Ouvrages et volumes
architecture et bibliothèques
Anne-Marie Bertrand
Anne Kupiec
Ces trente dernières années ont été, pour les projets d'architecture de bibliothèques, des années très « constructives ». De la Bibliothèque publique d'information aux nombreux programmes apparus en France et à l'étranger, la question du « bâtiment » de la bibliothèque s'est à chaque fois posée de façon originale. Ce recueil d'essais Ouvrages et volumes : architecture et bibliothèques a un grand mérite : il ajoute à l'inventaire des Nouvelles Alexandries, qu'avait instruit Michel Melot 1, la part de réflexion et de retours rétrospectifs qui donne tout son sens à la période actuelle.
C'est un fait : la bibliothèque fascine l'architecte. Espace noble, car il accueille, à travers le souvenir des oeuvres, la part immatérielle de notre société ; espace public, car il rend accessible ces oeuvres aux lecteurs. La bibliothèque donne à l'architecte la possibilité de s'inscrire dans un lieu de mémoire, mais également dans un des lieux capitaux (avec l'école et le musée) de la cité. Espace majeur de la transmission où les choses qui passent restent, et où les hommes qui restent passent. Et pourtant ce bâtiment résiste à l'architecte. « La bibliothèque n'est ni une maison, ni un palais, ni un temple, ni un cénotaphe, ni un théâtre. Ce qu'elle est constitue finalement, pour la théorie de l'architecture, un problème », comme le rappelle en introduction le philosophe Daniel Payot. La bibliothèque ne se laisse définir que par ce qu'elle n'est pas. Elle est une forme, un projet en attente.
Des conceptions philosophiques
C'est à l'élucidation de cette forme qu'engage ce recueil d'articles, organisé notamment autour d'un parcours historique, d'une réflexion sur les images et les représentations de la bibliothèque, et enfin « d'une tentative d'analyse des bâtiments pour les bibliothèques aujourd'hui » que mène vigoureusement Anne-Marie Bertrand à travers une série de visites de sites ouverts ou encore en chantier. Le parcours historique est introduit par Daniel Payot, qui dégage, à travers trois cas d'école, les conceptions philosophiques au fondement de l'architecture de bibliothèques.
Pour Vitruve, la bibliothèque lieu de savoir doit être édifiée selon les acquis et les principes du meilleur de la science disponible. Pour Michel-Ange, à travers la bibliothèque laurentienne, il s'agit d'inventer une architecture à hauteur du livre. Pour Étienne-Louis Boullée, la bibliothèque est le panthéon des seuls écrivains.
Des concepts dans l'histoire
Anne Kupiec poursuit cette traversée et s'intéresse à ce qui distingue les différents âges des bibliothèques : de l'Ancien Régime, qui couvre les murs d'allégories, muses, vertus, etc., au XXe siècle âge des « bibliothèques grands magasins » selon Eugène Morel qui introduit le libre accès. Ces concepts de bibliothèques naissent de politiques culturelles bien précises, comme le montre l'architecte Joseph Belmont à travers quatre exemples : le musée-bibliothèque de Grenoble, le Palais de Chaillot, la maison de la culture de Grenoble, le Centre Georges-Pompidou.
Après ces quelques aperçus du concept, une brève enquête sur l'image des bibliothèques alimentée par les écrivains, de Paul Valéry qui considère l'architecture comme la métaphore du travail intellectuel à Aby Warburg qui tente, à travers une organisation spatiale de la bibliothèque de « faire voir tout le savoir ». Autres images, les images idéologiques des bibliothèques telles que les perçoit Michel Melot opposant bibliothèque doctrinale et bibliothèque libérale, le modèle français, le modèle anglo-saxon.
Mais c'est Anne-Marie Bertrand qui recadre l'ensemble de ces essais, et semble nous dire que la bibliothèque est plus qu'un concept, plus qu'une image : un bâtiment dans la ville, une tension entre le dedans et le dehors, une relation entre la ville et le monde, un « rapport à la verticalité », bref un lieu majeur dans la cité.