L'évaluation des services électroniques en bibliothèque

Les statistiques à l'âge du numérique

Peter R. Young

Les difficultés d'évaluation et les problèmes relatifs à l'établissement des statistiques, auxquels les bibliothèques sont confrontées, ont pour origine la rapide intégration des médias et des services électroniques. Cet article étudie la nature des défis, en soulignant l'importance cruciale de l'élaboration de normes et de statistiques descriptives adéquates sur l'impact de l'adoption de ces technologies sur les bibliothèques. Différentes approches d'une nouvelle conception de l'évaluation quantitative des bibliothèques sont esquissées, et comparées aux tendances et aux besoins qui résultent de l'arrivée des médias électroniques. L'article se termine par un examen des normes d'évaluation des services d'information électroniques dans les bibliothèques, l'évaluation électronique de l'utilisation des bibliothèques devant être l'occasion de rassembler des informations qualitatives sur l'efficacité et le rendement.

Libraries are faced with difficult measurement and statistical questions resulting from the rapid adoption and integration of electronic media and services. This article reviews the nature of these challenges and establishes the critical importance of developing standard measures and descriptive statistics to adequately indicate the impact of technology adoption on libraries. Alternative approaches to a reconceptualization of library quantitative measurement is outlined in comparison with selected trends and requirements resulting from information technology based media. The article concludes with an initial discussion of standards for measurement of electronic information services in libraries, suggesting that electronic measurement of library use may offer opportunities for gathering qualitative information concerning performance effectiveness and outputs.

Die Schwierigkeiten der Evaluation und die Probleme, die mit der Aufstellung von Statistiken zusammenhängen, mit denen Bibliotheken konfrontiert werden, beruhen auf der schnellen Integration der Medien und der elektronischen Dienste. Dieser Beitrag untersucht die Natur der Herausförderung und unter streicht die Bedeutung der Erarbeitung von Normen und beschreibenden Statistiken, die adäquat den Einfluß der Anwendung dieser Technologien widergeben. Es werden verschiedene Ansätze einer neuen quantitativen Auswertung von Bibliotheken skizziert und mit den Tendenzen und Anforderungen, die aus der Einführung der elektronischen Medien resultieren, verglichen. Der Artikel endet mit einer Untersuchung der Evaluationsmaßstäbe der elektronischen Informationsdienste in Bibliotheken, der elektronischen Evaluation der Benutzung der Bibliotheken, um am Schluß qualitative Informationen über die Effizienz und Leistungfähigkeit zusammenzustellen.

Comment évaluer les services et supports électroniques ? Comment mesurer l’utilisation d’Internet ? Comment favoriser l’accès des bibliothèques à l’information électronique ? Qu’est-ce qu’une session électronique ? Faut-il compter les réponses pertinentes obtenues (hits) ou le lancement de recherches (clicks) – chaque fois qu’un usager accède à un dossier, visite un site Internet, affiche une image ou décharge une page ou un document ? Quelles statistiques collecter sur l’accès électronique aux ressources à distance dont la bibliothèque n’est pas propriétaire ? Comment les dépenses de technologie et de télécommunications liées aux supports et services électroniques affectent-elles les budgets ? Les notions, normes, catégories, définitions, données statistiques traditionnelles des bibliothèques peuvent-elles être étendues et intégrer supports électroniques et services en réseau ? Les statistiques de bibliothèques sur les services électroniques faciliteront-elles le développement des mesures de rendement et des indicateurs de performance ?

Toutes ces questions de statistiques, difficiles et embarrassantes, découlent de l’adoption et de l’intégration rapide des supports et services électroniques par tous les types de bibliothèques. Les statistiques traditionnelles publiées par les bibliothèques ont des objectifs et des fonctions nombreux et variés : administration et gestion, analyse et planification, politique de développement et recherche. Les données classiques concernant les activités des bibliothèques et des services d’information sont collectées et rapportées au niveau de l’établissement, et aux différents niveaux régional, national et international. Elles sont descriptives et montrent différents niveaux de comparabilité, de cohérence et de détail.

Cependant, un consensus sur la nécessité de l’existence d’une information statistique opportune, fiable et pertinente sur les services et ressources électroniques offerts par les bibliothèques a émergé. Cet article 1 met en lumière les problèmes liés à l’évaluation des supports électroniques et des services en réseau et insiste sur la nécessité d’une analyse descriptive des statistiques des technologies de l’information électronique, essentielle pour améliorer l’efficacité organisationnelle, l’efficience et la performance.

