Les Éditions populaires, 1848-1870
Claude Witkowski
En 1981, la Compagnie Jean-Jacques Pauvert publiait une Monographie des éditions populaires: les romans à quatre sous, les publications illustrées à 20 centimes : 1848-1870 1, qui révélait au public un érudit amateur de vieux papiers et pourfendeur de la confrérie des chercheurs patentés, Claude Witkowski. Par la suite, cet ingénieur et mathématicien au parcours étonnant devait continuer à publier dix-huit autres Monographies des éditions populaires, toutes calligraphiées à la plume et publiées à compte d'auteur.
Malgré le caractère provocateur de certaines de ses affirmations et la polémique qu'il aimait entretenir avec la recherche officielle, Claude Witkowski avait fini par conquérir l'estime des historiens du livre et le tome III de l'Histoire de l'édition française 2 citait ses travaux et son apport à la connaissance de deux innovations majeures des années 1848-1870, le roman à quatre sous d'abord, les journaux-romans ensuite. L'auteur avait accompli une double démarche pour en faire le tour : étudier les collections conservées, tant à la Bibliothèque nationale que dans les fonds privés et chez les marchands d'une part, rechercher les déclarations d'imprimeurs qui les concernaient, aux Archives nationales, d'autre part. En y ajoutant sa science des chiffres, la rigueur toute démonstratrice de son raisonnement et la passion qu'il apportait à tout ce qu'il entreprenait, Claude Witkowski était parvenu à proposer une véritable théorie de l'édition populaire du siècle dernier.
Un genre méconnu
Après sa mort survenue en 1993, ses amis et les fondateurs du GIPPE 3 ont eu l'idée de réunir en un seul volume, imprimé en linotype Times corps 10 ce qui change de la reproduction autographe, dix-sept des dix-huit monographies publiées entre 1982 et 1993. Seule l'étude n° 18, portant sur Les Mystères de Paris, a été exclue de l'ouvrage, par ailleurs divisé en études thématiques pour en rendre la lecture plus aisée.
Après un essai d'ouverture intitulé « Bibliométrie » une défense iconoclaste du genre, on trouve plusieurs chapitres consacrés aux romans-feuilletons, puis d'autres qui traitent des collections du xixe siècle, les « Bibliothèques » de Michel Lévy et de ses confrères, un chapitre sur Les Mystères de Paris et enfin une étude sur les collections de chemins de fer qui précède la conclusion sur l'édition populaire.
Beaucoup plus commode de maniement, richement illustré et joliment mis en page, ce volume constitue désormais une somme sur la révolution opérée à partir de 1848 dans le domaine de l'édition à bon marché, populaire par destination sans toutefois avoir été conçue par d'authentiques prolétaires. Le phénomène des livraisons, ancêtre des fascicules du xxe siècle, en reçoit un éclairage qui relève de la bibliographie matérielle, de la sociologie de la lecture et de la critique littéraire.
Selon son humeur, toujours vagabonde, Claude Witkowski rompt des lances avec ceux qui se sont risqués sur ce territoire sans posséder sa patience et son goût, tactile, du vieux papier. Ses cibles privilégiées sont les universitaires, envers qui il se montre souvent injuste, mais il ressort de cette plongée dans l'histoire d'un genre méconnu et méprisé un vif plaisir, proche de celui que l'on éprouve à relire quelques pages du Grand dictionnaire universel du xixe siècle.
Une érudition amoureuse de son objet
Les descriptions des collections, des journaux et des journaux-romans possèdent toute la précision que l'on attend d'une monographie. La totalité des titres de romans-feuilletons publiés, avec leur datation minutieuse, figure dans cet ouvrage qui devient ainsi le catalogue des collections populaires, des collections de chemins de fer, des guides de voyage et des journaux-romans du siècle passé.
L'érudition amoureuse de son objet révèle ici ses mérites, et, comme elle s'accompagne de commentaires souvent pertinents, quoique toujours impertinents, elle conforte le lecteur dans son désir de conserver ouvert ce livre étonnant, mi-essai, mi-description bibliophilique, à moins que la troisième moitié façon Pagnol ne soit destinée à démontrer que le vandalisme verbal a pour fonction de maintenir éveillé l'esprit critique.
On demeurera songeur devant les propositions de l'auteur visant à maintenir la Bibliothèque nationale rue de Richelieu en réduisant le volume de ses dépôts par le feu, évidemment mais on appréciera le compagnonnage avec cet esprit libre, individualiste sans doute, anarchiste peut-être, qui consacra la fin de sa vie à sauver de l'oubli les imprimés du pauvre qui risquaient de ne guère intéresser les bibliothèques publiques.