l’État doit jouer un rôle de régulateur en essayant de concilier les positions des éditeurs et des bibliothécaires.
Françoise Danset, de l’ABF, a décrit le travail de lobbying entrepris auprès de la Commission et du Parlement européens sur la question du droit d’auteur. L’ABF est membre d’EBLIDA (European Bureau of Library and Documentation Associations) et coordonne en France l’action de plusieurs associations qui militent en faveur du libre accès à l’information 1. Elle a ainsi rassemblé sur son serveur Web (www.abf.asso.fr) un ensemble de documents, dont une lettre aux députés français du Parlement européen. Les huit associations signataires de cette lettre contestent notamment l’assimilation de la visualisation d’un document sur écran à une reproduction – cette dernière étant sujette à une rémunération des ayants droit –, et réclament l’introduction d’amendements dans la future directive européenne sur la société de l’information.
Jean-Claude Guédon, de l’université de Montréal, a fait l’apologie de l’édition électronique qui redresse les injustices dans l’économie de la connaissance, qui répond aux besoins des presses universitaires ou des sociétés savantes et qui résout les problèmes d’acquisition des périodiques. Il appelle de ses vœux l’avènement d’une édition associant auteurs, éditeurs non commerciaux et bibliothèques.
Jean-Pierre Sakoun, de Bibliopolis, a rappelé que la maison d’édition qu’il dirige met sur le marché des produits d’érudition, mais aussi bibliographiques. Il est tout à fait prêt à négocier avec des consortiums de bibliothèques pour accorder des remises sur les abonnements. Cependant, la situation administrative des bibliothèques rend difficile tout groupement.
Les changements de l’offre liés à Internet
Une tribune fut accordée à des partenaires commerciaux des bibliothèques sur le thème des changements de l’offre liés à l’émergence d’Internet.
La société Ever a ainsi présenté son site et le projet de portage de son logiciel de gestion Loris sous Linux. L’agrégateur Dawson propose déjà plusieurs services sur Internet : Bibscan, base de données comportant près de trois millions de notices, une possibilité de commande en ligne de documents utilisant la norme EDI (échange de données informatisées) et Informationquest (www.informationquest.com), base de données d’articles en texte intégral tirés d’environ 1 000 revues STM (sciences, techniques, médecine) et des titres de l’Electronic Library.
Bibliopolis propose plusieurs collections de documents électroniques : « Bibliographies », « Revues électroniques » en mode image dont, bientôt, Le Magazine littéraire, « Érudition » avec notamment Les Essais de Montaigne et Patrimoine, collection de textes littéraires. La société commercialise aussi un logiciel de recherche, Trevi. Un serveur ouvrira à la fin de cette année.
L’agrégateur Europériodiques a créé le service Swetsnet en 1995, guichet unique de consultation pour près de 1 200 périodiques. L’interrogation se fait sur les sommaires, les résumés et sur l’ensemble du contenu des articles. L’abonnement proposé par Europériodiques associe encore la version papier et la version électronique, mais à terme, c’est cette dernière seule qui sera proposée. Les bibliothécaires présents ont souligné le danger de ne pas pouvoir disposer d’une copie pour l’archivage, d’autant plus que les éditeurs annoncent déjà qu’ils ne conserveront pas leurs documents au-delà de cinq ans. Une représentante de bibliothèque universitaire a annoncé son intention de demander aux éditeurs des revues électroniques auxquelles elle est abonnée de lui fournir des cédéroms annuels reprenant l’ensemble des publications. Elle a encouragé ses collègues à en faire autant.
La société Jouve, présentée par Catherine Lupovici, est spécialisée dans la numérisation des textes, la reconnaissance optique de caractères et le codage SGML. Elle travaille, entre autres, avec le Kompass et l’Office européen des brevets.
Au-delà des frontières
La dernière conférence a permis de sortir des frontières françaises et de découvrir la situation de deux pays, la Roumanie et le Sénégal, quant à l’utilisation du réseau Internet. Nicoleta Marinescu, de la bibliothèque centrale universitaire de Iasi (www.library.tuiasi.ro), a souligné l’importance de l’aide européenne à travers le programme Tempus, qui a permis l’informatisation des bibliothèques roumaines. Une grande partie est aujourd’hui connectée au réseau Ro-Edu-Net ouvert en 1994. Selon l’intervenante, l’infrastructure technique s’est rapidement mise en place, mais les mentalités des bibliothécaires sont plus longues à faire évoluer.
Olivier Sagna, de l’École des bibliothécaires, archivistes et documentalistes de Dakar, utilise Internet depuis le début des années 90. Il a mis l’accent sur la faiblesse de l’infrastructure des télécommunications dans son pays et sur la cherté de l’équipement multimédia (l’équivalent de dix mois de salaire d’un professeur). Il espère que le gouvernement décidera une baisse de la fiscalité sur le matériel informatique et sur les télécommunications.
Les premières rencontres Biblio-fr ont permis aux abonnés de se rencontrer « pour de vrai », de discuter des thèmes qui leur sont chers et de prendre position, parfois avec passion. Il faut savoir gré à Hervé Le Crosnier d’avoir organisé cette manifestation qui s’est déroulée dans une ambiance détendue, notamment grâce au concours des musiciens des Blancs Mollets.