Pouvoirs du papier

par Dominique Bougé-Grandon
Les Cahiers de médiologie. N° 4, 2e sem. 1997. Paris : Gallimard. 350 p. ; 24 cm. isbn 2-07-075029-9 - 60 F

Le Bulletin des bibliothèques de France a rendu compte, en 1997, de la naissance des Cahiers de médiologie, revue 1 dirigée par Régis Debray et publiée par Gallimard et l'association Ad.Rem (Association pour le développement de la recherche en médiologie). Après les numéros 2 et 3 intitulés « Qu'est-ce qu'une route ? » et « Nouveaux réseaux, nouvelles nations », le numéro 4 est consacré aux « Pouvoirs du papier ». Les coordinateurs en sont Pierre-Marc de Biasy, connu à la fois comme plasticien et comme chercheur à l'item (Institut des textes et manuscrits modernes) et Marc Guillaume, professeur à l'université Paris-Dauphine. Comme chacun des cahiers précédents, il se compose de trois volets : le dossier thématique qui constitue la partie la plus volumineuse ; le kiosque regroupant notes de lecture, brefs commentaires de l'actualité ou annonces de manifestations diverses ; l'anthologie présentant des extraits de textes classiques, plus ou moins connus, en rapport avec le thème du dossier.

Malgré quelques coquilles typographiques, on peut souligner le soin porté à la présentation du volume : le papier, la typographie et une illustration en noir et blanc de grande qualité. Comme le souligne la page de titre, ceci n'a été possible que grâce au soutien de plusieurs annonceurs publics et privés, qui permet de maintenir le prix de la revue à un niveau relativement bas. Ces pages de publicité se mêlent à l'illustration sans véritable rupture de ton.

Le papier dans tous ses états

Le dossier thématique est consacré aux récentes évolutions dans l'utilisation et la connaissance que l'on a aujourd'hui du papier.

Des découvertes archéologiques faites en Chine éclairent ses origines lointaines. L'analyse chimique des papiers a permis de prendre conscience que dix millions de volumes au moins sont menacés de disparition dans les bibliothèques françaises.

Les nouvelles technologies multimédias remettent en cause la position dominante de ce support privilégié du texte et de l'image. L'utilisation du papier, elle-même, évolue. Le « Smartpaper » se couvre de dataglyphs, cette écriture compactée qui permet de stocker 90 Ko d'informations sur une page A4.

Bref, même si le papier reste encore « le vecteur fondamental de la communication écrite et de la transmission des idées », son statut a changé, et le temps viendra peut-être où il ne sera plus qu'un média de secours. Face à tous ces changements récents, le projet du dossier des Cahiers est d'essayer de comprendre « en quoi et comment le papier est médiateur de mémoire de savoir, d'art, de croyance et de pouvoir » dans le monde contemporain.

Un nouvel objet appelait un nouveau regard

Une trentaine d'auteurs sont mis à contribution pour ce dossier de 285 pages. Les entretiens alternent avec les articles de synthèse. Les quatre parties portent les titres suivants : le papier-mémoire, le papier-croyance, le papier-pouvoir, le papier-art. On est agréablement bousculé par l'éclectisme du choix des auteurs. La question posée au philosophe Jacques Derrida est celle-ci : « Jusqu'à quel point le papier vous aura-t-il suffi à communiquer votre pensée ? », question à laquelle il répond par une phrase étonnante : « Le papier ou moi, vous savez », expliquant qu'il a toujours écrit et même parlé sur le papier. L'entretien avec Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France, précise la place du papier billet de banque aujourd'hui, entre le métal précieux et l'argent « électronique ».

Un ingénieur de l'inra (Institut national de la recherche agronomique), Raphaël Larrère, traite de l'exploitation forestière par l'industrie du papier : « J'écris, donc je déboise ». Plusieurs artistes témoignent de l'utilisation du papier comme support particulier de l'uvre, un matériau sensible différent de la toile, du verre et du métal.

Les Cahiers de médiologie

À la suite de ce dossier, le kiosque propose différents commentaires de l'actualité « médiologique », des jmj (Journées mondiales de la jeunesse) à la mort de Lady Diana en passant par le colloque sur le papier au Moyen Âge 2.

Enfin, l'anthologie contient une sélection d'une trentaine de textes courts où le papier tient la place centrale. C'est l'un des aspects les plus agréables de la lecture de cette revue. On prend plaisir à feuilleter ces pages et à passer sans transition de Liu Phien à Comenius, d'Honoré de Balzac à Louis Aragon, du papier poison du roman d'Umberto Eco, Le Nom de la rose, au papier caresse de Victor Segalen, des paperolles de Marcel Proust aux p'tits papiers de Serge Gainsbourg.

La dernière page nous invite à poursuivre ce voyage en allant consulter le site Web de la revue 3. Il a été conçu par Karine Douplitzky, scénariste et cinéaste, membre du comité de rédaction des Cahiers. Le texte est en rouge sur fond noir, en référence au théâtre et au premier numéro de la revue sans doute. On y trouve différentes informations : ce qu'est la médiologie, le contenu et les auteurs des Cahiers, les manifestations auxquelles collabore l'association Ad.Rem. On y apprend aussi que le prochain numéro sera consacré à la bicyclette. À suivre.