La bibliothèque universelle : défis technologiques

Actes du colloque international organisé par la section infodoc de l'Université libre de Bruxelles, l'ASBL Mundaneum, et la Communauté française de Belgique, le 16 février 1996 à l'ULB.

par Arlette Boulogne
Publiés sous la direction de Josiane Roelants Abraham. Bruxelles : Éd. du Centre de lecture publique de la communauté française de Belgique, 1996. 93 p. ; 24 cm. isbn 2-930071-09-5.

Le colloque organisé par l'Université libre de Bruxelles, le Mundaneum et la Communauté française de Belgique à l'occasion du centenaire de l'Office international de bibliographie 1 (créé le 14 septembre 1895), avait pour objectif de faire le point sur l'actualité de la vision universaliste de la connaissance développée par Paul Otlet en réunissant acteurs et réalisateurs des changements technologiques, pour certains engagés dans des options européennes.

Le Mundaneum

Comme le rappelle dans la première intervention Andrée Despy-Meyer (directrice des Archives de l'Université libre de Bruxelles et présidente du Comité scientifique du Mundaneum), le « Palais mondial-Mundaneum » qui ouvre ses portes en 1920 dans l'aile sud du Palais du Cinquantenaire belge est la concrétisation du grand projet initié par Paul Otlet et Henri La Fontaine de constituer avec le concours des États et des associations internationales « l'inventaire intégral de la production intellectuelle » en regroupant des spécimens et en publiant un répertoire bibliographique et un répertoire iconographique universels.

C'est dans ce but que l'Institut international de bibliographie 2 et l'Office international de bibliographie sont créés et adoptent la classification décimale universelle (CDU). Ce Mundaneum comportait seize salles didactiques, un répertoire bibliographique (qui aura jusqu'à douze millions de fiches), un musée de la Presse conservant 200 000 spécimens de journaux du monde entier, collections essentiellement constituées entre 1895 et 1914. Le Palais mondial doit fermer en 1934 pour libérer le Palais du Cinquantenaire. A partir de 1941, les collections sont plusieurs fois déménagées, pour leur plus grand dommage, jusqu'à leur réinstallation en 1992 à Mons (la ville du livre) dans le bâtiment de l'Indépendance.

Jean-François Füeg, directeur du Mundaneum, s'appuyant sur l'esprit des fondateurs La Fontaine et Otlet qui surent développer les moyens les plus modernes pour réaliser leur projet (dont la CDU), décrit les moyens prévus pour continuer leur oeuvre : unité de numérisation pour préserver, stocker et diffuser le contenu du musée de la Presse (journaux, affiches, etc.). Le pressage de cédéroms et le raccordement à Internet permettront de mettre à disposition les catalogues et les collections numérisées si les aides publiques suivent.

Une bibliothèque universelle du XXIe siècle

Otlet et La Fontaine voulaient « offrir à tous la possibilité d'accéder à l'information, où qu'elle soit, sans élitisme intellectuel, technologique ou social » La bibliothèque du xxie siècle reste et doit rester un service au public, incluant toute nouvelle technologie sans discrimination intellectuelle, sociale ou autre. Échanges, coopérations et réseaux sont les atouts maîtres de ce siècle. Pour Josiane Roelants Abraham, la bibliothèque doit devenir médiathèque et canaliser pour ses lecteurs le flux d'informations en transit dans le monde.

Jean-Max Noyer fait part de ses réflexions sur le développement des nouvelles mémoires collectives en partant d'un texte de Otlet et propose une confrontation entre « pensée universelle » et « intelligence collective » telle que définie par Pierre Lévy 3. Les technologies ont permis d'envisager la transformation de la mémoire universelle en intelligence collective. Mais de grands efforts sont encore à faire pour que les outils correspondent aux espérances. François Jakobiak répond par un exemple concret : la veille technologique qui participe à la fabrication de nouveaux savoirs malgré un besoin mal satisfait de présentation de l'information dans un contexte de surinformation.

Programmes européens et expériences de terrain

Tommaso Giordano, de l'Institut universitaire européen de Florence, présente les réflexions qui ont accompagné la création de la bibliothèque de l'Institut, en insistant sur le rôle du bibliothécaire, sa responsabilité dans la conservation et la transmission du patrimoine culturel mondial et les possibilités offertes par les interconnexions actuelles, sans ignorer les difficultés d'assurer le bien collectif par rapport aux intérêts individuels.

Fernanda Campos, à propos du défi lancé aux bibliothèques par l'information numérisée, sa présentation et son accès, développe sa conception du rôle du bibliothécaire qui doit sélectionner, informer, créer de nouveaux instruments de recherche, quelle que soit la forme du document, un problème important n'étant pas résolu à l'heure actuelle : la sauvegarde dans le temps du document électronique. Comme Neville Keery, président d'Eurolib, elle insiste également sur l'importance du travail en collaboration et en commun entre bibliothèques et entre bibliothèques nationales (projet européen COBRA).

En conclusion, Françoise d'Hautcourt reprend les différents points abordés par les participants au colloque : qu'est-ce qu'une bibliothèque en 1996 ? Ont-elles encore leur raison d'être ? La bibliothèque universelle est nécessairement virtuelle et oeuvre collective, ce qui veut dire normes et consensus et partage de responsabilités à travers le monde.

Trois types d'acteurs ont un rôle important. Le bibliothécaire doit être médiateur entre l'information et l'individu, il a la responsabilité du choix des collections, doit diffuser et donc structurer le savoir et a une mission essentielle de formation. Pour garantir l'accès au savoir, les pouvoirs publics doivent développer les infrastructures de communication, encourager les coopérations transnationales devant aboutir à la bibliothèque universelle, initier une politique d'éducation vers l'usage intelligent des technologies de l'information. Il revient aux informaticiens et aux ingénieurs de simplifier les procédures et les appareils, de rendre naturel le dialogue entre les hommes et les systèmes d'information.

Mais les plus grands défis se situent au niveau des conceptions du savoir et de sa diffusion que seul un attachement à la démocratie peut aider à résoudre.

  1. (retour)↑  Voir : Les Prémisses du Mundaneum : cent ans de l'Office international de bibliographie, 1895-1995, Mons, Éd. Mundaneum, 1995. Le compte rendu de cet ouvrage est paru dans le BBF, n° 4, 1996, p. 96-97.
  2. (retour)↑  Devenu en 1937 la Fédération internationale de documentation.
  3. (retour)↑  Pierre Lévy, L'Intelligence collective, Paris, La Découverte, 1995.