La démarche qualité appliquée aux bibliothèques et services d'information
Conception et spécificités
Anne Mayère
Florence Muet
Pour être appliquées aux bibliothèques et services d'information, les démarches qualité doivent intégrer les particularités de ces organisations. Après avoir positionné ces démarches par rapport à d'autres approches managériales qui y sont plus ou moins développées, on propose d'identifier les points forts à prendre en compte pour une véritable adaptation : immatérialité et immédiateté du service rendu, participation de l'usager, importance centrale du vécu de la prestation de service par l'usager La qualité se trouve également au cur des compromis à trouver entre l'impératif d'intérêt général du service public, et les attentes fortes et parfois divergentes des « usagers-clients ». C'est par une approche pragmatique, progressive, transversale et participative que la mise en uvre des démarches qualité doit pouvoir s'opérer dans les bibliothèques.
To be applied to libraries and information services, quality management must be integrated into the particularities of these organizations. After placing these management procedures in relation to other managerial approaches which are more or less developed, we propose to identify the strong points to take into account for a true adaptation : the immateriality and immediacy of the service given, the unavoidable participation of the user, the central importance of a perceived benefit for the user, etc. The quality is also to be found at the heart of compromises between the imperative of public service, and the high and sometimes divergent expectations of the « clients/users ». It is through a pragmatic, progressive, transversal and participatory approach that the introduction of quality management can be made to operate in libraries.
Um in Bibliotheken und Informationsdiensten angewandt zu werden, muß die Qualitätssicherung die Besonderheiten dieser Organisationen berücksichtigen. Nachdem die Vorgehensweise gegenüber anderen Managementmethoden, die hier mehr oder minder entwickelt sind, abgegrenzt worden ist, werden die zu berücksichtigenden wichtigen Punkte für eine echte Anwendung identifiziert : Nicht Gegenstandlichkeit und Unmittelbarkeit des geleisteten Dienstes, Mitwirken des Benutzers, zentrale Bedeutung des Erlebens der Dienstleistung durch den Benutzer usw. Die Qualität hängt ebenfalls von zu findenden Kompromissen ab, einerseits von dem Imperativ des allgemeinen Interesses des öffentlichen Dienstes und andererseits von den großen und manchmal divergierenden Erwartungen der Benutzer als Kunden. Die Einführung der Qualitätssicherung in die Bibliotheken muß auf eine pragmatische, progressive und gemeinschaftliche Art und Weise vor sich gehen.
La notion de qualité est encore peu implantée dans les bibliothèques. Elle est relativement plus développée dans les centres de documentation et les services d’information, qui semblent plus perméables aux méthodes et techniques de gestion utilisées par les organismes qui les abritent.
Plusieurs études et publications professionnelles attestent de cette intégration 1. La démarche qualité semblerait donc à première vue s’implanter plus facilement dans des organismes documentaires dont une partie de l’activité est marchande. Le témoignage de l’Institut de l’information scientifique et technique présenté dans ce numéro 2 en est un exemple. C’est aussi le cas du service de documentation de la SOGREAH, société de services en ingénierie qui a obtenu une certification ISO 9000, et dont l’expérience est également relatée ici 3.
On aurait cependant tort de faire un amalgame rapide, qui limiterait l’intervention des démarches qualité au seul secteur marchand. Dès la fin des années 80, notamment avec la circulaire Rocard, le courant de la modernisation du service public affirmait la volonté d’une amélioration des relations entre les services publics et leur public 4. Cette tendance se décline aujourd’hui précisément autour de la notion de qualité. La publication récente d’un guide méthodologique pour l’élaboration de chartes de qualité dans les services publics 5 montre bien comment la problématique de la qualité, entendue comme projet d’amélioration du fonctionnement des services publics dans leurs relations avec leurs usagers, est une perspective actuelle.
Mais qu’est-ce que la qualité ? En quoi les démarches qualité peuvent-elles être adaptées aux bibliothèques et aux services d’information ? Notre propos n’est pas ici de recenser les principes de base qui fondent les démarches qualité – on se référera pour cela à l’article d’Éric Sutter 6 –, mais de positionner ces notions, d’une part, dans l’ensemble plus vaste du management des bibliothèques et des services d’information, d’autre part, en fonction des particularités de ces organisations.
Dans un premier temps, nous situerons les démarches qualité au regard d’autres approches voisines, discutées de plus longue date : l’évaluation, qui rencontre un intérêt marqué chez les professionnels des bibliothèques, et le marketing, qui suscite des prises de positions plus variées. Nous tenterons de montrer ensuite en quoi les bibliothèques présentent des spécificités à prendre en compte pour la mise en œuvre de la qualité. Enfin, nous mettrons l’accent sur quelques points de méthode de la démarche, qui peuvent permettre de renouveler le management des bibliothèques et des services d’information.
Les démarches qualité ne se conçoivent pas en dépit ou contre le service public, en dépit ou contre les services d’information et de culture. C’est au contraire bien à un service public toujours amélioré qu’il s’agit de contribuer, avec un souci d’efficacité renforcée.
Démarche qualité, évaluation et marketing
La démarche qualité peut se définir comme l’ensemble des actions que met en place une organisation pour assurer sa mission et atteindre la satisfaction du public. C’est donc une démarche globale. Dans ce sens, elle entre « en contact » avec d’autres préoccupations managériales de l’organisation, et doit se situer par rapport à elles. Nous retiendrons ici prioritairement deux de ces approches : la notion d’évaluation, et la démarche marketing.
