Patrimoines insolites
théâtre, opéra, écrits savants et autres fers à dorer
Isabelle Duquenne
Aude Le Dividich
Marie de Laubier
Frédérique Savona
Ce volume, qui inaugure aux éditions de l'enssib une collection consacrée au patrimoine des bibliothèques, est composé de quatre contributions, provenant toutes de mémoires soutenus par des conservateurs stagiaires de la promotion 1995-1996, à l'issue de leur stage d'étude. La variété même des domaines couverts, des documents concernés (livrets d'opéra, fonds théâtraux multisupports, collections scientifiques, maquettes et fers de reliure) et des problèmes posés reflète la complexité de la notion de « patrimoine des bibliothèques », qui ne saurait faire l'objet d'une approche univoque et globalisante.
Quatre études sur des ensembles documentaires singuliers
Notons d'abord que la présence de ces « patrimoines insolites » n'est pas réellement exceptionnelle ni surprenante dans les collections et les établissements au sein desquels les conservateurs stagiaires ont enquêté : livrets à la Bibliothèque-musée de l'Opéra (Bibliothèque nationale de France), fonds théâtraux à la Bibliothèque-musée de la Comédie-Française, ouvrages scientifiques à la bibliothèque de l'Institut de France et fonds de relieurs à la Réserve de la BnF.
Mais ce recueil d'études est à même d'attirer l'attention de bibliothèques moins spécialisées sur des documents qui sont plus singuliers dans leurs propres collections. Le caractère insolite et les particularités mêmes de ces ensembles documentaires font l'objet d'une mise en question de la part des auteurs. Si Aude Le Dividich reconnaît qu'un fonds d'ouvrages scientifiques ne pose pas de problème particulier d'un point de vue bibliothéconomique, la nature des documents observés conduit les auteurs des trois autres contributions à définir une approche et un traitement documentaire ou conservatoire spécifiques.
Après quelques rappels historiographiques et une présentation des développements de la librettologie, Isabelle Duquenne se livre à une analyse des collections de livrets d'opéra conservés à la BnF, et plus particulièrement à la Bibliothèque-musée de l'Opéra. Cet examen est lié au projet de conversion rétrospective des collections de la BnF : il s'agit, en effet, de réunir des informations précises sur les fichiers à traiter, de définir le statut de ce document et les traitements bibliographiques qu'il impose (intégrer la collection dans le catalogue général tout en ménageant un accès générique à ce type de documents). L'auteur fait ensuite état des entreprises catalographiques internationales existant en la matière, notamment dans le cadre du Répertoire international des sources musicales (RISM).
Frédérique Savona se penche sur le caractère multisupports du fonds théâtral de la Bibliothèque-musée de la Comédie-Française. Tout en insistant sur la nécessité de valoriser ce fonds en conservant sa « cohérence inter-supports » (livres, images, pièces muséales, archives, dossiers de presse), elle détermine des priorités de traitement, examine les avantages comme les insuffisances de la notice « spectacle », et aborde la question de sa normalisation, préalable essentiel à une informatisation.
En analysant très finement le fonds scientifique ancien de la bibliothèque de l'Institut de France, Aude Le Dividich propose un modèle d'évaluation applicable à des collections comparables. Cet ensemble de 1 500 ouvrages fait ainsi l'objet d'une étude à la fois quantitative (répartition par pays et langue) et qualitative (répartition par discipline, niveau scientifique). La description du processus de constitution de la collection laisse notamment apparaître, au XIXe siècle, le souci manifeste d'un développement cohérent.
L'auteur dresse ensuite une typologie des politiques de valorisation des fonds anciens des bibliothèques scientifiques (expositions, recours à Internet, animation, informatisation, guides des sources, etc.), sur la base d'une large enquête (Bibliothèques de l'Institut, de l'École des mines, de Polytechnique, de l'université de Pavie...). Elle montre, enfin, que la valorisation du patrimoine scientifique des bibliothèques peut servir un nécessaire « désenclavement » de la culture scientifique, par ailleurs préconisé, depuis quelques années, par plusieurs rapports et études collectives.
Marie de Laubier a mené à bien le traitement du fonds du relieur René Kieffer (1875-1958), qui avait été acquis par la Réserve de la Bibliothèque nationale de France en 1988, conformément à ses missions patrimoniales. Quelques pages de synthèse sur l'histoire de la reliure présentent le contexte d'innovations dans lequel travailla René Kieffer, marqué notamment par Pierre Legrain, Rose Adler et Paul Bonet. La méthode adoptée pour son inventaire, dont un extrait est publié en annexe, a dû tenir compte de la diversité du fonds, constitué à la fois de documents graphiques (esquisses, maquettes), d'épreuves, de photographies, d'archives d'atelier et de matériel de dorure. L'examen de cette diversité permet de spécifier des modalités de conditionnement et de conservation, en fonction des documents et de leur support (papier Kraft, calque, ferrotypes...).
Utilité pour le bibliothécaire et le chercheur
Au-delà des questions pratiques et bibliothéconomiques (repérage, description et catalogage, traitement et conservation) que posent ces documents particuliers, est esquissée une réflexion sur les raisons et la légitimité de leur place en bibliothèque, sur leur richesse comme sources et sur la pertinence de leur exploitation scientifique. En offrant des exemples précis de traitement qui sont autant de propositions pratiques applicables à des collections comparables, ces quatre contributions ont une utilité professionnelle évidente.
De surcroît, les chercheurs pourront tirer profit de ces études qui, en proposant une description précise des types de documents concernés, de leurs ressources, et des instruments d'accès disponibles, peuvent servir de guides de recherche dans ces fonds spécialisés. On regrettera toutefois, et pour ces mêmes raisons, l'absence de bibliographies dans ce volume.