Les bibliothèques municipales à vocation régionale
Annie Le Saux
Que recouvre exactement le concept de bibliothèque municipale à vocation régionale ? Devant la difficulté à en donner une définition claire et précise, et désireuse d’engager, au niveau local, régional et national une réflexion préalable à son propre projet de bmvr, la bibliothèque municipale de Rennes a eu l’heureuse initiative d’organiser, le 3 avril dernier, une journée d’étude sur ce thème. L’originalité de cette journée a été de réunir, et cela ne s’était pas encore fait dans les autres régions concernées, tous les partenaires, professionnels et élus, à tous les niveaux, encore une fois locaux, régionaux et nationaux.
Loi et décret
Pourquoi les parlementaires ont-ils jugé utile, en 1992, d’introduire un nouveau dispositif dans la hiérarchie des bibliothèques françaises ? Est-ce pour combler un retard notable des bibliothèques municipales de grandes villes en matière d’équipement ? Est-ce pour éviter que le fossé ne se creuse entre les bibliothèques de province et la future – à l’époque – Bibliothèque nationale de France ? Est-ce pour permettre une plus forte structuration du réseau des bibliothèques françaises ? Les termes mêmes de la loi du 13 juillet 1992 relative à l’action des collectivités locales en faveur de la lecture publique et des salles de spectacle cinématographique n’apportent guère de précisions sur les missions dévolues aux futures bmvr, comme l’a souligné Sabrina Le Bris, de la bibliothèque municipale du Havre, auteur d’un excellent mémoire sur le sujet 1.
Le décret d’application du 3 février 1993, complété par une circulaire, définit cependant les critères d’attribution de la troisième part du concours particulier des bibliothèques dans la dotation générale de décentralisation des communes. Pour en bénéficier, les bibliothèques doivent répondre à « des conditions de surface, d’importance du fonds et de diversité des supports documentaires, d’aptitude à la mise en réseau et d’utilisation des moyens modernes de communication ». Il s’agit avant tout d’un dispositif financier lié à la construction et à l’équipement d’un nouvel établissement de lecture publique.
Le nouvel équipement culturel de Rennes
Ville de plus de 100 000 habitants, qui réfléchit depuis plusieurs années à la construction d’une nouvelle bibliothèque, Rennes pouvait donc se porter candidate à l’attribution de cette troisième part.
Le projet de bmvr de la capitale bretonne s’inscrit dans un programme plus global d’équipement culturel, qu’Edmond Hervé et les responsables de la politique culturelle de la ville de Rennes ont présenté avec beaucoup de précision.
La philosophie du projet de construction, développée par le maire, est de s’insérer dans ce que les Rennais identifient pour l’instant par le sigle nec, Nouvel équipement culturel, qui réunira en un même lieu la bibliothèque municipale, le musée de Bretagne et le Centre de culture scientifique, technique et industrielle. Un tel équipement intégré, dont l’unité juridique reste encore à trouver, devrait permettre, selon les termes d’Edmond Hervé, « de conjuguer la tendance à l’hyperspécialisation avec la nécessité impérieuse de maintenir une culture générale actualisée », espérant favoriser ainsi un élargissement des publics.
Gilles Ribardière, directeur général de la culture de la ville de Rennes, a insisté sur l’importance que la ville de Rennes a accordée à la préparation du projet : les études préalables ont en effet assuré une base solide au dialogue avec l’architecte Christian de Portzamparc. Situé sur un lieu stratégique de communication locale et régionale, cet édifice, actuellement au stade de l’avant-projet détaillé, verra sa première pierre posée en l’an 2000 et son ouverture en 2003. D’une superficie de 20 000 m2, sa construction s’élèvera à 425 MF. Diapositives et transparents ont illustré les présentations de chacune des trois entités par leurs directeurs respectifs.
Rennes, BMVR
La bibliothèque municipale de Rennes répond donc, par ce projet, à plusieurs des critères définis pour l’attribution de la troisième part du concours particulier. A cela s’ajoutent des atouts que Marie-Thérèse Pouillias, directrice de cette bibliothèque, a soulignés : la richesse du fonds ancien et celle d’un fonds régional constamment enrichi entre autres par le dépôt légal imprimeur, dont elle est attributaire. La constitution d’une base bibliographique des fonds anciens et régionaux sur la Bretagne, qui servira de point de départ au futur catalogue collectif régional, lui confère une dimension nationale, amplifiée par son rôle de pôle associé à la Bibliothèque nationale de France.
