The Internet, Networking and the Public Library
En regard de l'enquête nationale menée aux États-Unis 1, les contributions rassemblées dans cet ouvrage dressent le tableau de la situation anglo-saxonne en matière de connexions à Internet dans les bibliothèques publiques.
Historiquement, l'irruption des nouvelles technologies de l'information et de la communication ou ntic (et leur accessibilité auprès du public britannique) y est présentée comme la suite logique d'un processus de démocratisation du savoir. De la même manière, les nécessités du travail en réseau pour tous les professionnels des bibliothèques trouvent avec Internet un outil dont l'efficacité ne souffre ni le doute ni les tergiversations (trop souvent présents dans les établissements français).
Un patchwork d'initiatives est ainsi présenté, sur lequel il serait fastidieux de se pencher en détail ici, mais auquel le lecteur pourra se reporter s'il souhaite s'informer des différentes expériences menées de l'autre côté de la Manche 2.
Des enquêtes parallèles
Sarah Ormes et Charles R. McClure se penchent quant à eux sur la situation comparée des États-Unis et de la Grande-Bretagne : « A Comparison of Public Library Connectivity in the usa and the uk ».
En effet, comme le rappellent les auteurs, des enquêtes nationales ont été menées conjointement dans les deux pays à la même période (fin 1995/début 1996) 3. Commanditée par la Library and Information Commission (LIC), l'enquête anglaise a été prise en charge par le UK Office for Library and Information Networking (UKOLN) et traitée par le British Library Research and Development Department (BLRDD).
Un questionnaire a été envoyé fin 1995 aux 167 structures d'encadrement (Library authorities) qui maillent le territoire britannique. Ces institutions, fondées sur une aire géographique spécifique (en général, les comtés), peuvent avoir la responsabilité d'une centaine de bibliothèques publiques (alors désignées comme individual libraries). Cette organisation spécifique a permis d'obtenir un taux de réponse de 100 %, mais la précision des données n'est dès lors pas toujours comparable à celle des chiffres de l'enquête américaine.
Seuls 3 % des bibliothèques publiques britanniques possèdent un accès au réseau, contre 45 % aux États-Unis. Cela ne paraît pas surprenant puisque les établissements américains ont commencé à explorer les possibilités d'Internet dès le début des années 1990, tandis que les efforts anglais ont surtout porté sur ces deux dernières années. L'absence d'une véritable politique gouvernementale cherchant à exploiter davantage l'immense potentiel des nouvelles technologies informatiques et de télécommunications est également montrée du doigt.
Cependant, les auteurs insistent sur le gouffre qui sépare, aux États-Unis, les petites « communautés » (c'est-à-dire les petites bibliothèques) des grandes, bien mieux équipées. Cette inégalité d'accès au réseau s'est même accrue depuis la première enquête américaine de 1994 (malgré une augmentation générale des accès à Internet). En réalité, la même tendance semble se développer au Royaume-Uni. Les petites communautés ainsi que les milieux ruraux (qui sont souvent les mêmes) sont donc globalement tenus à l'écart : cette tendance est d'autant plus dommageable que le réseau devrait précisément permettre aux bibliothèques isolées de se désenclaver progressivement.
Il semble donc y avoir ici un décalage très fâcheux entre le discours euphorique selon lequel, grâce à Internet, on peut accéder à n'importe quelle information depuis n'importe quel point du globe, et les réalités d'un système libéral dépourvu d'un engagement de l'État.
Si, en France, le développement des ntic était réellement considéré par les autorités comme une des composantes du « service public à la française », il serait certainement possible d'éviter un tel écueil, dans le cadre notamment d'une politique d'aménagement social et culturel du territoire.
En ce qui concerne la qualité des modes de connexion choisis, l'écart entre les États-Unis et la Grande- Bretagne est également sensible : 71 % des bibliothèques britanniques accèdent au réseau par des lignes téléphoniques ordinaires (dial up), contre une majorité de lignes louées aux États-Unis.
Un faible accès au réseau
Les deux enquêtes laissent apparaître un taux très faible d'accès public au réseau, en particulier en Grande-Bretagne où seulement 0,7 % des bibliothèques offre ce service, pourtant considéré sans conteste comme « a natural continuation of the role of the public library 4 ». Néanmoins, le retard anglais a permis d'offrir directement des services de meilleure qualité, axés notamment sur des services graphiques, à la différence des bibliothèques américaines qui en sont souvent restées à de simples bases de données textuelles : « By being slower in development uk libraries have, odd though it seems, developed more up-to-date services (though in smaller numbers) ». 5
Les auteurs constatent enfin que 43 % des bibliothèques anglaises font payer l'accès à Internet, contre seulement 3,6 % aux états-Unis. Le faible coût des communications locales américaines joue ici comme facteur d'extension du réseau.
En Grande-Bretagne, des expériences particulièrement intéressantes se sont développées, sur la base d'un partenariat entre des companies privées et des bibliothèques publiques : ces dernières offrent l'espace nécessaire pour que les entreprises privées puissent implanter et gérer en leur sein des services Internet proposés au public. En contrepartie, les établissements perçoivent un pourcentage des bénéfices réalisés par les entreprises.
Cette solution permet notamment d'avoir quelque chose à proposer plutôt que rien : « For many librarians it is better to be able to provide charged access than no access at all » 6. Cependant, on peut opposer à cette pragmatique solution plusieurs arguments : les services demeurent payants, ce qui va à l'encontre d'une conception démocratique de l'accès au savoir ; d'autre part, les entreprises privées ne seront pas prioritairement attirées par les localités qui précisément auraient le plus besoin de services Internet (quels que soient les arrangements possibles, il existe une ligne de démarcation souvent infranchissable entre les logiques libérales et les impératifs de service public). Enfin, que devient la notion de politique d'acquisition dans le cadre d'une telle offre ? Pourquoi ne pas, dès lors, installer des librairies ou des maisons d'édition dans les bibliothèques afin de pallier les difficultés financières des établissements publics ?
Ces impératifs sont d'ailleurs clairement identifiés comme étant des priorités pour les bibliothécaires des deux côtés de l'Atlantique. Ainsi, Betty Turock, présidente en 1995-96 de l'American Library Association déclarait que « Nothing is more important to the future of our democracy than ensuring public access to information... That is why we need our nation's public, school, college and university libraries online » 7. De même, Melvyn Barnes, présidente en 1995-96 de la Library Association britannique, considérait alors l'irruption des ntic comme le défi le plus important que les bibliothèques publiques aient eu à relever depuis leur création.
On peut espérer que cette unanimité (peut-être apparente ?) des bibliothécaires rencontre la volonté, unanime elle aussi, des pouvoirs publics.