Évaluation et qualité :
un état des lieux international
Aline Girard-Billon
Claudine Pissier
La Ribbeck-Haus de Berlin, située dans le centre historique de la capitale allemande, à deux pas de l’ancien Palais du peuple de l’ex-rda et des vestiges du Berliner Schloß des Hohenzollern, a accueilli du 25 au 28 août 1997, un séminaire sur « l’évaluation des performances et le management de la qualité dans les bibliothèques publiques ». Proposé dans le cadre des réunions satellites de la conférence générale 1997 de l’ifla, ce séminaire 1 était co-organisé par la section des bibliothèques publiques de la Fédération, le Deutsches Bibliotheksinstitut, la Zentral- und Landesbibliothek de Berlin et les bibliothèques municipales (Stadtbüchereien) de Düsseldorf.
La conférence a réuni quarante-quatre participants représentant les États-Unis et douze pays européens : Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grande-Bretagne, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Slovénie et Suède. A la demande du Deutsches Bibliotheksinstitut, chacun des pays participants avait, préalablement au séminaire, rédigé un rapport national dont la structure imposée devait permettre une lecture comparative : origines de l’évaluation, degré de formalisation des prescriptions, méthodes de mesure des performances en usage dans les bibliothèques publiques locales, objectifs visés par l’évaluation et perspectives dans le domaine de la gestion de la qualité.
État des lieux
La première intervention du séminaire a été celle de Philip Gill, secrétaire de la section des bibliothèques publiques (devenu, depuis Copenhague, président de cette même section). Il a fait la synthèse des informations recueillies grâce aux onze rapports nationaux. Cette synthèse, véritable état des lieux des pratiques d’évaluation en Europe et aux États-Unis, a rapidement révélé que la notion d’évaluation était chargée d’ambiguïté. Que recouvre en effet le mot « évaluation » ? Il n’avait pas été demandé aux rédacteurs des rapports nationaux de préciser l’acception du terme dans leur pays, ce qui est regrettable, car une information à ce sujet aurait pu éviter certaines confusions.
Ce que certains appellent « évaluation » n’est en fait que de la statistique affinée, c’est-à-dire la multiplication des indicateurs et des ratios permettant une analyse plus approfondie des moyens et des activités des établissements. Les origines des pratiques de cette « statistique évaluative » sont diverses : ce peut être une loi sur les bibliothèques, comme en Finlande, en Norvège et en Grande-Bretagne, des prescriptions ministérielles comme au Danemark, en Espagne et en France, l’initiative d’agences nationales pour les bibliothèques comme aux Pays-Bas et en Allemagne ou d’associations professionnelles comme aux États-Unis, avec la très influente American Library Association.
Un processus complexe
Peu nombreux sont en réalité les pays qui ont dépassé le stade de cette statistique élaborée pour atteindre celui de l’évaluation, processus plus complexe qui met en rapport des données quantitatives et qualitatives avec des objectifs fixés et explicités au niveau national (normes et prescriptions) et local (définition d’une politique culturelle et d’un niveau de service).
Ceux qui ont réussi à mettre en place une réelle démarche évaluative y sont parvenus pour deux raisons essentielles : parce que leurs bibliothèques sont inscrites dans un cadre institutionnel incitatif, ou du fait de la conjonction de différents facteurs – réforme de la gestion de la fonction publique, définition précise des missions de la bibliothèque, intérêt pour le développement de la qualité et des services et diminution des ressources financières. Ainsi que l’a indiqué Ulla Wimmer, du Deutsches Bibliotheksinstitut, c’est ce deuxième cas de figure qui a permis un rapide développement des pratiques de mesure des performances en Allemagne.
L’évaluation est alors une combinaison de statistiques et de données qualitatives par enquêtes, sondages ou relevés méthodiques (mesure de la satisfaction des usagers, disponibilité et qualification du personnel). Des calculs de coûts de gestion et de personnel sont également intégrés : la procédure initiée s’apparente à un contrôle de gestion raisonné, c’est-à-dire en lien direct avec les objectifs de l’organisation.
Les autres intervenants du séminaire ont souhaité mettre en évidence quelques aspects de la réflexion menée sur l’évaluation dans leurs pays respectifs : la Grande-Bretagne, le Portugal et l’Allemagne. Certains, comme les États-Unis et le Danemark, ont également voulu prendre du recul par rapport au consensus qui est en train de s’établir autour de l’évaluation – la mesure des performances est un thème très à la mode chez les professionnels des bibliothèques… On a également porté à notre connaissance le travail exemplaire fait en Allemagne par la Fondation Bertelsmann, organisme privé qui, depuis sa création, s’efforce de susciter chez les professionnels des bibliothèques publiques une réflexion de haut niveau sur les méthodes de gestion, l’évaluation et le contrôle de qualité.
Une norme internationale
Des travaux du pré-séminaire de Berlin, il ressort d’une manière manifeste que les professionnels des bibliothèques et de la documentation espèrent une normalisation internationale dans le domaine de l’évaluation. Le projet de norme internationale iso 11620 Documentation et information : indicateurs de performance des bibliothèques, en cours d’adoption à l’iso (International Standard Organization), pourrait répondre à leurs attentes, à condition que des relais incitent à l’utilisation de la norme et aident à son « décodage ». Ces relais pourraient être des structures internationales comme l’ifla ou la Communauté européenne, ou nationales, comme les agences de bibliothèques ou les administrations centrales.
La gestion de la qualité relève, quant à elle, d’une tout autre démarche que l’évaluation des performances. Contrairement à ce que l’on aurait pu logiquement penser, ce n’est pas toujours le couronnement d’une procédure d’évaluation aboutie. C’est parfois un processus indépendant dont l’initiative est plus liée à la place que l’usager occupe dans le système général de valeurs et au poids qui lui est accordé dans l’organisation documentaire qu’à une « gestion d’entreprise » de haut niveau. La gestion de la qualité en est encore, comme en témoignent les rapports nationaux et les interventions, à ses balbutiements. Des expériences déjà très élaborées ont cependant été relatées au cours du séminaire de Berlin : celles des États-Unis, de la Finlande et de la Norvège en particulier, qui montrent un évident respect de l’usager (et du citoyen).