La notion d’évaluation
Si la démarche qualité est encore relativement peu présente en tant que telle dans les bibliothèques, en revanche, la notion d’évaluation a au cours des dix dernières années fait couler beaucoup d’encre, a fait l’objet de colloques et débats, et justifié d’importantes publications dans les collections professionnelles 7.
Pour qui s’intéresse à la littérature professionnelle portant sur la notion d’évaluation appliquée aux bibliothèques, force est de constater l’ambiguïté et la polysémie qui caractérisent ce terme. Une tentative de clarification amènerait à distinguer deux niveaux de définition. Le terme évaluation est d’abord pris dans un sens très global de gestion de l’activité de la bibliothèque selon des objectifs préétablis. L’évaluation est alors définie comme la mesure de l’écart entre des objectifs et des réalisations : « Il faut entendre la définition de l’évaluation dans une succession de trois mouvements. Le premier est celui de la détermination des objectifs d’une action… Le second est celui de la collecte et de l’analyse des résultats de cette action. Enfin, le dernier mouvement est celui de l’appréciation de ces résultats et de l’écart, éventuel, entre ce qui était recherché et ce qui est atteint… » 8.
Cette approche suppose donc que la bibliothèque se fixe des objectifs (de moyens, de réalisations, d’organisation), qui établissent des niveaux de performance à atteindre. Dans ce sens, l’évaluation est considérée comme un véritable rocessus de management et de pilotage de la bibliothèque 9 : pour fonctionner de façon efficiente, la bibliothèque doit expliciter ses missions, se donner des buts, organiser son activité autour d’objectifs à atteindre, et, du coup, vérifier si elle les atteint. Les spécialistes des sciences de gestion, entendant ce discours, auraient tôt fait de retrouver, sous un vocabulaire différent, leurs propres concepts et approches : planification, objectifs, système d’information stratégique… Tout se passe comme si la notion d’évaluation permettait en fait de faire pénétrer dans les bibliothèques, mais de façon adoucie, les méthodes du management stratégique.
A un deuxième niveau, la notion d’évaluation est prise dans un sens plus restrictif de mesure de l’activité. L’évaluation, ce sont alors les statistiques « intelligentes » de la bibliothèque, agencées en tableaux de bord ; ce sont aussi les enquêtes et les études menées selon des dispositifs ad hoc, ou les bilans et rapports d’activité…
Là où réside l’ambiguïté, c’est que ces deux niveaux de définition sont utilisés ensemble, souvent en alternance, mais sans réelle articulation : ce sont presque toujours les mêmes auteurs qui définissent dans un premier temps l’évaluation par rapport à la logique des objectifs, et qui, par la suite, développant la notion, se limitent à l’énumération des activités et phénomènes mesurables à l’intérieur de la bibliothèque, sans qu’il n’y ait plus de référence explicite à un quelconque objectif.
Une deuxième difficulté tient à la nature des objectifs. Définir des objectifs très généraux, globaux, souvent qualitatifs, est nécessaire à la bibliothèque, et permet d’expliciter ses missions ou ses orientations générales. Mais ce niveau d’objectif est largement insuffisant. Si l’on en reste là, le processus d’évaluation tourne « à vide ». Pour fonctionner, la bibliothèque et les différents services qui la composent ont besoin d’objectifs opérationnels, intermédiaires, qui peuvent être définis comme des niveaux à atteindre dans un temps donné. C’est aussi par rapport à ces objectifs intermédiaires que peut se faire la mesure des réalisations.
Les dérives et les risques
La perception de l’évaluation comme processus global présente un risque majeur : le risque que la mesure devienne l’objectif, c’est-à-dire que les réalités observées tiennent lieu de raison d’être pour la bibliothèque, avec une référence lointaine à des objectifs vagues et déconnectés. La dérive est alors celle d’une approche maximaliste, où l’on cherche le tableau de bord idéal susceptible de « tout dire » sur la bibliothèque, jusqu’à la limite où « la carte devient le territoire ». L’existence, dans le processus d’évaluation des bibliothèques, d’une fonction plus ou moins avouée de légitimation de l’activité vis-à-vis des tutelles peut en partie, peut-être, expliquer cette dérive 10.
Intégrée au contraire dans le cadre d’une démarche qualité qui, elle, est fédératrice et englobante, l’évaluation prend tout son sens, en tant que dispositif de mesure, qui inclut un suivi de l’activité, mais qui n’a pas de fin en soi. Dans ce sens, l’évaluation s’intègre dans un processus global, dont elle est un moment nécessaire, mais insuffisant à lui tout seul. Réaliser cette intégration permet d’éviter certaines dérives.
