Document numérique, n° 1, 1997.
Les éditions Hermès, qui proposent à l'attention des spécialistes de nombreux ouvrages extrêmement détaillés sur les tendances les plus avancées de la technique informatique, ont mis en oeuvre une nouvelle revue, Document numérique, dans un domaine déjà bien encombré, notamment par des publications anglo-saxonnes.
Les praticiens en priorité
Son originalité, telle qu'explicitée par Gérard Dupoirier (de Rank Xerox), est de s'adresser « en priorité aux praticiens », mais aussi aux « décideurs », et de « vouloir répondre également aux questions dont les réponses sont dans la "connexité" avec d'autres disciplines ». Autant dire que le champ d'investigation et de réflexion est vaste, ce dont témoigne à l'envi, quoique d'une manière plus ou moins satisfaisante, ce premier numéro.
S'agissant d'une revue en devenir, et d'un nombre élevé de contributions, il est difficile d'établir une synthèse thématique ou documentaire des contenus. Tout au plus peut-on relever, ici ou là, et de manière forcément impressionniste, tel ou tel article, sans souci d'exhaustivité.
La complexité des techniques
Abdel Belaïd présente les outils logiciels utilisés pour la reconnaissance et la compréhension des structures de documents papier une fois numérisés, et notamment des fiches catalographiques. Il ne cache pas les difficultés de l'entreprise et la complexité des techniques mises en uvre ; on reste souvent perplexe devant l'intérêt de telles démarches, dans la mesure où, aujourd'hui, une grande majorité des documents concernés sont originellement sous forme électronique, et où l'utilité d'obtenir de manière structurée, sous forme électronique, des documents anciens sera de moins en moins évidente.
D'autres textes, encore plus techniques, semblent aussi plus facilement opérationnels : ainsi de la remarquable présentation par Bernard Prost de l'utilisation de sgml (Standard Generalized Markup Language) par les éditions du fameux Vidal : en sept pages illustrées de nombreux exemples, il en dit plus sur l'intérêt pratique d'un tel format que bien des discours généraux sur cette même question. On est d'autant plus troublé, alors, de constater que le texte suivant, « XML (Extensible Markup Language) : une voie de convergence entre SGML et HTML (Hypertext Markup Language) » se propose d'établir un « dialecte simplifié » de SGML, à mi-chemin entre les approximations de HTML et l'élaboration complexe de SGML. Par-delà la pertinence technique, qu'il est soit dit humblement difficile d'évaluer, on s'étonnera de ce souci constant, dans le monde informatique, de construire de nouveaux standards avant même que se soient établis ceux qu'on a précédemment élaborés.
Dans le même souci de « faire court », qui semble décidément favoriser pertinence et clarté, on retiendra le point fait par Isabelle Pottier sur « les avancées légales en matière de dématérialisation documentaire ». L'essentiel est dit, et les principaux textes officiels utiles en la matière recensés. Pour les vrais spécialistes, « praticiens » avancés, l'article de Pierre Attar offrira d'intéressantes perspectives sur les voies d'adaptation des codages informatiques aux besoins spécifiques de populations scientifiques données.
Comme un passage dans une fête foraine
Il est dommage que ce type d'exposé ne soit pas plus présent dans ce premier numéro. Ce devra être le cas dans les suivants, car il faut bien reconnaître que d'autres textes, beaucoup plus étendus, n'en gagnent pas pour autant en acuité.
Ainsi, l'exposé d'Yves Stern, sur « les quatre dimensions des documents électroniques », et la « réponse » de Marie-Anne Chabin, dans le second volume, sur « la cinquième dimension de l'archive numérique », laisseront perplexes. Celui de Pierre Lévy laissera quant à lui incrédule : on sait que, dans le cercle très fermé des « gourous de la cyberculture », cet auteur est bien placé, quelque part entre Négroponte et Joël de Rosnay. Pour tenir son rang, il doit sans doute faire assaut d'audace et de provocation. Si elle ne laisse pas indifférent, son envolée étourdit quelque peu le lecteur, comme après un passage dans une fête foraine 1.
Plus classiques mais plus solides, le texte de Jacques Chaumier et Martine Dejean, et celui de Jean Michel, n'apporteront, au « praticien » bibliothécaire cette fois, que peu d'éléments nouveaux, mais une synthèse toujours utile et actualisée. Du premier, on retiendra que « le formidable développement d'Internet ne fait que poser encore plus intensément le problème de l'approche linguistique dans la recherche documentaire ». Et, du second, le savoureux raccourci de l'auteur : « L'informatique documentaire... devait supprimer les documentalistes. Le Minitel devait les achever et l'intelligence artificielle les enterrer... Plus les outils sont performants et les agents artificiels complexes et donc "intelligents" pour les utilisateurs "moyens", plus la médiation professionnelle s'avère nécessaire ». Même si l'on ne partage pas nécessairement cet optimisme, il est pour le moins roboratif.
Chronique typographique
Un peu paradoxalement, c'est la délicieuse chronique de Jacques André qui, en fin de revue, emporte le plus facilement l'adhésion. Sous le titre « Chronique typographique », il vient à point nommé rappeler qu'un document numérique est d'abord et avant tout un document, et qu'il doit être conçu en respectant un certain nombre de règles qui sembleront à beaucoup archaïques, mais qui conservent tout leur intérêt dans le monde virtuel.
Deux volumes pour ce premier numéro sont trop peu pour juger d'une revue qui doit « s'installer » dans la durée, s'il est loisible dans une évolution aussi précipitée. Si la ligne éditoriale s'affine et s'affirme, si le choix des textes privilégie des approches concrètes et pragmatiques, un souci presque didactique et en tout cas synthétique, il est certain que Document numérique trouvera sa place, facilement, dans tout établissement documentaire forcément confronté à l'avènement de cette nouvelle forme de diffusion de l'information.