Bibliothèques publiques pour une nouvelle Europe
Joëlle Pinard
Bibliothèques publiques pour une nouvelle Europe, ainsi s’intitulait le colloque organisé conjointement par l’Institut français en Hongrie et le Goethe Institut de Budapest aux premiers jours de l’automne hongrois. L’Institut français en Hongrie est un véritable petit Beaubourg des bords du Danube. Il abrite une médiathèque qui comprend 40 000 documents sur tous supports et compte 5 000 inscrits, dont 80 % de Hongrois. Elle totalise 100 000 entrées par an.
Deux cents bibliothécaires ont suivi les conférences, issus des pays organisateurs (30 Allemands et Français, 130 Hongrois) et des pays de l’Europe centrale et orientale invités (plus de quarante bibliothécaires représentant les bibliothèques nationales, de recherche ou de lecture publique d’Estonie, Lettonie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Bosnie, Croatie, Yougoslavie, Slovénie, Macédoine, Roumanie, Bulgarie, Albanie).
La coopération européenne
Dans ce contexte, on se doute que la coopération et les engagements concrets de partenariat dans le domaine de la circulation des collections, de la formation continue des bibliothécaires et des stages réciproques dans les différents pays furent à l’honneur.
Les propositions d’accueil de stagiaires à la Bibliothèque publique d’information ou dans d’autres bibliothèques, le projet de bibliobus franco-allemand confortant la diffusion des collections en langue étrangère des bibliothèques hongroises, les appels réitérés à déposer des projets partenariaux auprès de la Commission européenne n’en sont que les plus beaux fleurons. Les échanges d’adresses postales ou télématiques n’en sont pas les moindres épigones, car, comme lors de tout colloque, les échanges interpersonnels ont également fleuri.
Les présidents ou administrateurs des grandes bibliothèques nationales ont parié sur la longévité du livre et la permanence des bibliothèques traditionnelles, mais à condition qu’elles sachent s’adapter aux défis de nombreux moyens de communication, et aux nouveaux modes d’accès à l’information et aux patrimoines.
Rassurés sur le fait que les bibliothèques ne se dématérialiseraient pas et qu’il y aurait toujours une place pour les livres et les chercheurs, les bibliothécaires ont axé leurs réflexions sur leurs nouvelles missions face à l’extension des publics et aux nouveaux supports d’information. Les intervenants français, allemands ou hongrois ont à la fois brossé de grands tableaux synthétiques et visionnaires de l’évolution des bibliothèques et décrit à partir d’expériences pratiques les efforts d’initiation du public à l’accès à l’information.
L’attention à l’usager
Dominique Arot, du Conseil supérieur des bibliothèques, a évoqué une bibliothéconomie nouvelle tenant compte des attentes et des comportements contradictoires du public et faisant de la bibliothèque le lieu privilégié d’un égal accès des citoyens au savoir et à l’information.
Istvan Papp, de la bibliothèque municipale de Budapest, a incité à la préservation des collections menacées de disparition à l’Est faute de moyens et évoqué « le livre de derrière », celui qu’on oublie sur les rayons, mais qui pourrait faire un jour le bonheur du lecteur. Il envisage aussi la bibliothèque comme une bouée de sauvetage pour le lecteur submergé sous le flux de l’information.
Francine Thomas, de la bibliothèque municipale de Strasbourg, a resitué l’évolution des bibliothèques publiques françaises dans la décentralisation et la politique de la ville. Elle a montré comment les bibliothèques deviennent les outils majeurs de développement des quartiers, comment les bibliothécaires deviennent des guides et renouent avec l’usager.
Hannelore Jouly, de la bibliothèque municipale de Stuttgart, a montré l’alliance de l’animation littéraire traditionnelle et la formation du public à l’information et aux nouveaux réseaux de communication.
Attila Nagy, de la Bibliothèque nationale Szechény, à partir d’enquêtes et de résultats statistiques, s’est inquiété de la non-corrélation entre la hausse du niveau de scolarité et la fréquentation des bibliothèques. Il a mis en garde contre la fermeture des petits équipements au profit des plus gros, et contre le développement de la lecture des best-sellers et des documentaires.
Une démythification décapante nous a conduits vers l’homo connectatus et les divers points de déstabilisation des bibliothécaires... Dominique Lahary, de l’Association des bibliothécaires français, a décrit les perspectives d’entrée dans la société de l’information. Il a surtout alerté les bibliothécaires sur les nécessités de coopérer, de partager les tâches d’analyse des documents numériques et enfin d’utiliser le langage commun pour ne pas s’isoler du reste de la communauté.
Barbara Lison-Ziessow, de la bibliothèque municipale de Brême, a présenté le projet bine, destiné à faciliter l’utilisation d’internet par les lecteurs, et à intégrer les ressources d’Internet dans les collections des bibliothèques.
La formation du public et du bibliothécaire
Le changement fondamental des objectifs de la bibliothèque, qui est aujourd’hui moins tournée vers la constitution des collections que vers la notion de service à l’usager, oblige le bibliothécaire à déployer des compétences pédagogiques non pas pour former à l’informatique mais pour aider à la formation à l’utilisation des outils informatiques. C’est l’objectif que s’est fixé Jean-François Jacques, de la bibliothèque municipale d’Issy-les-Moulineaux, pour répondre aux besoins de l’utilisateur qui attend une formation au catalogue, à la recherche de documents. L’exemple allemand de Güterslo, qui met l’accent sur le ciblage du public et l’analyse de ses besoins, a aussi montré que la formation du public a un corollaire, si ce n’est un préalable : la formation du bibliothécaire.
Cependant, si le bibliothécaire ne doit pas devenir informaticien, il doit être un expert en nouvelles technologies et gérer à la fois une collection matérielle et virtuelle. Les compétences bibliothéconomiques de sélection, d’évaluation, les savoir-faire des bibliothécaires doivent s’appliquer aux documents numériques.
Les nouvelles technologies nous obligent à développer de nouveaux services. Bertrand Calenge, de l’Institut de formation des bibliothécaires, a expliqué qu’il convient d’aider le public à se forger une stratégie documentaire, une méthodologie à la recherche d’information, de la maternelle à l’université. La remise en lumière de la fonction pédagogique du bibliothécaire nécessite une adaptation au niveau du public. C’est en écoutant celui-ci que le bibliothécaire doit concevoir le développement de la collection et le catalogue, la régulation du flux d’informations et l’orientation du lecteur.
Agnès Teglasi, de la Bibliothèque nationale Szechény, a résumé la situation en s’interrogeant sur les ambiguïtés d’une indispensable polyvalence du bibliothécaire et d’une inévitable spécialisation dans sa formation. Plus prosaïquement, elle s’est inquiétée de la faiblesse actuelle des équipements, qui ne permet pas une mise en pratique des connaissances théoriques.
Une loi hongroise pour les bibliothèques
La solution pour la Hongrie est peut-être dans le projet de loi évoqué par Peter Inkei, secrétaire d’État adjoint au ministre de la Culture et de l’éducation. Cette loi est actuellement en discussion au Parlement et concerne cinq domaines culturels : les musées, l’archéologie, les archives culturelles hongroises et les bibliothèques.
L’article 7 concerne les bibliothèques et l‘obligation pour les collectivités de les développer. Pour s’adapter aux nouvelles technologies, le gouvernement envisage de mettre à niveau les moyens des bibliothèques, en votant 8 milliards de forints aux collectivités locales pour leur permettre de développer les bibliothèques et en consacrant une moyenne de 500 forints par habitant.
Le programme prévoit également de relier toutes les bibliothèques à Internet.