Des dérives d’objectifs tout d’abord, puisque, rappelons-le, l’évaluation n’est pas une fin en soi, et n’a pas pour objectif de donner raison et sens à l’activité de la bibliothèque. Des dérives de moyens ensuite, dans la nature et l’ampleur du dispositif de mesure à mettre en place. Dans le cadre d’une démarche qualité, l’évaluation est complètement finalisée. La règle d’or de la constitution d’un tableau de bord qualité réside dans le choix judicieux et très sélectif de quelques indicateurs de qualité, permettant d’éclairer les quelques points clés de la démarche (indicateurs de conformité, indicateurs de progrès), compréhensibles par tout le personnel et jouant le rôle de support de communication et de mobilisation. L’attention au « Que mesurer ? » se double alors d’autres préoccupations, tout aussi essentielles : « Par qui ? », « Pour qui ? », et « Pour quel projet d’amélioration ? ».
Démarche qualité et marketing
Au contraire de l’évaluation et de son « succès » dans les bibliothèques, le terme de marketing fait l’objet de bien des réticences chez les professionnels des bibliothèques, voire d’un rejet en bloc a priori de la part de certains. Les uns ne voudront en voir que l’aspect strictement commercial : le marketing ne peut servir qu’à ceux qui ont quelque chose à vendre, autrement dit les activités marchandes, privées ; il n’est pas fait pour le service public.
D’autres considéreront qu’il y a là manœuvre manipulatrice : on ne cherche à déterminer avec précision les comportements d’achat et de consommation des clients que pour mieux les attirer, les contraindre, les influencer. D’autres encore rejetteront l’idée de segmentation, de ciblage du public, au nom d’une perspective égalitaire : la bibliothèque est là pour tout le monde ; tout le monde doit donc être servi, et de la même façon. On pourrait ainsi multiplier les objections relevées çà et là dans les discours des professionnels. En fait, le marketing, dans les bibliothèques françaises, constitue encore à l’heure actuelle une notion repoussoir (la situation est différente à l’étranger, notamment dans les pays anglo-saxons).
Or, indépendamment de toute perspective de « commercialisation », considérer que la mission centrale de la bibliothèque est le service rendu à l’usager, et la satisfaction des besoins de cet usager, revient à avoir une vision marketing de la bibliothèque ; admettre plus précisément que l’offre de service doit permettre de positionner la bibliothèque au sein de son environnement, c’est-à-dire par rapport aux attentes souvent différentes des acteurs en jeu, les tutelles, les usagers, les autres structures documentaires, c’est encore envisager la bibliothèque à travers la grille de lecture du marketing 11. Considérer enfin que la qualité est une notion pertinente et nécessaire pour la bibliothèque, c’est de fait se placer dans une perspective marketing.
Car les notions de qualité et de marketing sont intimement liées, ceci dans leurs fondements mêmes, et concourent ensemble au management des organisations, qu’elles soient privées ou publiques 12. Ces deux approches ont en effet ceci de commun qu’elles définissent l’activité d’une organisation par rapport à son public. C’est le public (l’usager-client actuel, mais aussi l’usager potentiel, l’usager futur) qui est l’arbitre de fond, qui est la référence première. Qu’on ne se méprenne pas ! Il ne s’agit certainement pas ici d’imposer un principe du « client-roi », mais plutôt de considérer que, dans l’arbitrage que doit nécessairement faire chaque bibliothèque entre les représentations qu’elle se fait de son métier et de sa mission, les attentes de sa tutelle, et les besoins de ses usagers, ces derniers doivent tenir une place privilégiée.
Satisfaire les besoins du public
Ainsi, parmi les concepts de marketing, la fameuse « orientation client » énonce comme principe de base que la mission de toute organisation est de s’adapter aux attentes et aux comportements de son public, et non pas l’inverse 13. Dans la même logique, la qualité n’est pas définie par rapport à des références internes à la bibliothèque, strictement techniciennes ou professionnelles, mais bien par rapport au degré d’adéquation aux besoins des usagers. La définition de la qualité est très explicite en ce sens : « La qualité est l’ensemble des caractéristiques d’une entité qui lui confère l’aptitude à satisfaire des besoins exprimés et implicites » (norme ISO 8042).
La qualité n’est pas définie en soi (dans ce sens, la démarche qualité ne vise pas à atteindre la perfection), mais comme une démarche adaptative visant à la satisfaction d’un besoin. Le marketing procède de la même logique : c’est l’identification des besoins des usagers qui permettra de définir l’offre de la bibliothèque. Au final, qualité et marketing vont de pair, parce que les deux approches proposent un retournement assez radical de perspective : la perception qu’a le professionnel de sa bibliothèque n’est pas autocentrée, mais intègre et privilégie de façon systématique et fondamentale le point de vue de l’usager. L’évolution que suppose cette nouvelle perspective est bien repérable par exemple dans les articles de Magali Rasolo et Claire Vayssade dans ce même numéro 14.
Les démarches qualité ne viennent donc ni en substitut ni en alternative au regard des démarches d’évaluation ou des approches marketing. Elles supposent par contre de clarifier certaines acceptions, comme nous l’avons vu à propos de l’évaluation. Est-ce à dire pour autant que les méthodes de la qualité sont directement transposables aux bibliothèques ? En quoi les bibliothèques présentent-elles des spécificités qui amènent à décliner de façon spécifique les démarches qualité ? La réponse qui peut être faite à cette question comporte deux volets.
D’une part, les bibliothèques présentent les particularités des services, ces caractéristiques étant en l’occurrence d’autant plus marquées qu’il s’agit d’un service intellectuel et culturel. Or ces particularités des services, sans mettre en cause les principes généraux des démarches qualité, supposent que l’on soit plus attentif à certains aspects. D’autre part, les bibliothèques relèvent des services publics, ce qui amène à considérer plus précisément ces fameux « clients » qui constituent le référentiel-clé de toute démarche qualité.
