Mois du patrimoine écrit 1997

six catalogues

par Philippe Hoch
vol. : ill. ; 21 cm. Paris : Direction du livre et de la lecture ; Fédération française de coopération entre bibliothèques, 1997. (Collection « (Re)découvertes »). 45 F le vol.

Les collections anciennes, rares et précieuses des bibliothèques apparaissent souvent comme un domaine austère entre tous, d'un accès difficile, réservé à un cercle étroit de spécialistes qui, poussés par une puissante inclination personnelle et préparés par de fortes études, en possèdent les arcanes.

Il faut dès lors se féliciter que, pour la huitième édition du « Mois du patrimoine écrit », le choix de la Fédération française de coopération entre bibliothèques (ffcb) et de la Direction du livre et de la lecture (dll) se soit porté sur le thème inattendu et très « ouvert » des « fêtes, spectacles et divertissements ».

De la sorte, les établissements désireux de s'associer à l'entreprise se trouvaient, plus que jamais, invités à sortir des sentiers battus et faire preuve d'originalité. L'occasion leur était en effet offerte de placer en exergue des collections pouvant sembler, dans certains cas, marginales, mais dont l'intérêt s'impose pourtant avec évidence à la lecture des six nouveaux catalogues, toujours aussi plaisants au regard, qui portent à quarante le nombre de fascicules édités dans le cadre de l'innovante collection « (Re)découvertes ». Celle-ci forme désormais une mine documentaire irremplaçable sur les ressources encore pleines de surprises que les bibliothèques françaises mettent à la disposition de leurs usagers.

Des livres de fête pour la fête des livres

Félicitons-nous que, pour cette fête du livre rare et de l'estampe que constitue le « Mois du patrimoine écrit », les « livres de fête » aient ainsi été mis à l'honneur. À l'intérêt qu'ils présentent pour la connaissance de la vie politique et diplomatique durant la Renaissance et l'âge classique, s'ajoute en effet une valeur littéraire et surtout artistique, grâce à l'abondant recours à la gravure en taille-douce.

La bibliothèque d'Avignon dispose dans ce domaine, et particulièrement pour les « entrées », de richesses remarquables. Il est vrai que ces manifestations ostentatoires dont les livres à figures, connus sous le nom d'« entrées solennelles », proposent une sorte de « reportage » constituent dans la cité des papes « une longue tradition ». Françoise de Forbin rappelle que la plus ancienne remonte au xiiie siècle. La présence de la cour pontificale ne fut naturellement pas étrangère au nombre et à la qualité des festivités organisées pour la venue de tel souverain ou de tel ambassadeur.

Au fil d'une riche introduction, Yves Pauwels peint le cadre politique et culturel dans lequel s'inscrivent tant les entrées elles-mêmes occasions de réjouissances, de spectacles et d'architectures éphémères que les ouvrages souvent somptueux qui nous en conservent la trace. Quant aux notices, signalétiques ou commentées, qui complètent cette étude, elles présentent une soixantaine de pièces relatant des entrées solennelles à Carpentras et Avignon de 1553 à 1783.

Éblouissantes féeries

On ne sera pas surpris que la bibliothèque de Versailles, elle aussi, ait sorti de sa réserve les plus beaux livres de fête qu'elle conserve pour évoquer les « plaisirs de rois », de Louis xiv à Louis xvi. Le premier, souligne Philippe Beaussant, « a été considéré comme un grand roi, non seulement en raison de ses actes politiques [] mais parce que ce monarque a su être le plus grand spectacle de son royaume et porter la théâtralisation de sa personne à une magnificence inimitable ».

Claire Caucheteux et Robert Cosials en donnent de nombreux exemples, empruntés non seulement aux pompes du « Roi-Soleil » qui voulut « éblouir par des fêtes dont le faste et la féerie [dépassaient] tout ce qui s'était fait jusqu'alors », mais aussi aux « plaisirs » de ses successeurs. Défilent ainsi divers spectacles (comédie-ballet, tragédie lyrique, opéra) ; les « événements officiels », au premier rang desquels figure le sacre (« la plus belle fête, la plus prestigieuse, la plus onéreuse de chaque règne ») ; les événements affectant la famille royale (naissances, mariages, pompes funèbres) ; les « plaisirs quotidiens à Versailles » (chasse, danse, réceptions), sans oublier la musique, dont le rôle fut si important. Nombre de manuscrits musicaux et de partitions gravées exposés en témoignent du reste avec éloquence, à côté de relations imprimées de fêtes plus somptueuses les unes que les autres, de dessins, d'aquarelles et de bien d'autres uvres encore.

Célébrations unanimistes

Est-il un univers plus éloigné de l'opulence et de l'élégance versail-laises que la liesse populaire suscitée par les fêtes de la bonneterie à Troyes ? Manifestations corporatives dont l'origine remonte au début du xvie siècle, ces réjouissances, renouvelées dans leur « formule » en 1909, se muent alors, selon l'expression de Thierry Delcourt, en « célébrations unanimistes » cristallisées autour de l'élection d'une reine, certes, mais éloignée de la vie de château, car issue des ateliers et portée sur son trône d'un jour par ses compagnes de travail.

Helen Harden-Chenut rappelle le contexte historique et brosse l'arrière-plan social, économique et politique (marqué par les grèves de 1900) d'une fête qui « rompt avec les formes anciennes de sociabilité et devient un spectacle aux significations multiples, multivalentes, caractéristiques de la société industrielle du xixe siècle ».

