Editorial
Martine Poulain
La Bibliothèque nationale de France a ouvert en décembre dernier une partie de ses nouveaux espaces d'étude à Tolbiac, offrant 1 600 places et 180 000 volumes (à terme 360 000) destinés à un public large. Elle doit, à la fin de 1998, voir aboutir la part majeure de sa proposition, par l'ouverture de l'espace « rez-de-jardin », réservé aux seuls chercheurs, suite et « transfiguration » de l'ancienne Bibliothèque nationale.
On le sait, les premiers résultats, en termes de fréquentation des publics, n'ont pas été à la hauteur des espoirs et des investissements consacrés. Bien des raisons peuvent expliquer ce lent démarrage, et notamment la relative faiblesse numérique des collections à l'ouverture.
Mais il faudrait aussi s'interroger sur cette bibliothèque d'étude d'un genre nouveau qu'ont voulu mettre en uvre ses concepteurs. Se voulant, avec raison, plus exigeante quant au niveau des collections que la bpi par exemple, ne voulant pas être confondue avec une bibliothèque universitaire, moins encore avec une bibliothèque publique, cette nouvelle bibliothèque, que l'on voudrait bien voir dénommée autrement qu'« espace haut-de-jardin », signe par trop évident de son statut incertain, doit maintenant s'interroger sur ses choix, documentaires notamment, et, éventuellement, tout en conservant son originalité, les réorienter. Il serait quand même paradoxal que l'effort immense, et sans précédent, de la collectivité publique envers les bibliothèques, ne réussisse pas à trouver un public, dont on connaît par ailleurs la ferveur renouvelée envers les bibliothèques et l'immensité des besoins. Les singulières lacunes de l'offre parisienne, de tout type, rendent plus paradoxal encore cet intérêt actuellement limité du public pour une bibliothèque qui fut l'objet de tant de soins, elle qui, non contente d'être la plus grande, se devait d'être, bien sûr, la meilleure.
La Bibliothèque nationale de France a également voulu proposer une politique culturelle ambitieuse, apte à faire d'un tel lieu un espace majeur de constitution de l'« exercice public de la Raison », tant par la consultation solitaire des documents que par la communication, le dialogue et l'échange. Expositions, colloques, conférences, activités éditoriales et pédagogiques sont donc appelés, tant sur le site de Tolbiac que sur celui de Richelieu, à se multiplier et à se diversifier. Il s'agit là d'un exercice hautement nécessaire d'accompagnement des uvres, de mise en commun et en débat de leurs diverses réceptions et appropriations, qui doit avoir toute la place qu'il mérite dans cette nouvelle Bibliothèque nationale.
La légitime volonté d'élargissement des usages et des usagers, d'accroissement des espaces a ainsi malgré tout pris le pas sur la plus encore nécessaire exigence de remise à niveau et d'accroissement des acquisitions. L'importance du coût de fonctionnement de l'établissement ne fera que rendre plus cruel au quotidien un tel choix. Certes, le budget d'acquisition des documents a été démultiplié, et va l'être encore. Mais il est toujours important de rappeler que le nerf de la guerre, la force d'une bibliothèque est dans la richesse de ses acquisitions, et nulle part ailleurs. Là sont sans doute encore les principales et légitimes inquiétudes, que l'on voudrait bien croire définitivement infondées.