L'élu rural et la lecture publique
Marcelle Guitton
La Fédération nationale des foyers ruraux (FFR) – en collaboration avec les foyers ruraux du Maine-et-Loire – organisait son université rurale annuelle à Angers les 27, 28, et 29 novembre 1996 sur le thème « L’élu rural et la lecture publique ». Le département du Maine-et-Loire, choisi cette année pour accueillir les cinquante stagiaires, compte vingt-six foyers ruraux, dont plusieurs sont impliqués dans la dynamique du livre. Ils sont associés dans les commissions Culture des conseils communaux et intercommunaux et travaillent en partenariat avec les professionnels (bdp-bibliothèques départementales de prêt et drac-Direction régionale des affaires culturelles).
Les bibliothèques rurales en réseau
Après un rappel des fondements théoriques de la notion de réseau, Bruno Dartiguenave, directeur de la bibliothèque départementale de prêt du Maine-et-Loire, introduisit la réflexion sur la démarche intercommunale dans le domaine des bibliothèques.
Si l’idée de réseau n’est pas nouvelle (échanges de livres pratiqués depuis longtemps), le discours est récent : un organisme ne devient performant que lorsqu’il est en rapport avec son environnement extérieur. Le réseau est une réponse à une gestion économique des ressources, préoccupation déterminante depuis la décentralisation. Les élus souhaitent aujourd’hui une politique culturelle associée au développement économique et social du monde rural. La coopération intercommunale en matière de bibliothèques peut prendre diverses formes, tenant compte de certains critères propres à l’espace rural : relatif éloignement des bibliothèques entre elles, densité de population, possibilités de déplacement de la population, zones d’attraction des communes variables.
Le département du Maine-et-Loire bénéficie d’une conjoncture favorable pour mener à bien un certain nombre de projets intercommunaux : tissu associatif dynamique, volonté politique des élus locaux, aides de l’État. La formule intercommunale retenue est la suivante : une bibliothèque-relais, desservie deux fois par an par la BDP, assure les échanges de documents entre les bibliothèques associées. Ce réseau bénéficie d’une prime de 10 000 F pour la constitution d’un fonds de documents audiovisuels et d’aide à l’informatisation. La BDP apporte l’assistance technique pour son fonctionnement et y délocalise ses journées de formation. Le pilotage de ce projet intercommunal s’appuie sur un comité de gestion composé d’élus, de responsables des bibliothèques et de la BDP. Une convention est par ailleurs établie entre les syndicats de communes et la DRAC pour l’octroi de subventions. Localement, le partenariat permet d’obtenir des offices de libraires, de réaliser des commandes groupées de fournitures, de renforcer la coopération avec les écoles, de réaliser un bulletin de liaison.
Les visites de deux bibliothèques intercommunales en milieu rural, à La Pommeraye et à Saint-Lambert du Lattay, ont permis de rencontrer les acteurs du terrain, élus et bibliothécaires, de mieux comprendre l’organisation des projets, leurs perspectives. La question est posée de l’implication des élus locaux dans toutes ces démarches : la phase de diagnostic est importante pour faciliter la prise de décision et s’assurer de la pérennité du projet, indépendamment des échéances électorales. Les associations peuvent jouer le rôle d’interface entre élus et professionnels. Deux écueils restent à éviter pour assurer la pérennité de ce mode de fonctionnement : que le réseau soit réduit à une simple rationalisation des dépenses ou à un modèle administratif normalisé. Au-delà d’une organisation purement fonctionnelle, le réseau doit compter sur la dimension humaine.
La relation entre l’élu et la lecture publique
Depuis dix ans, la région des Pays de Loire se mobilise autour de la lecture et on assiste à une véritable dynamique de modernité : dix nouvelles bibliothèques municipales en 1986, 80 en 96, de nombreux équipements rénovés. Sur sept ans, trente-huit projets d’informatisation, dont trente depuis trois ans. Les budgets d’acquisition se mettent en place et les projets d’animation évoluent. Ce constat positif est présenté par Jean-Pierre Meyniel, conseiller pour le livre et la lecture auprès de la DRAC des Pays de Loire, qui ne manque pas cependant de s’interroger sur les objectifs des élus et sur la cohérence politique de ce développement. L’examen des notes d’opportunité accompagnant les demandes de subvention sont souvent très succinctes et les argumentaires faibles. La bibliothèque est créée parfois par opportunité immobilière et les besoins et fonctionnalités peu étudiés. L’accompagnement financier nécessaire pour mener une politique cohérente et assurer la pérennité de l’équipement n’est pas toujours estimé. Il serait utile, selon lui, de réfléchir à une formation des élus et de les inviter à visiter d’autres sites.
Le secteur le plus significatif de ce développement concerne les nouvelles modalités d’action et la recherche de partenariats. Les communautés de communes s’attribuent des compétences culturelles qui portent notamment sur la politique d’animation, le recrutement de professionnels, parfois sur la gestion des ressources. On voit donc naître des métiers nouveaux : le bibliothécaire n’est pas affecté à un établissement, mais va jouer le rôle de conseiller, de coordinateur, de formateur, d’animateur.
