Electronic Publishing
développements stratégiques de l'édition européenne à l'horizon 2000, le challenge multimédia de l'Europe
L'étude, réalisée par un cabinet de consultants pour la Communauté européenne dans le cadre du programme Info 2000 1, est destinée aux responsables de l'édition et aux politiques dans la perspective des développements de l'électronique. Son message principal se veut résolument optimiste.
Pour les auteurs, l'édition dispose d'importants atouts dans la nouvelle donne électronique. A condition de bien les jouer, l'avenir de la branche est moins sombre que ses dirigeants ne le croient en général. Mais la condition n'est pas anodine : sur la base d'une analyse stratégique dense et fouillée, ils sont invités à entreprendre une véritable mutation.
L'ensemble fait un gros ouvrage, parfois un peu laborieux dans son écriture, mais qui a les qualités des travaux de consultants. Les préconisations franches et rapides sont préférées aux prudentes et objectives observations. Le sujet s'y prête. Qui peut prétendre ne pas se tromper dans une prospective où l'innovation est partout présente ? Ne vaut-il pas mieux alors prendre le risque de l'erreur et proposer des orientations claires, plutôt qu'en rester aux hésitations, à coup sûr désastreuses pour les acteurs ?
Selon les auteurs, la part de l'édition électronique devrait atteindre entre 5 et 15 % du marché total de l'édition d'ici l'année 2002. Les éditeurs doivent transformer leur activité pour se rapprocher de leur clientèle en proposant des services adaptés à la demande. Le chiffre d'affaires est plus à rechercher dans la publicité ou les commissions sur les transactions (par exemple, la vente par correspondance) que dans le paiement direct, au moins pour les plus gros marchés.
Ces leçons globales, ici très schématisées, découlent de plusieurs analyses emboîtées souvent présentées sur des graphiques. Faute de pouvoir résumer un rapport d'une telle densité 2, nous ne présenterons ici que les deux parties qui nous ont paru les plus instructives.
Les modèles d'utilisation de l'information
Une première matrice est construite pour faire ressortir les modèles d'utilisation de l'information électronique à partir de deux axes discriminants. L'axe horizontal permet de classer les usages depuis une consommation individuelle jusqu'à une consommation de masse. En vertical, on ira d'une utilisation passive à une utilisation active. Ce jeu de coordonnées est utilisé pour faire ressortir quatre catégories simples d'utilisateurs : les professionnels du savoir (actifs, individuels), les inconditionnels de l'ordinateur (actifs, masse), les utilisateurs pressés (passifs, individuels), et les amateurs de loisirs (passifs, masse). On pourra toujours prétendre que la réalité est plus nuancée et complexe. Mais justement, la qualité du raisonnement, qui s'appuie sur une synthèse d'études, est de mettre un peu d'ordre dans une situation tellement mouvante que l'observateur a du mal à s'en extraire. Et la proposition, dans sa simplicité même, est éclairante.
Dans un second temps, à partir d'une matrice découpant l'industrie en deux niveaux (contenu et infrastructure) et trois étapes de valeur ajoutée pour l'utilisateur final, les auteurs aboutissent à six groupes distincts d'activités permettant de construire un raisonnement stratégique, même si leur dénomination pourra faire sourire ceux qui ne sont pas habitués à ce genre de littérature. Pour le contenu, il s'agit de la création, le packaging (en fait l'édition au sens classique, la présentation du contenu), le market making (la relation avec la clientèle). Pour l'infrastructure, on trouvera le transport, les supports de livraisons, les activités de diffusion.
Ces six activités permettent aux auteurs de repérer des rôles stratégiques qui réuniront tout ou partie de plusieurs d'entre elles : réseaux en ligne, structurateurs de communautés, studios interactifs, agences et fournisseurs de plate-forme. Chacun de ces rôles est décrit en détail. Grands et petits éditeurs, industriels, producteurs de chaînes télévisées, imprimeurs, publicitaires, grossistes et détaillants en livres, opérateurs de télécommunication, opérateurs de câbles et satellites, sociétés de logiciels, sociétés d'électronique grand public, sociétés de services financiers sont, dans de longs développements, situés par rapport à ces perspectives.
Une relecture bibliothéconomique
Les bibliothèques ne sont pas mentionnées, ce n'était pas le sujet qui ne concernait que les perspectives commerciales de l'édition électronique. Bien des éléments mis en avant par les auteurs sont pourtant familiers aux bibliothécaires. Doit-on maintenant laisser seul le marché sur ce terrain ? Sans chercher une mauvaise querelle à cette étude dont ce n'était pas l'objet, il y aurait une relecture bibliothéconomique à en faire pour s'approprier les résultats dans une perspective de développement de la lecture publique ou académique.
Les catégories de consommateurs sont aussi des catégories d'usagers des bibliothèques, même si la mission de ces dernières oriente différemment les relations. N'y aurait-il pas aussi, par exemple, à approfondir cette notion de « structurateur de communautés » ? Le secteur public, les tutelles politiques, ne seraient-ils pas un peu concernés par un tel rôle ?
Bien des constatations effectuées dépassent une simple perspective commerciale, et, à moins de prétendre que les établissements publics ne doivent pas avoir de stratégie, l'ouvrage est aussi un outil précieux pour éclairer les perspectives des bibliothèques.
Outre le raisonnement tenu, l'intérêt de l'étude se trouve dans la synthèse qu'elle fait de nombreuses enquêtes du secteur. Une comparaison par pays des pratiques de consommation de l'information est aussi stimulante. Schématiquement, c'est en Europe du Nord que domine l'écrit, cette caractéristique connue est confirmée aujourd'hui en ce qui concerne la pratique de l'ordinateur et les perspectives de l'édition électronique, tandis que le Sud préfère la télévision. La France se trouve dans une position intermédiaire. L'étude propose aussi en annexe quatre études de cas de réussites exemplaires 3. Inversement, indiquons quelques réserves relevées au fil de la lecture, qui ne remettent pas en cause l'importance du travail fourni. Nous avons regretté :
- l'absence de distinction entre copyright et droit d'auteur, distinction qui risque pourtant de peser dans les développements futurs ;
- d'une façon plus générale, une orientation trop anglosaxonne et germanique 4 ;
- l'absence de référence, sauf allusive, à l'économie publique ;
- l'absence de référence, sauf allusive, aux coûts réels de production, développement et distribution ;
- l'absence de prise en compte réelle des particularités des secteurs concernés (modèle éditorial, problèmes de création dans l'audiovisuel, inégalités structurelles, notion de catalogue, de collection, de série..) ;
- une présentation un peu caricaturale des questions réglementaires ;
- l'absence de données systématiques et d'une présentation des principaux acteurs européens.