Évaluation des services électroniques

Le présent article résulte du travail effectué depuis 1994 par la US NCLIS (United States National Commission on Libraries and Information Science, Commission nationale américaine sur les bibliothèques et les sciences de l’information). Bien qu’essentiellement centrés sur les modalités d’accès des bibliothèques publiques à Internet 2, les travaux récents de cette commission abordent des questions d’ordre général concernant l’évaluation des supports électroniques et des services en réseau par les bibliothèques. Ces questions prennent en compte les difficultés rencontrées dans cette évaluation (cf. encadré).

D’une manière générale, cette évaluation constitue un défi pour les bibliothèques et ce secteur en pleine évolution que sont les services d’information. L’établissement d’une méthodologie statistique normative et la création de définitions, structures et catégories visant à décrire ces ressources, sont essentielles pour la gestion et la programmation des bibliothèques.

Le rythme rapide du changement technologique, en même temps que l’adoption précoce, par l’ensemble de la communauté des bibliothèques, des technologies de l’information électronique et de la communication numérique, accentuent l’importance cruciale de ces préoccupations.

Pour gérer les transformations qui en résultent, des normes et des statistiques descriptives doivent être élaborées. La pertinence et la viabilité futures de la mission de la bibliothèque, à l’aube de l’information numérique, exigent que ces problèmes difficiles soient abordés de front.

On ne saurait dire à quel point l’impact des technologies de l’information sur les bibliothèques a été important durant les dernières décennies. Parallèlement, la rapidité de leur adoption remet en question les statistiques traditionnelles des bibliothèques et les notions d’évaluation. La simple extension des cadres habituels de la statistique descriptive utilisés en bibliothèque soulève des difficultés et semble requérir l’élaboration de nouveaux modes de comptage, fondés sur l’exemple du commerce électronique plus que sur les normes statistiques des bibliothèques.

Il se peut que la nouvelle offre de services électroniques entraîne, de manière fondamentale, la refonte de la statistique quantitative en bibliothèque, refonte qui pourrait s’appuyer sur une évaluation construite sur la combinaison des approches suivantes :

1. Mesures fondées sur les transactions : les sessions interactives, les téléchargements, le volume d’informations obtenues rapporté au nombre de terminaux et d’utilisateurs, les domaines 3 et les adresses des serveurs, les images ou les fichiers sont comptés, enregistrés et mesurés par sondages ou par relevés de transaction.

2. Mesures fondées sur la durée de connexion : les horaires de fonctionnement, la durée de la session, les périodes de pointe du système/serveur sont mesurés et notés.

3. Mesures fondées sur des calculs de coût : l’évaluation s’appuie sur les dépenses de télécommunications et de connexions, de matériel central et périphérique, de formation du personnel, de maintenance, de licences sur sites.

4. Mesures fondées sur l’utilisation, c’est-à-dire sur l’activité de l’utilisateur, le niveau prévu d’utilisation, le nombre d’utilisateurs simultanés, l’utilisation par des groupes, le nombre de réponses pertinentes obtenues par usager, la satisfaction des utilisateurs et l’utilisation sur site ou à distance.

Orientations et exigences

Ces différentes approches de l’évaluation des services électroniques peuvent être mises en parallèle avec les orientations et exigences suivantes :

– Les efforts accomplis pour définir et mesurer les accès à distance et l’utilisation des ressources électroniques locales dans les bibliothèques se combinent avec les efforts faits pour identifier et mesurer les utilisations sur site des ressources à distance.

– Des logiciels d’analyse de débit de réseau et des compteurs de Web sont disponibles pour fournir des informations sur le trafic Internet (pages d’accueil et domaines). Mais ce sont des applications commerciales et il n’est pas sûr qu’elles puissent être utilisées par les bibliothèques pour l’évaluation des supports et services électroniques.

– Les bibliothèques offrent de plus en plus d’accès aux métadonnées, afin d’aider les utilisateurs à découvrir et identifier les ressources et services électroniques. Mais jusqu’à présent, aucune norme ne permet de mesurer ou de signaler la disponibilité et l’usage de ces métadonnées, ni ceux des catalogues en ligne.

– L’orientation traditionnelle des statistiques de bibliothèques qui se concentrait sur les acquisitions et la localisation des collections semble glisser vers un besoin d’information sur les usagers des bibliothèques et, plus spécialement, de statistiques sur leurs attentes en matière de services.

– Les moyens et supports électroniques d’information sont de plus en plus utilisés dans un contexte de « désintermédiation », les usagers n’ont plus que des contacts ou des échanges restreints avec le personnel de la bibliothèque.

– Les bibliothèques sont de plus en plus des « points d’entrée » (points-of-contact) vers les ressources électroniques disponibles localement et accessibles depuis différents sites sur le campus, ou depuis des annexes.

– L’environnement électronique réduit les différences et les distinctions traditionnelles entre les types de bibliothèques, et entre les bibliothèques et les autres organismes chargés de la diffusion de l’information.