Les bibliothèques et les démarches qualité : quelles spécificités ?
Des travaux nombreux de chercheurs et professionnels des services ont permis de bien cerner les particularités des services 15. Nous allons ici en explorer certains aspects principaux pour préciser sur cette base les exigences et contraintes des démarches qualité en bibliothèques et autres services d’information.
Opacité du résultat potentiel et question de confiance
Toute organisation offrant des services a ceci de particulier qu’elle ne peut, lorsqu’un client pénètre dans ses murs, lui proposer d’emblée ce qui sera l’objet de l’échange (qu’il soit marchand ou non). Tout le potentiel requis pour fournir le service peut être réuni, la bibliothèque prête à répondre aux services annoncés, mais le service effectif et son résultat ne pourront intervenir qu’une fois la demande formulée et le processus de service mis en œuvre. Qui plus est, le résultat lui-même est souvent difficile à bien cerner : y a-t-il résultat parce que l’usager repart avec un ouvrage, un ensemble d’informations, ou ce résultat tient-il à l’usage qui pourra en être fait ? Plus le résultat en terme d’usage est immatériel et s’inscrit dans un horizon à moyen-long terme, plus l’incertitude initiale des usagers peut être grande lorsqu’ils abordent une bibliothèque.
Il y a pour l’usager une prise de risque lorsqu’il franchit le seuil d’une bibliothèque, et ce d’autant plus s’il n’a pas une pratique importante de ce type de service en général, et de tel établissement en particulier. Quel temps devra-t-il consacrer à sa recherche ? Sera-t-il confronté à des questionnements ou des dispositifs techniques supposant des efforts de compréhension importants, ou susceptibles de lui faire « perdre la face » ? Quelle probabilité y a-t-il de repartir bredouille ? Tout professionnel aguerri qui se joue des classifications les plus complexes ou des organisations dans l’espace les plus inattendues devrait se souvenir, ne serait-ce qu’un instant, du premier jour où il a eu recours à d’autres services pour lesquels il était moins averti…
Pour celui ou celle qui envisage de recourir à la bibliothèque, sont notamment en cause potentiellement le temps dont il ou elle dispose, sa confiance en soi, l’agrément ou le désagrément d’une relation avec des professionnels. C’est ce qui fait toute l’importance d’une bonne lisibilité de l’offre de service : les spécialistes du marketing des services insistent ainsi sur toutes les modalités qui permettent de matérialiser un service immatériel, ne serait-ce qu’en lui donnant des critères objectifs de référence (tels que les délais d’attente, ou la qualité formelle des documents remis, mais aussi la cohérence et la lisibilité de l’information sur les services offerts).
C’est également ce qui conforte l’importance de l’accueil et de la relation plus globale au personnel, ainsi que de l’environnement avec ce qu’il véhicule comme sentiment de confort ou de rejet. Le travail mené à la bibliothèque centre ville de Grenoble – et évoqué par Jeanne-Claude Greslou dans ce numéro 16 –, a montré comment une observation minutieuse de la perception du lieu et de sa signalétique par les usagers permet de mieux cerner comment peuvent être améliorés l’accueil et l’accompagnement des usagers par une nouvelle disposition des lieux, tout en renvoyant également sur des questions plus fondamentales au plan de la relation de service et des services offerts.
Le résultat du service ne survient qu’une fois la relation de service établie ; la contrainte en retour tient à ce que la « mise au rebut » de services défaillants est impossible. Une entreprise fabriquant des biens garde ce dernier recours de la mise à l’écart des produits non conformes avant qu’ils ne sortent de ses murs. Dans les services, le résultat non conforme l’est le plus souvent au vu du client. Ces défauts, et ce d’autant plus lorsqu’ils sont perçus comme majeurs, participent à ce bouche-à-oreille négatif qui a tôt fait de donner aux tutelles ou autres décideurs l’impression que rien ne va plus dans tel établissement 17.
C’est ce qui fait toute l’importance d’une mise à plat des défauts perçus par les usagers. A court terme, les méthodes qualité insistent sur la nécessité de mettre en place des actions correctrices ou réparatrices, sachant que reconnaître le défaut évite au moins le départ ulcéré de l’usager furieux. Au-delà, une priorité de la démarche qualité à moyen terme 18 est de reconcevoir les processus concernés pour éviter la réapparition de tels défauts.
Adéquation des attentes des usagers et du service rendu
Qui n’a pas eu un jour en face de lui un guichetier lui énonçant : « J’ai fait ce que je vous avais annoncé, alors, que voulez-vous de plus ? »
Le service, comme nous le notions précédemment, est immatériel, il consiste en « une action sur » des connaissances préexistantes de personnes, sur des documents, sur des informations. En cela, tout offreur de service est dans une situation bien différente de celui qui, commercialisant un bien, peut en présenter les caractéristiques, quand bien même on sait la diversité de perception de ces caractéristiques.