Pour ces projets intercommunaux, des réunions préparatoires sont organisées entre maires, présidents des communautés de communes, DRAC et BDP. L’État et le département soutiennent ces créations d’emploi à hauteur de 40 %. Depuis deux ans, six à huit postes ont été créés en Mayenne. Le travail en partenariat au sein des communes est en pleine évolution, y compris avec l’institution scolaire. On voit naître certains projets exemplaires mettant en relation étroite l’école, la mairie et le département. Des conventions extra-municipales concernant la lecture finalisent les relations entre les différents partenaires. Les relations entre les bdp et leur conseil général ont atteint une phase de maturité : on s’interroge sur les missions, on développe des plans départementaux de développement de la lecture et on bâtit des projets expérimentaux.
La notion de « pays »
Pour « faire de la culture l’âme de l’aménagement du territoire », le département expérimente de nouvelles formes de développement culturel. Christian Gaudin, du conseil général du Maine-et-Loire, présentait les orientations de cette politique qui permet de respecter les équilibres entre milieu rural et milieu urbain. Le département du Maine-et-Loire est structuré en sept « pays » couvrant quatre à six cantons. Ils sont composés de communes et de communautés de communes. La structure juridique d’un « pays » est le syndicat mixte qui s’appuie sur un comité d’expansion. Ce comité rassemble, à parité, les représentants des élus et les acteurs socioprofessionnels, dont les associations. Le « pays » offre une dimension qui permet de conduire des projets forts, choisis par les acteurs locaux du développement : élus, associations, professionnels. Il prend alors une place prédominante. Afin d’éviter le « saupoudrage » des subventions, le « pays » doit dégager les lignes de force de sa politique culturelle de manière à établir un contrat avec le département.
Au sein du département, un comité de pilotage mobilise les porteurs de projets du « pays », les élus locaux et le conseil général : les initiatives prises sur le terrain sont retenues et toutes les facettes de la culture y sont présentées. Une convention d’animation culturelle est signée entre les partenaires pour trois ans. Ces projets globaux peuvent entraîner la participation de cofinanceurs et notamment de la drac. Ils mobilisent les énergies locales. Ils permettent de proposer une offre diversifiée et valorisent le partenariat. Les projets de développement du livre et de la lecture sont intégrés également dans ces démarches. Les bibliothèques ont à se mobiliser pour faire des propositions. Le Pays des Mauges est le premier à tester ce nouveau mode de fonctionnement.
Le département du Tarn-et-Garonne représenté par Raymond Massip, du conseil général, a mis en place une politique de développement de la lecture en milieu rural s’appuyant sur un partenariat entre le département et l’Éducation nationale. Les rôles et les missions des différents partenaires ont été redéfinis, le réseau restructuré, de manière à ce que, dans chaque commune, une bibliothèque ouverte à tous les publics soit proposée aux habitants. Le département encourage la création d’une bibliothèque municipale par canton et d’un dépôt unique de la BDP par commune. Toute création de BCD (bibliothèque-centre de documentation) à l’école exige la concertation de tous les partenaires : le conseil général subventionne les bcd ayant ouverture sur rue. 96 % de la population sont aujourd’hui desservis dans ce département.
Témoignage d’une bibliothèque intercommunale
La commune d’Arzac (900 habitants) installe, en 1995, un « relais-livre en campagne » dans un canton des Pyrénées-Atlantiques comptant vingt-trois communes et 5 500 habitants. La communauté de communes décide de prendre en charge le fonctionnement du service de la lecture et recrute en janvier 1996 une bibliothécaire intercommunale installée à Arzac.
Marylène Marsan présente les missions qui lui ont été définies lors de son recrutement : politique de développement du livre et de la lecture et du patrimoine touristique, structuration du service de la lecture et des réseaux, fédération des projets muséographiques. La bibliothécaire coordonne deux équipements communaux de 130 m2 et organise le travail sur l’ensemble des communes du canton desservies par la bdp. Elle s’appuie sur des équipes de bénévoles, vacataires et contrats emploi-solidarité. Le travail s’organise avec tout ce que le canton compte comme partenaires : la bibliothécaire gère un espace-accueil des « classes-environnement » et envisage des « classes-patrimoine », coordonne des projets touristiques, associe les loisirs sportifs à la connaissance du patrimoine, organise expositions et conférences-débats autour des ressources mises à disposition dans les bibliothèques. Un certain nombre d’ateliers ont été mis en place : ateliers d’écriture, ateliers-contes, ateliers-livres avec édition de critiques. La bibliothécaire est amenée à travailler en partenariat avec la DRAC pour constituer l’Inventaire du patrimoine rural. Les missions du « relais-livre » ont évolué et Marylène Marsan est devenue la responsable des services culturels et touristiques dans le canton.
BDP et foyers ruraux : un partenariat difficile dans l’Aisne
Isabelle Charpentier, docteur en sciences politiques, fait état d’une étude menée dans le département de l’Aisne. Ce département est atypique : la lecture publique s’y est développée dès les années 1920, au moment de la reconstruction économique et sociale du pays et grâce à l’aide américaine. Une association de type caritatif s’est constituée et le réseau créé, important les nouvelles techniques anglo-saxonnes.