– La négociation de licences sur sites avec les fournisseurs de service d’information électronique requiert que la bibliothèque fournisse une prévision du nombre d’utilisateurs simultanés pour chaque base de données.

– En l’absence de normes concernant le nombre de terminaux nécessaires par utilisateur, l’augmentation des demandes d’accès aux supports électroniques et aux services en réseau a poussé quelques bibliothèques à constituer des listes d’attente pour attribuer des accès à durée limitée.

– Les bibliothèques créent des aides à la navigation ou à la recherche grâce à un système d’exploration interactive de données de toute provenance qui crée des liens électroniques vers et entre les ressources numériques et les ressources imprimées, mais il est difficile de mesurer cette activité ou l’efficacité de ces investissements.

Normes

Les questions délicates qui viennent d’être posées sont l’occasion de réexaminer les notions qui se trouvent à la base des statistiques de bibliothèque. Elles reflètent l’énorme impact des technologies de l’information électronique sur la plupart des aspects du fonctionnement et de l’évaluation de l’activité de ces établissements.

L’implication accrue des bibliothèques dans les supports et services électroniques a une forte incidence sur les statistiques qui concernent les collections, les services, les budgets, les effectifs, l’utilisation des bibliothèques, ainsi que sur les transactions. Mais, parallèlement, apparaît l’espoir d’une meilleure évaluation des besoins des utilisateurs des bibliothèques.

Les relevés d’utilisation d’Internet et du Web permettent d’identifier les usagers locaux et à distance des supports et services électroniques, grâce à des informations « système », qui pourraient être aussi employées pour définir les usagers, établir leur profil et identifier leurs besoins spécifiques. Ce type d’information peut entraîner la saisie de nouvelles données sur « qui utilise quelles ressources ? », mais les bibliothèques peuvent se retrouver confrontées à la question sensible de la confidentialité des renseignements concernant les usagers.

Les statistiques traditionnelles sur le comportement de ces derniers fournissent des informations sur leur façon d’utiliser les collections et les services. L’évaluation de l’utilisation des services électroniques de la bibliothèque apporte, quant à elle, des informations plus détaillées sur les clients des ressources électroniques spécifiques et sur l’usage des services que la bibliothèque n’a pas, ou qu’elle peut, au contraire, fournir. En outre, elle permet d’identifier les attentes des usagers et leur degré de satisfaction.

Les bibliothèques ont élaboré des normes quantitatives classiques pour les collections imprimées et les services traditionnels. Les services d’information électronique donnent aujourd’hui l’occasion de rassembler des informations qualitatives sur l’efficacité et le rendement.

Cette évolution est riche de promesses, car les bibliothèques ont besoin de nouveaux outils pour mesurer l’impact de leur activité, et répondre réellement aux exigences d’une plus grande responsabilité financière, d’une meilleure évaluation et d’une plus grande efficience. Les instruments fournis par les technologies électroniques sont susceptibles de procurer les outils nécessaires pour préparer l’avenir en ces périodes de changement rapide et d’incertitude.

Août 1997

Illustration
Difficultés rencontrées dans l'évaluation des supports et services électroniques

  1. (retour)↑  Traduit de l’anglais par Aline Girard-Billon.
  2. (retour)↑  Traduit de l’anglais par Aline Girard-Billon.
  3. (retour)↑  Cet article est le texte d’une intervention prononcée lors de la 63e conférence de l’IFLA (Section des statistiques), qui s’est tenue à Copenhague, du 31 août au 5 septembre 1997. Depuis juin 1997, son auteur, Peter R. Young, occupe la fonction de responsable du Cataloging Distribution Service à la Bibliothèque du Congrès, à Washington. Les points de vue et opinions exprimés ici sont les siens et ne reflètent pas nécessairement les opinions et positions de la National Commission on Libraries and Information Science (NCLIS) ou du gouvernement américain.
  4. (retour)↑  United States National Commission on Libraries and Information Science, Public Libraries and the Internet : Study Results, Policy Issues, and Recommendations – Final Report, Washington dc, juin 1994. - United States National Commission on Libraries and Information Science, Internet Costs and Cost Models for Public Libraries – Final Report, Washington dc, juin 1995. - United States National Commission on Libraries and Information Science, The 1996 National Survey of Public Libraries and the Internet : Progress and Issues – Final Report, Washington dc, juillet 1996. Cf. le compte rendu paru dans le BBF, 1997, n° 5, p. 103-105.
  5. (retour)↑  Le nom de domaine permet de reconnaître un site Web, d’y accéder, et d’identifier l’entité qui utilise le réseau comme un outil d’information ou de promotion. Il peut correspondre aux éléments d’identification d’une entité constitués par la dénomination sociale d’une société, le nom d’une association, d’une institution, un sigle ou encore une marque.