Ils apprenaient la France
l'exaltation des régions dans le discours patriotique
Anne-Marie Thiesse
Depuis quelques années, et particulièrement depuis la parution du livre de François Furet et Jacques Ozouf, Lire écrire, l'alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry 1, la légende, noire ou dorée, de l'école de la Troisième République subit d'intéressantes révisions. Récemment, Jean-François Chanet, dans L'école républicaine et les petites patries 2, a mis à mal l'idée généralement admise que les patois avaient été systématiquement pourchassés dans l'école républicaine. Anne-Marie Thiesse invite ici à réviser une autre certitude : celle qui conduit à penser que la culture scolaire républicaine a nié les identités régionales.
L'étude se fonde sur l'examen d'un corpus d'une soixantaine de « manuels départementaux », en usage de 1870 à la Seconde Guerre mondiale, et même au-delà ; des ouvrages qui ont servi à l'étude du milieu local, dont la plupart ont été rédigés par des enseignants ou des autorités pédagogiques et édités localement.
En replaçant utilement cette littérature dans le contexte plus large des études historiques et géographiques, l'auteur montre la place qui fut assignée à « la petite patrie » dans le travail identitaire mis en place, après la défaite de la France devant l'Allemagne en 1870. Elle analyse la façon dont s'est développé le concept « d'unité dans la diversité » et montre comment, à partir du moment où chaque entité locale (région, département ou « pays ») a été abordée comme une France en miniature, s'est construite l'image d'une France à la fois extraordinairement variée et harmonieuse. Elle dresse ainsi le catalogue des « lieux communs » qui ont longtemps servi à décrire le pays et ses habitants. De ce catalogue anachronique, Anne-Marie Thiesse a soin de souligner que les brassages de populations, les apports étrangers et le monde industriel sont absents.
Utile pour ce qu'il met en lumière de nos représentations passées, le livre l'est encore pour pointer l'absence aujourd'hui d'un discours cohérent qui parvienne à fédérer les différences.