Contrairement à la plupart des départements, l’action associative n’a pas été véritablement relayée par l’action publique et les relations entre les associations et la bdp s’avèrent très conflictuelles. En 1983, la Fédération des foyers ruraux entreprend de gérer les bibliothèques rurales : elle est financée par le conseil général et soutenue par la Jeunesse et les sports et l’Inspection académique. L’État va essayer de contrôler et de rationaliser. A l’époque, la BDP présente des défaillances : la desserte n’a pas été repensée depuis 1950 et est majoritairement scolaire, l’offre documentaire souffre de carences. Le département décide de s’appuyer sur les associations cantonales pour développer sa politique de lecture, leur confier des projets d’animation et l’attribution de subventions aux bibliothèques. La FFR emploie un personnel permanent payé par le conseil général. Les missions de la bdp se limitent à la desserte du réseau et à la formation de base des bénévoles.
Le conflit, ouvert, a été réactivé dès lors que le département multipliait le budget de la FFR par cinq. La Fédération a récupéré une partie de la formation et la BDP a été considérée comme une simple exécutante. Cette situation conduit au développement incohérent du réseau.
Un contre-exemple est proposé par la Charente-Maritime : une association pour le développement de la lecture rassemble des élus, les représentants de la bdp, des foyers ruraux et des « utilisateurs », professionnels ou bénévoles. Cette association s’est donnée des méthodes de travail qui en font aujourd’hui un véritable organe de réflexion, d’études et d’évaluation dans les projets de lecture publique et dans l’analyse de l’offre.
L’élu local dans la lutte contre l’illettrisme
Pour Véronique Espérandieu, secrétaire générale du gpli, Groupe permanent de lutte contre l’illettrisme, le seul moyen de promouvoir la lutte contre l’exclusion et la désertification du milieu rural passe par le développement culturel.
L’action du GPLI est fondée sur des partenariats et sur l’idée qu’il faut agir dans les territoires eux-mêmes, car les situations sont complexes et diffèrent d’un territoire à l’autre. Les publics concernés en milieu rural sont isolés, butent souvent sur des difficultés de déplacement, ont besoin d’anonymat et souffrent de solitude. Il s’agit souvent de « restaurer une dignité qui dépasse largement le lire, écrire et compter ».
A côté du travail d’accompagnement dans l’emploi, est nécessaire un travail d’accompagnement vers l’emploi. Il faut donc des dispositifs souples pour répondre aux besoins. Des conventions peuvent être passées entre divers partenaires, organismes publics ou privés.
Le GPLI favorise la prévention et encourage notamment tous les efforts en direction de l’enfance, de la petite enfance et des familles. En ce qui concerne les jeunes et les adultes, les préoccupations portent sur l’accueil, l’information et l’orientation. L’accueil est réalisé dans les missions locales, les centres sociaux, les organismes de formation, les mairies. Les informations sont gérées, au plan national, par l’École des parents et des éducateurs.
La mise en place des dispositifs de formation adaptés se fait en partenariat avec les collectivités locales, à tous les niveaux. Des comités de pilotage ont été créés dans la plupart des régions : leur mission se situe en aval et en amont des actions de formation. Quarante centres-ressources illettrisme ont été installés sur le territoire : ces structures très mobiles sont capables d’apporter appui pédagogique et conseils. Organisés en réseau, ils proposent une information sans cesse remise à jour.
Les « relais-livres en campagne »
Afin de corriger les inégalités liées aux handicaps territoriaux et les écarts de ressources entre les collectivités territoriales, la loi Pasqua de 1995 transforme les outils financiers et crée un fonds unique : le Fonds national pour l’aménagement et le développement du territoire. Cette structure peut être sollicitée pour tous les projets culturels, notamment dans les zones prioritaires définies. La coopération entre les services de l’État et les collectivités territoriales, et particulièrement les départements, doit permettre de mieux aménager le territoire dans le domaine de la lecture.
Afin de trouver des réponses au morcellement du territoire, la Direction du livre et de la lecture, représentée par Jean-Claude Van Dam, se donne comme programme prioritaire le développement des « relais-livres en campagne » ; elle encourage la création d’équipements culturels intercommunaux à vocation multiple : polyvalence de l’offre de lecture (BCD, centres de documentation spécialisés, librairies), intégration de services administratifs (mairie, poste, ANPE), touristiques, lieux de services offerts aux associations, élargissement des domaines d’intervention. L’aide de l’État est conditionnée à la création d’emplois.
La réponse au développement des bibliothèques en milieu rural passe par l’intercommunalité, le décloisonnement des activités et la coopération active avec les structures associatives. Mais, pour assurer la pérennité des actions et agir contre l’exclusion, la création d’emplois est indispensable et exige de nouvelles qualifications pour porter des projets de plus en plus complexes. Aujourd’hui, ce sont les personnels bénévoles qui appellent des professionnels.