Cultures of Print
Essays in the History of the Book
David D. Hall
Ce petit ouvrage rassemble six conférences prononcées devant divers auditoires d'outre-Atlantique par l'auteur, professeur d'histoire religieuse et culturelle américaine à l'université de Harvard. Dans son introduction, il se déclare redevable tout à la fois de la tradition européenne d'histoire du livre, comme des ouvertures de Natalie Davis, Robert Darnton ou Peter Burke. Dans la perspective d'une contribution à une histoire culturelle de l'Amérique, il fait converger les approches d'une histoire sociale de l'alphabétisation, de l'histoire de l'édition, de la lecture, et de celle des auteurs, voulant faire émerger la tradition populaire protestante et les rapports entre milieux aisés et populaires, milieux urbains et ruraux.
La dernière contribution, « Readers and Reading in America : Historical and Critical Perspectives », a été récemment traduite en français 1, ce qui permettra au lecteur non anglophone une approche synthétique et accessible des chantiers actuellement en cours.
Une histoire du livre proprement américaine
Le premier essai, « On Native Ground : From the History of Printing to the History of the Book », prend pour point de départ l'ouvrage d'Isaiah Thomas The History of Printing in America (datant de 1808, réédité en 1970 2), et étudie la façon dont, à partir de lui et de la production postérieure (en particulier The Colonial Printer de Lawrence Wroth, paru dans les années 30), on peut passer d'une histoire de l'imprimerie à une histoire du livre proprement américaine, mais aux perspectives élargies, et encore en devenir. Pour ce faire, l'auteur dégage quatre directions majeures : l'exploitation et la mise en perspective d'une multitude d'informations, accumulées au fil des générations, parfois très pointues et parcellaires sur les rapports à l'objet-livre dans sa matérialité (reliure...) ou sur les milieux de production et de diffusion (auteurs, imprimeurs, libraires...), l'étude des lecteurs et des processus de lecture, celle de la culture populaire, le recours enfin aux analyses de bibliographie matérielle.
Ce faisant, il met l'accent sur les jeux de pouvoir (savant/populaire, élites/masses, domination/subordination...), question qui sous-tend l'ensemble du volume.
Les quatre études centrales se présentent davantage comme des monographies complémentaires les unes des autres : « The Uses of Literacy in New England 1600-1850 », « The World of Print and Collective Mentality in Seventeenth-Century New England », « The Chesapeake in the Seventeenth Century », « The Politics of Writing and Reading in Eighteenth-Century America ».
Elles ouvrent aux Européens que nous sommes des perspectives différentes de ce que nous connaissons dans le vieux monde : celles de vastes espaces où les imprimeurs s'implantent tardivement, où le livre est encore rare, presque exclusivement importé de la métropole en l'occurrence de Londres, et avant tout utilitaire (Bible, ouvrages religieux et juridiques de première nécessité, almanachs...). Cette économie de la pénurie, pour des populations très majoritairement sous-alphabétisées, faisant avant tout travailler leur mémoire, s'inscrit également dans une temporalité quelque peu ralentie, puisque le premier in-folio n'a été imprimé en Nouvelle-Angleterre qu'en 1726.
Une incitation à la réflexion
La reconstruction qui surgit de ce bouquet d'essais ne peut qu'inciter le lecteur européen à la réflexion. Les situations décrites sont par certains aspects bien proches de celles de nos campagnes d'alors, par la présence non exceptionnelle d'un imprimé qui demeure malgré tout rare et cantonné à des publications bien typées (livres de dévotion, Book of Common Prayer, littérature de colportage..., les livres d'histoire et les romans font figure d'exception).
Pourtant, elles sont par d'autres aspects bien singulières. Si les colonies américaines sont bien une « excroissance européenne », un « Finistère » où le livre arrive malgré tout et en nombre, celui-ci demeure l'apanage d'un petit nombre, ce que confirment les dépouillements d'inventaires après-décès de plusieurs de ces contrées (présence de livres dans un tiers des cas environ, pour des ensembles très majoritairement inférieurs à la dizaine de volumes). L'intérêt de ces études est aussi de mettre en évidence la singularité de certains groupes, comme les Quakers, qui avaient leurs propres circuits d'approvisionnement.
On pourra cependant regretter que le propos de l'auteur ne porte que sur des territoires qui devaient plus tard donner naissance aux États-Unis. Des comparaisons avec d'autres colonies seraient bienvenues et stimulantes. On pense bien sûr au Canada anglais, mais aussi à la Nouvelle-France, et aux travaux de Wallace Kirsop sur l'Australie. Ces territoires, comme ceux étudiés par David Hall, furent longtemps un simple exutoire pour la production de la métropole. Rappelons que dans le cas de la « Belle province », le premier imprimeur de langue française à y exercer, à partir de 1778, fut Fleury Mesplet qui avait fait son apprentissage à Lyon, avant de travailler en Avignon, puis de gagner le Nouveau Monde après un détour par Londres en 1773. Il y a là des schémas et des chronologies qui mériteraient d'être confrontés.
Quoi qu'il en soit, le petit livre de David Hall n'en constitue pas moins une contribution importante au projet d'une Histoire du livre en Amérique, et une ouverture opportune pour l'historien du livre du vieux monde, trop souvent accroché à ses certitudes européocentristes.