Comme dans d’autres régions où un projet de bmvr existe, cela ne va pas sans créer une certaine inquiétude dans les bibliothèques des autres communes, qui craignent que le financement de la bmvr ne se fasse à leurs dépens. Les réticences viennent aussi de la crainte que les missions nationales et régionales n’étouffent les services à rendre à la population locale.
C’est ne pas tenir compte des objectifs des bibliothèques municipales à vocation régionale, que Sabrina Le Bris a précisés, et qui sont d’être un centre de ressources pour l’ensemble des professionnels de la région. Le futur catalogue collectif régional devrait de plus valoriser les fonds des petites bibliothèques et leur donner une visibilité à l’échelon régional, national et même international. Quant aux usagers de la ville, ils ne peuvent que tirer profit des nouveaux équipements, notamment informatiques et bénéficier d’une offre documentaire accrue et simplifiée du fait du travail en réseau avec les bibliothèques municipales de la région et les bibliothèques universitaires de la ville.
Pour Jean-Marie Compte, directeur de la bibliothèque municipale de Poitiers, seule bmvr avec celle d’Orléans à avoir ouvert ses portes, les 12 000 nouveaux abonnés à la bibliothèque entre septembre, date d’ouverture, et décembre 1996, justifient à eux seuls l’utilité de la bmvr au niveau local. Pôle associé de la bnf en ce qui concerne le Moyen Age, attributaire du dépôt légal imprimeur pour quatre départements de la région Poitou-Charentes, riche d’un fonds sur l’histoire de Poitiers et du Poitou, la bibliothèque répond également aux objectifs nationaux et régionaux d’une bmvr.
Diversité des projets
Thierry Grognet, de la Direction du livre et de la lecture, estime que « les textes d’application de la loi tiennent compte des spécificités locales et que c’est leur souplesse même qui en fait leur force ». Il est certain que, depuis 1992, date de la loi, parmi les douze à treize projets déposés, chacun a sa propre identité. Ce qui rend impossible, comme l’a noté Sabrina Le Bris, la définition d’un modèle de bmvr.
On l’a bien vu dans les exemples de Rennes, Poitiers, La Rochelle, Limoges, présentés lors de la journée : à Rennes, la notion de synergie entre la bibliothèque, le musée et le centre de culture scientifique, technique et industrielle a alimenté en permanence la réflexion des élus, alors qu’à Poitiers, c’est l’éclatement qui a prévalu. Le projet de La Rochelle est aussi atypique : à la différence des autres exemples présentés, la bibliothèque ne sera pas pôle associé à la Bibliothèque nationale de France, et ne recevra pas non plus le dépôt légal imprimeur, puisque celui-ci est déposé à Poitiers. C’est par le biais d’une structure, non pas communale, mais intercommunale – 18 communes sont impliquées dans ce projet – qu’elle a pu envisager d’être bmvr. Devant une telle diversité de situations, on ne peut que conclure, comme l’a fait Marie-Thérèse Pouillias, par : « Autant de lieux, autant de volontés politiques, autant de projets, autant de réalisations, avec des déclinaisons de bibliothèques municipales à vocation régionale à géométrie variable ».
Les moyens
État, région, ville sont les trois mots clés qui interviennent dans la définition tant des objectifs des bibliothèques municipales à vocation régionale, que des moyens qui peuvent leur être attribués. La place que la bmvr doit se faire entre ces trois acteurs dépend d’un équilibre délicat à trouver. « C’est à l’État de préciser les missions d’intérêt général, qui doivent être réalisées à l’échelon régional », a précisé Dominique Arot, du Conseil supérieur des bibliothèques.
Dominique Arot a ensuite mis l’accent sur le fait que, hormis la définition des missions, il était important de préciser les moyens spécifiques que les différents acteurs – ville, région, État – allaient attribuer à la bmvr. Cette question n’est toujours pas résolue.
Cependant, Véronique Chatenay-Dolto, directeur adjoint à la Direction du livre et de la lecture, a donné quelque espoir quant à l’aide de l’État, en indiquant que la dll réfléchissait au moyen de compléter l’attribution de cette troisième part par une participation au fonctionnement. La dll envisagerait également de prolonger ce dispositif au-delà du 31 décembre 1997, date de fin de financement des projets.
Destinée à mettre à disposition de tous l’information bibliographique sur toutes sortes de supports et à offrir une circulation des documents, notamment à l’aide du prêt entre bibliothèques 2, élément d’un réseau basé sur une coopération difficile mais indispensable, comme l’ont noté Marie-Madeleine Erlevint, directrice de la bibliothèque municipale de Limoges et Dominique Arot, la bmvr est un enjeu fondamental pour le programme d’aménagement culturel du territoire.