De là résulte une exigence qui s’avère particulièrement marquée dans les services, et que synthétise efficacement l’assertion suivante : « Se suffire du service fait ne suffit pas ». L’appréciation du service s’opère dans un jeu entre trois termes : le service attendu par l’usager, souvent flou, et qu’il exprime avec plus ou moins de clarté ; le service proposé par le professionnel, qui n’est pas toujours bien compris dans ses tenants et aboutissants par l’usager non averti, et le résultat du service, qui est lui aussi diversement perçu.
Spontanément, le professionnel, pour apprécier la qualité de service, aura tendance à confronter le service obtenu au service qu’il avait annoncé : il s’agit d’une conformité technique. L’usager est avant tout préoccupé quant à lui par l’adéquation relative entre ce qu’il attendait (attente qui a pu se préciser ou se déliter selon la façon dont s’est déroulée la relation de service) et ce qu’il perçoit du résultat. Les risques d’incompréhension sont importants. Il en résulte une exigence forte pour les professionnels : dans les services plus encore que dans d’autres activités, les professionnels ne peuvent s’en tenir à la seule conformité de ce qui est obtenu au regard de ce qui était annoncé.
Il n’existe pas en la matière de solution unique et universelle. Pour vérifier l’adéquation entre les attentes et le service proposé, des « points de contrôle » peuvent être imposés, au cours desquels le professionnel vérifie sa bonne compréhension des attentes et interroge son interlocuteur sur l’adéquation du cheminement et des résultats intermédiaires obtenus : de telles dispositions seront plus particulièrement adaptées à des services sur mesure tels que la recherche documentaire informatisée. Dans certaines situations de service, des formes de « scripts » de situations-types peuvent être élaborées en commun par les professionnels concernés pour chercher à atteindre le plus possible une réponse cohérente et correspondant à la meilleure pratique du moment. Ainsi les situations d’accueil centralisé avec personnel tournant peuvent tout à fait justifier d’une telle approche.
La qualité du dialogue, son caractère professionnel sont directement en jeu. Or, dans nombre de services et notamment dans les bibliothèques, la tendance dominante reste de considérer que la capacité à accueillir et à dialoguer de façon adéquate, tant sur la forme que sur le fond, relève des savoir-faire de base de toute personne normalement socialisée. Tout professionnel ayant eu à tenir un poste d’accueil pour la première fois, et même pour la centième, perçoit bien pourtant que la question est plus complexe, et combien les savoirs innés peuvent s’édulcorer fort rapidement en période de pointe, de fatigue, en cas de manque de personnel, d’équipement en panne, de questions inusitées… c’est-à-dire la plupart du temps.
Professionnaliser la relation de service, c’est ainsi prendre en compte plus explicitement ce qui est une dimension-clé, mais en bonne part négligée de l’activité professionnelle. Comme dans nombre de professions de service, les activités traditionnellement valorisées par les professionnels des bibliothèques sont celles qui ont lieu dans le secret des bureaux, loin de l’agitation des salles de lecture. Il n’est qu’à voir comment le temps passé au service des lecteurs est généralement inversement proportionnel à la position dans la pyramide hiérarchique.
Reconnaître la relation de service comme dimension-clé de la professionnalité, en développer les savoirs et savoir-faire, sont autant d’impératifs que ressentent un nombre croissant de professionnels. Mais beaucoup reste à faire, de façon à mieux connaître cette activité, à l’instrumentaliser efficacement, et faire évoluer sur cette base les pratiques et les représentations. C’est en bonne part à ce travail que s’est attaquée l’équipe de la bibliothèque municipale de Lyon à travers sa démarche qualité sur l’accueil que présentent Anne Meyer et Anne-Christine Collet dans ce même numéro 19.
Un impondérable qui conditionne la qualité : l’usager
Nous avons d’ores et déjà exploré des caractéristiques fortes des services, telles que l’immatérialité, ou l’instantanéité, qui tient à ce qu’interviennent simultanément le service et son résultat. Mais la spécificité des services peut-être la plus marquée vient du fait que le client participe au service, il en est le coproducteur. L’usager participe en exprimant son besoin, en fournissant tout ou partie des indications nécessaires (priorités, critères d’exigence…), en réalisant certaines opérations par une autoproduction. C’est ce que Pierre Eiglier et Éric Langeard 20, qui ont été parmi les premiers chercheurs français à réfléchir sur les services, ont appelé la « servuction », condensé de service et production. La relation aux professionnels peut être très variée dans le cadre de cette servuction, et ne passe pas nécessairement par un échange interpersonnel approfondi 21 : l’usager peut être invité à faire faire, à faire avec, ou à faire par lui-même dans le dispositif conçu à cet effet 22. L’important est que le parcours proposé corresponde à ses attentes et possibilités, ce qu’une démarche qualité peut permettre d’améliorer (sachant que les options de base relèvent d’une réflexion stratégique et marketing plus en amont, comme nous l’indiquions précédemment).
Qu’il agisse par lui-même ou en relation avec des bibliothécaires, l’usager est donc partie prenante du dispositif de service, et il en est l’élément impondérable par excellence. Quel que soit le raffinement avec lequel auront été pensés les différents services offerts, les divers parcours potentiels dans la bibliothèque, ils ne pourront jamais épuiser l’ensemble des comportements effectifs ! Cette intervention des usagers dans le processus même de production est d’ailleurs la raison pour laquelle le droit exclut les activités de service de l’obligation de résultat et les astreint à la seule obligation de moyens 23.