De nombreux documents conservés à la bibliothèque de Troyes mettent en évidence le retentissement pour les ouvriers, bien sûr, mais également pour les industriels et les hommes politiques soucieux de « promou- voir » leur activité et leur ville, de réjouissances qui finirent, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, par devenir « une fête populaire de loisirs et de consommation de masse ». Textes (lettres, coupures de presse), images (dessins, photographies, cartes postales, affiches), partitions, menus, sans parler d'objets tels que les bannières de la corporation ou le sceptre de la reine de la bonneterie forment un ensemble documentaire peu banal, dont historiens et sociologues sauront tirer profit.

Le théâtre des ouvriers

À Roubaix aussi, c'est au public populaire que s'adressaient les montreurs de marionnettes. Les spectacles qu'ils proposèrent à partir de la seconde moitié du xixe siècle s'imposèrent comme « une composante de la culture de dizaines de milliers de Roubaisiens, qui participa à l'élaboration du sens esthétique de la classe ouvrière ».

Celle-ci, en grande partie d'origine belge et d'expression flamande, soumise de ce double fait à des formes de rejet, contribua pourtant à l'expansion industrielle de Roubaix. Mais, comme le souligne Bernard Grelle, confrontée aux problèmes « d'une ville qui grandit trop vite, dans l'anarchie totale », tantôt « écrasée de travail », tantôt « jetée au chômage », elle se reconnut dans une forme de théâtre qui, au moins, « lui [appartenait] en propre ».

Avec la collaboration d'Andrée Leroux et d'Alain Guillemin, Bernard Grelle esquisse l'histoire des marionnettes à Roubaix, depuis celles que manipulaient les montreurs ambulants et forains des années 1850, jusqu'au déclin, suivi d'un renouveau, durant l'après-guerre, en passant par le plus important de ces théâtres, celui de Louis Richard, dont le répertoire avoisinait les mille pièces !

Les spécialistes trouveront à la médiathèque de Roubaix une ample matière susceptible de nourrir leurs investigations, grâce à la création d'un centre de documentation qui regroupe différentes collections (fonds Inoz, fonds Jean Coulon) et propose des manifestations variées (conférences, séminaires, spectacles, expositions) susceptibles de les mettre en valeur et de les faire mieux connaître.

Le peuple sur les planches

Comme celle de Roubaix, la médiathèque de Niort a voulu, pour ainsi dire, placer le patrimoine écrit sous les feux de la rampe. La scène, en effet, était à l'honneur avec une exposition consacrée au Théâtre populaire poitevin. Son expérience constitua, pour Éric Surget, « l'une des formules les plus marquantes et les plus réussies de théâtre populaire en plein air en France ».

L'action de son fondateur, Pierre Corneille Saint-Marc (1862-1945), médecin et auteur dramatique, peut être comparée à celle que mena, à Bussang, un Maurice Pottecher. On y reconnaîtra aussi, avec Gérard Guichard, « une de ces utopies qui fleurirent au xixe siècle : la volonté d'éveil, d'éducation et de transfiguration du peuple sous la Troisième République ». Durant quatre décennies (1897-1937), plusieurs générations d'amateurs interprétèrent l'ample répertoire fourni par le docteur Corneille : poèmes dramatiques, pièces « historiques », pièces sociales, pièces à dominante sentimentale, revues et comédies.

Les ressources du fonds Corneille Saint-Marc, entré par don en 1989 à la bibliothèque-médiathèque régionale de Niort, permettent de retracer le cours et d'évoquer les événements majeurs qui marquèrent cette aventure théâtrale singulière : plus de 560 lettres, des manuscrits, partitions, dessins, tracts, affichettes, programmes, factures, 842 plaques photographiques et on en passe. Cette collection complète heureusement celles dont l'établissement disposait déjà (fonds Henri-Clouzot, fonds des Amis du théâtre à Niort).

Hommage au « Beethoven français »

La dernière exposition se voulait un hommage à un « maître de musique », Camille Saint-Saëns. En 1889, le compositeur du Carnaval des animaux fit don à la ville de Dieppe, où son père avait été élevé, de meubles, d'objets d'art, ainsi que de sa correspondance ; un bel ensemble régulièrement enrichi dans les années suivantes par de nouvelles manifestations de générosité. Dès 1897, une salle Camille Saint-Saëns fut aménagée dans le nouveau musée municipal, tandis qu'un fonds spécialisé se développa à la bibliothèque.

Les deux institutions voulurent donc uvrer de concert pour rappeler quelle place éminente occupa sur la scène artistique internationale celui que Gounod appelait le « Beethoven français ». Sa carrière, souligne Yves Gérard, fut brillante et féconde : virtuose du piano, organiste, compositeur « prolifique dans tous les domaines », Saint-Saëns fut aussi un grand voyageur qui, inlassablement, convia ses admirateurs à la « fête musicale ». Yves Gérard montre combien, en l'absence d'enregistrements ou de radiodiffusion, « seule comptait la présence physique [de l'interprète] qui engendrait automatiquement un ébranlement social de "fête" autour du virtuose ». Associée à la bibliothèque et au musée, l'école nationale de musique de Dieppe convia à l'une de ces « fêtes » en exécutant quelques uvres célèbres du maître, que Daniel Lefebvre analyse dans le catalogue, tandis que Pierre Ickowicz s'attache à la présence de Saint-Saëns au Château-musée de la ville.