Romanesque Manuscripts
the Twelfth Century
Walter Cahn
Dans le vaste champ des études médiévales, les recherches sur l'enluminure française constituent, aujourd'hui encore, un domaine susceptible de connaître d'importants développements. Beaucoup de travaux mériteraient d'être entrepris ou renouvelés, sans lesquels son appréhension restera tout à la fois fragmentaire et imprécise.
Selon François Avril, qui a tant oeuvré en faveur d'une connaissance rigoureuse des manuscrits à peintures, les publications relatives à l'enluminure française non seulement souffrent d'une grande dispersion, mais elles peuvent aussi, très souvent, être qualifiées de « vieillies, voire périmées ». De plus, « on compte trop peu de synthèses d'ensemble sur des périodes chronologiques suffisamment vastes et significatives ».
Toutefois, certaines époques sont, à l'évidence, mieux connues que d'autres. Ainsi, le haut Moyen Âge en général et la « renaissance carolingienne » en particulier, dont les témoignages, plus que d'autres, apparaissent comme spécialement « vénérables », ont suscité bien de savantes investigations, du reste entreprises à l'étranger pour beaucoup d'entre elles. De même, le XVe siècle a connu un sort tout aussi favorable, en raison de l'exceptionnelle beauté de nombre d'oeuvres produites durant l'« automne du Moyen Âge ».
On ne saurait, en revanche, établir le même constat au sujet du xiie siècle, période intermédiaire délaissée par les spécialistes. Aussi faut-il se réjouir de la parution, en deux grands volumes, des Romanesque Manuscripts de Walter Cahn. Cet ouvrage constitue le premier d'une collection, « A Survey of Manuscripts Illuminated in France », dirigée conjointement par François Avril, qui en signe la préface, et J. J. G. Alexander ; un ensemble qui devrait permettre au lecteur de parcourir près d'un millénaire, du VIIe au XVIe siècle.
Trente années de recherches
Pas moins de trois décennies de recherches, menées dans les bibliothèques européennes et américaines, ont été nécessaires pour mettre au point une étude dont l'ambition est de fournir une vue d'ensemble des manuscrits français de l'âge roman. En décrivant 152 pièces, Walter Cahn n'a toutefois pas visé une illusoire (et sans doute inutile) exhaustivité. Si le recensement entrepris est sélectif, il se veut pourtant représentatif, d'un point de vue typologique, de toute la variété des textes médiévaux. À côté des ouvrages liturgiques et des grandes bibles, sur lesquels l'attention s'est souvent focalisée, une place importante est accordée à d'autres types, moins fréquemment mis en évidence : vies de saints, cartulaires, livres de droit, manuscrits littéraires et historiques
Vandales et trafiquants
Le premier volume de ce corpus comprend les illustrations, précédées d'une ample introduction. Walter Cahn y rappelle tout d'abord le contexte historique et artistique de la « renaissance » du XIIe siècle, renouveau aux multiples facettes dans lequel la production des manuscrits enluminés vient s'insérer. Leur survie paraît parfois relever du miracle, tant la transmission de ces ouvrages fut soumise à d'innombrables vicissitudes.
A toutes les destructions, si nombreuses, imputables aux faits de guerre et aux actes de vandalisme, en particulier sous la Révolution française, il faut ajouter entre autres ! les vols et les trafics. Libri et Dom Maugérard apparaissent, à cet égard, comme des figures emblématiques d'une funeste dilapidation du patrimoine. Il convient de faire la part, enfin, des « circonstances chaotiques » du transfert des manuscrits des bibliothèques ecclésiastiques aux collections publiques provinciales, lesquelles se trouvaient, pour beaucoup d'entre elles, dans un état de « désordre extrême ».
La seconde partie de l'introduction définit une typologie détaillée des manuscrits romans et des modèles d'enluminure correspondant à chacun d'entre eux. Enfin, l'auteur s'attarde sur l'historiographie de ce domaine encore en friche, en soulignant le rôle de pionniers que jouèrent au XVIIe siècle les savants mauristes (Mabillon, Montfaucon). Ne furent-ils pas les premiers, en effet, à s'intéresser de façon systématique aux manuscrits que possédaient les communautés religieuses, il est vrai davantage animées dans leurs périples érudits par la recherche des sources historiques que par l'étude des témoignages artistiques dont ces uvres étaient porteuses.
Expositions et vocations
Au xixe siècle, la fondation de l'École des chartes et la publication, à partir de 1839, de sa célèbre Bibliothèque, constituèrent le point de départ d'un essor de la recherche, dont l'auteur passe en revue les étapes les plus significatives. Le xxe siècle fut marqué, quant à lui, par la fondation de la Société française de reproduction des manuscrits à peintures en 1910, puis par les grandes expositions de la Bibliothèque nationale, organisées en 1954 et 1955 par Jean Porcher et, plus tard (1993), par François Avril et Nicole Reynaud ; manifestations qui ont, plus d'une fois, fait naître des vocations de chercheurs. En conclusion, Walter Cahn pointe les lacunes les plus criantes de la recherche sur le xiie siècle.
A la suite de l'introduction, les illustrations occupent l'essentiel du premier volume : pas moins de 374 photographies en noir et blanc, de bonne qualité et assez grandes pour être utiles aux historiens de l'art, réparties à raison de quatre au plus par page. S'y ajoutent treize illustrations insérées dans le texte introductif et seize planches en couleurs. Les unes et les autres sont réparties dans le cadre d'un classement géographique établi d'après les limites actuelles du territoire français.
Ce cadre structure également le catalogue, qui constitue le second volume de l'ouvrage. Il comporte 152 notices extrêmement détaillées. Le chercheur y trouvera, pour chaque manuscrit, la liste des miniatures et des initiales ornées qu'il renferme, un commentaire historique et stylistique, la provenance, ainsi qu'une bibliographie et l'indication des expositions où la pièce a, le cas échéant, figuré. Enfin, un index des manuscrits renvoie le lecteur à leur localisation dans les collections publiques.
Un tel instrument de travail ne manquera pas de susciter - tel est du moins le vu qu'il convient de formuler avec le préfacier - « un puissant regain d'intérêt pour les manuscrits enluminés en France à l'apogée de l'art roman ».