Il résulte de la participation de l’usager que la qualité ne peut être obtenue « malgré » les usagers. Elle doit l’être en obtenant le plus possible leur participation, leur contribution à la qualité. Il s’agit notamment dans ce cadre de favoriser tout ce qui va dans le sens d’une augmentation de leurs compétences et de leur autonomie, et de les informer sur les comportements favorisant l’efficacité du service (ce qui n’est pas, évidemment, plier l’usager sous les fourches caudines des professionnels !). Les expériences actuel les sur la formation des usagers participent de cette approche, notamment celles qui s’écartent de la pédagogie traditionnelle en cherchant à intégrer les logiques et modes de fonctionnement des usagers.
La participation des usagers est à l’origine de l’hétérogénéité des services, que certains invoquent pour argumenter sur l’impossibilité qu’il y aurait à définir des standards de service. Certes, les usagers soumettent des demandes diverses, requièrent des parcours singuliers, attribuent une importance variable aux critères de réalisation et de résultat. Mais, si les résultats sont toujours spécifiques, les processus de service peuvent être établis en fonction des meilleures pratiques du moment.
Par ailleurs, la diversité également importante des attentes vis-à-vis des biens n’a pas empêché leurs producteurs d’établir des référentiels précisant le respect nécessaire de critères-clé, sélectionnés à partir du questionnement et de l’observation des usagers. De même, en bibliothèque, est-il non seulement possible mais nécessaire d’établir des référentiels de services, susceptibles de cadrer l’efficacité recherchée à un moment donné. Quel peut être le temps d’attente d’un ouvrage ? Le délai de réponse à une question ? La variété ou le niveau de complétude d’une réponse à une demande d’information ? L’établissement de tels référentiels est un exercice on ne peut plus utile tant pour préciser les objectifs opératoires que pour élaborer les bases d’évaluation de la démarche qualité. La contribution de Peter Brophy 24 insiste fort utilement sur ces aspects.
Qualité du résultat du service et de la prestation de service
Des éléments précédents découle la caractéristique suivante : parce que l’usager est partie prenante, qu’il est engagé dans la production du service, son appréciation sur la qualité va concerner à la fois :
- le résultat final (a-t-il ou non obtenu le document, l’information recherchés ?) ;
- et la prestation (combien de temps a-t-il attendu ? Comment se sont passées ses interactions avec les personnels, avec les moyens mis à disposition ?).
La qualité de la prestation s’avère tout à fait essentielle, alors qu’elle est souvent sous-estimée par les professionnels qui privilégient les techniques spécialisées (quel que soit le service, en l’occurrence), et se focalisent sur ce qu’obtient l’usager en considérant comme secondaire la façon dont il l’a obtenu. Or cette qualité de la prestation est d’autant plus importante qu’elle conditionne en partie la qualité du résultat : en effet, une coproduction efficace et agréable va mettre l’usager en confiance, et l’aider à mieux formuler ses attentes, à opérer plus efficacement avec les moyens mis à disposition.
Dans ce qui conditionne la qualité de la prestation, l’importance de certains aspects déjà abordés est ainsi confirmée :
- le rôle crucial de la conception et de l’organisation adéquate des postes de travail en contact avec les usagers ;
- la nécessité d’un environnement favorisant la relation de service souhaitée (sachant que les caractéristiques requises peuvent varier selon le service ou le type d’usagers : le service convivial et personnalisé n’est pas toujours le plus adéquat !) ;
- la nécessité d’une « orientation client », y compris dans les composantes de l’organisation qui ne sont pas en contact direct avec le public.
Ce point est essentiel, et conduit à souligner le caractère vain ou du moins intrinsèquement limité d’une démarche d’amélioration qui ne concernerait par exemple que les postes d’accueil. Que peut le personnel à l’accueil, en dehors d’augmenter son niveau de stress, s’il est seul à se soucier d’apporter une réponse adaptée aux usagers ? Que peut-il par exemple si les services administratifs refusent de répondre à ses questions parce que leur horaire est différent ? Et pourtant, l’usager, lui, est là, et ne souhaite guère revenir une énième fois… Que peut-il si son terminal informatique ne fonctionne pas, et si aucun technicien du service informatique ne peut se rendre disponible ? Les exemples pourraient être ainsi énumérés indéfiniment.
Les composantes de la bibliothèque qui ne sont pas en contact direct avec les usagers sont fort naturellement gagnées par leur propre tropisme, qui leur fait privilégier des rythmes et priorités autres que ceux requis pour le service aux usagers. Ces derniers sont bien loin, il est facile de s’en faire une représentation simpliste et instrumentale.
C’est la raison pour laquelle les démarches qualité insistent tant sur la nécessité de projets d’amélioration et de groupes de travail qui soient transversaux à différentes composantes, et qui impliquent notamment des composantes « d’arrière-boutique ». Les principales sources de dysfonctionnement se situent en effet à l’interface de différentes fonctions, de différentes composantes : la mise à plat des contributions de chacun et des zones de défaillance, à travers l’analyse de processus, permet très aisément de repérer des améliorations à fort effet de levier, alors que des actions individuelles isolées, même répétées, restent sans succès. L’analyse qu’a réalisée Jeanne-Claude Greslou en observant le circuit d’acquisition d’une bibliothèque universitaire montre bien les incohérences auxquelles peut aboutir une vision parcellaire des éléments de la chaîne de traitement.
Cette nécessité du caractère transversal et progressivement diffus de la démarche tient également à ce que la démarche qualité, pour se développer, doit pouvoir s’étendre à l’ensemble de la structure, au risque sinon de tirer à hue et à dia entre des conceptions de l’activité et de son contrôle radicalement différentes. L’expérience que présentent Claire Vayssade et Janine Guiton de la démarche initiée au dépôt légal de l’Agence bibliographique nationale de la Bibliothèque nationale de France l’illustre fort clairement.
Intérêt général et service à l’usager
En entendant les principes généraux des démarches qualité, certains professionnels des bibliothèques peuvent avoir une première réaction épidermique vis-à-vis du terme de « client », d’autant plus utilisé par ces approches qu’il s’agit de le mettre au cœur de l’organisation. Mais au-delà apparaissent rapidement des questions sur la possibilité même d’appliquer ces démarches à un service public. Les usagers peuvent-ils à eux seuls constituer la référence pour définir la qualité de service 25 ?
C’est toute la notion de service public qui est en jeu dans cette question. Comme le relève le Commissariat à la réforme de l’État, « cette nécessité d’arbitrage permanent entre les attentes des usagers et l’intérêt général – à plusieurs niveaux – est l’essence même de la notion de qualité » 26.
Une première remarque peut être faite. Une façon économe de résoudre cette tension entre les missions et les attentes des usagers a pu passer dans de nombreux services publics par le fait que telle ou telle instance ou groupe professionnel se faisait le porte parole de l’intérêt général, renvoyant les usagers au rôle de subordonnés. Les démarches qualité obligent à revenir sur cette façon de faire. Il ne s’agit certes pas de soumettre l’intérêt général aux intérêts particuliers individuels ou de groupes délimités. Mais il s’agit d’améliorer la transparence de l’offre et des règles, la participation des usagers et l’adaptation des services à leurs attentes, en rejoignant en cela très directement les principes réaffirmés par la circulaire du Premier ministre du 26 juillet 1995 relative au service public 27.
Il n’est pas inutile de relever que les services publics dont font partie les bibliothèques sont loin d’être, mutatis mutandis, les seuls à se situer à la convergence de logiques potentiellement contradictoires. Ainsi un organisme de formation continue a-t-il à gérer la diversité des attentes et exigences qui peuvent exister entre des directeurs des ressources humaines, des candidats à la formation, et leurs responsables hiérarchiques, sans compter la conception qu’ont les formateurs sur le projet de formation.
Cette pluralité se retrouve dans les bibliothèques, mais avec qui plus est des ordres de logique différents. La définition des priorités en matière de qualité, ou d’un référentiel qualité, suppose de rechercher un compromis entre les exigences et contraintes :
- des usagers, qui sont pluriels : des usagers actuels dont certains peuvent déborder de la mission première de la bibliothèque, tout en se manifestant largement ; des usagers potentiels, qui posent la question des priorités relatives à leur (re)conquête ;
- des tutelles, dont il faut préciser au cas par cas les caractéristiques : tutelles directes des présidences d’université ou des assemblées d’élus, tutelles plus éloignées mais agissantes des ministères ;
- des missions, établies lors de l’ouverture de l’établissement, ou conçues de façon générique pour une catégorie de bibliothèque, et dont la définition est souvent si générale, qu’il est bien difficile d’en faire la base d’une ligne cohérente de conduite au jour le jour. Or les démarches qualité supposent que soient définis des objectifs qui soient opératoires, avec une progression qui soit susceptible d’être mesurée, même s’il est évident que jamais une mesure ne pourra épuiser toute la richesse et la pluralité de ce qu’elle cherche à évaluer.
La qualité, une construction sociale
Ce compromis est toujours relatif à un moment et un contexte donnés. Aussi serait-il vain de chercher à construire un référentiel qualité susceptible d’être appliqué à toute bibliothèque, même si une grille indicative serait bien sûr envisageable. La qualité est une construction sociale, elle est toujours relative. Sa définition suppose que soient clarifiées les exigences et contraintes de chaque élément du système, et leurs interrelations : ce travail d’élucidation est souvent progressif, et opère par itérations successives. C’est un travail qui peut être ingrat notamment dans ses débuts, et qui est souvent difficile : le flou laisse parfois des marges de manœuvre appréciables pour concilier des attentes diverses, et changer de façon de dialoguer ne se décrète pas. C’est en même temps une condition de maturation nécessaire pour dépasser la seule surface des améliorations formelles, et réaliser des accroissements de qualité sur ce qui constitue le contenu et le processus même du service.
C’est notamment ce qui fait toute l’importance d’une écoute nouvelle aux usagers, qui passe, comme relevé par de nombreux auteurs, moins par des enquêtes quantitatives lourdes que par une approche qualitative de leurs attentes et perceptions 28. C’est aussi toute la question d’un dialogue renouvelé avec les tutelles, qui dépasse la question des moyens pour aborder de façon approfondie les politiques et les objectifs de moyen-long terme.
Sortir des ornières des habitudes
Si ce travail de clarification progressive est nécessaire, il n’est en rien un prérequis, et le principe est bien au contraire que l’on progresse, sur ce plan comme sur d’autres, chemin faisant. S’il est en fait une caractéristique des démarches qualité, c’est bien en effet qu’elles sont très pragmatiques. Les démarches qualité empruntent à la gestion de projet et plus largement au management du changement la conception d’une approche étape par étape, avec pour chaque groupe d’amélioration de la qualité un objectif, un délai, et des moyens précis.
La rigueur est aussi celle des méthodes de travail. Dans les démarches qualité, « les décisions s’appuient sur des faits et sur des informations précises et objectives » 29. Il s’agit d’interroger les diverses opinions qui circulent pour en venir aux faits et à l’expression précise des difficultés et attentes des personnes concernées, et sortir ainsi des ornières des pré- diagnostics erronés et des solutions qui déplacent ou confortent les problèmes au lieu de les résoudre.
Il s’agit également de suivre des méthodes d’analyse qui rompent avec la tendance usuelle à parer au plus pressé en se précipitant sur une solution, quitte à remettre sur le chantier la solution inadéquate et ses effets néfastes quelque temps plus tard. Méthode de résolution de problèmes, méthode d’analyse de la valeur, arbre causes-effets, diagramme de Pareto, tels sont certaines des méthodes et quelques outils sur lesquels prennent appui les démarches qualité. Il n’est pas de passage obligé en la matière. L’exigence par contre est de renoncer à jouer à Monsieur Jourdain, en prétendant sortir des ornières avec les mêmes façons de travailler que celles qui y ont conduit.
Les démarches qualité sont explicitement modestes sur le court terme et ambitieuses dans le moyen-long terme. Il est courant de dire qu’une démarche qualité n’est vraiment perceptible pour les usagers que trois à quatre ans après son lancement. Les effets internes sont en revanche très vite sensibles, ne serait-ce que par les décloisonnements et les nouvelles façons de travailler en réunion qu’elles favorisent.
Cette rigueur, ce formalisme, ce renoncement au changement immédiat apparaissent très explicitement dans le compte rendu de notre collègue australien, John Graham, qui relate l’expérience de la State Library de Nouvelle-Galles du Sud 30. Or ce sont peut-être les caractéristiques des démarches qualité qui rebutent le plus spontanément nos esprits latins. Ne restons-nous pas marqués par l’attente « du grand soir », de cette révolution ou de ce changement providentiel susceptible de tout transformer en un tour de main ? L’impatience est souvent très vite perceptible : trois ans ! Mais qu’est-ce à l’échelle d’une organisation ? Et n’est-il pas fréquent de retrouver les plus pressés dans la même configuration quelques années plus tard ? Le défi des démarches qualité ne réside-t-il pas avant tout là : que nous parvenions à nous approprier le pragmatisme anglo-saxon quitte à le réinventer, à le métisser, à travers un projet réinvesti et repensé de service public, et de service culturel et d’information.
La qualité, un mode participatif
Un autre défi a trait à ce que supposent les démarches qualité dans la conception même de la direction d’un établissement, de son management. Un principe-clé des démarches qualité tient à leur mode participatif, qui invite à collaborer dans des groupes d’amélioration de la qualité des professionnels de différentes catégories et différents services, pour des travaux d’analyse et de recherche de solutions où les rapports hiérarchiques traditionnels doivent au moins pour partie laisser la place à une écoute et une élaboration partagées.
Une telle approche suppose de la part des responsables qu’ils acceptent une certaine capacité d’initiative et d’autonomie de la part de leurs subordonnés, étant bien sûr entendu que ces initiatives et autonomies sont finalisées par les objectifs de l’établissement. En cela, il est clairement difficile, voire impossible, d’implanter de telles démarches dans des organisations où règne en maître un management traditionnel et autocratique. Mais il peut s’introduire de proche en proche dans les composantes les plus ouvertes à de telles approches.
Lancer une démarche qualité suppose également que les responsables adhèrent à l’idée d’appliquer la démarche à leur propre activité. En la matière comme en d’autres, il ne s’agit certes pas d’un prérequis ni d’un changement brutal. Ce changement peut et doit s’introduire progressivement, d’autant qu’il est potentiellement conséquent. En effet les démarches qualité interrogent le management dans la façon même dont il conçoit ses fonctions et dont il établit ses pratiques, rejoignant en cela tout un ensemble de réflexions sur l’évolution du management des entreprises.
Au travers des différents points que nous venons de développer, le lecteur peut, nous l’espérons du moins, mieux voir qu’un des grands intérêts de la démarche qualité, revigorant au demeurant, est qu’elle amène à se représenter la bibliothèque de façon renouvelée. Elle induit de nouvelles relations avec l’usager, fondées sur la prise en compte renouvelée de ses besoins et de ses comportements, et sur le désir d’une « coconstruction » efficace du service. Elle propose un mode réaliste de gestion du changement, préférant les approches pragmatiques et progressives, mais coordonnées. Elle amène aussi à un autre management des personnels et des équipes, en proposant un cadre global à l’intérieur duquel chacun, dans la bibliothèque, peut se situer et trouver plus de latitude pour gérer son propre changement. Les témoignages qui suivent, chacun dans un environnement différent, permettent d’illustrer et de concrétiser plus avant ces différentes évolutions.
Octobre 1997