Multimédia, audiovisuel, lecture, écriture
quelle complémentarité ?
Bénédicte d' Orgeval
Yannick Lucéa
Le 8 février dernier, la Maison de la lecture de Brest organisait une rencontre sur les rapports entre le multimédia et le livre, intitulée « Multimédia, audiovisuel, lecture, écriture : quelle complémentarité ? ». Les intervenants, à partir de projets ou d’expériences, ont montré la place grandissante des nouvelles technologies documentaires aux côtés du support écrit.
Les collectivités locales
Michel Briand, adjoint au maire de Brest, s’est tout d’abord attaché à montrer l’utilité d’Internet dans les écoles, les bibliothèques, ou simplement dans la cité. Pour ce qui concerne les bibliothèques, il est peu probable que le livre se voit menacé, Internet offrant plutôt des services complémentaires (catalogues, recherche documentaire...). Dans les écoles, se pose le problème de l’utilisation pédagogique d’Internet. Sous sa forme réduite et privée – Intranet –, il pourrait être un moyen d’échange et d’expression favorable à l’éveil des enfants. Des expériences en ce sens seront menées à Brest, la municipalité comptant progressivement connecter tous les établissements scolaires.
La ville souhaite se servir d’Internet pour sa communication interne, mais aussi externe : notes d’information, services aux habitants, programmes culturels locaux, promotion du tourisme, incitation à la création d’entreprise, etc. Cependant un risque apparaît : celui de la ségrégation par le savoir, qui peut mener à de nouvelles exclusions. Les collectivités doivent rester vigilantes, il fait en effet partie de leurs missions de favoriser l’implantation de ces nouvelles technologies dans des quartiers où l’équipement individuel serait absent.
Pour Anne-Sophie Chazaud-Tissot, conservateur-stagiaire à l’enssib, clarifier le discours autour d’Internet s’impose d’emblée. Son préambule s’est attaché, de manière souvent caustique, à décrypter les mots et attitudes qu’Internet véhicule. La floraison d’expressions anglaises a également fait l’objet d’une analyse pointue dont il ressort que l’esprit cartésien français n’est probablement pas le mieux armé pour affronter le Web. Pareillement, les discours angéliques sur la sociabilité et le partage du savoir, bienfaits futurs d’Internet, ont été épinglés.
La deuxième partie de l’intervention était consacrée à la Bibliothèque publique d’information, qui propose à ses lecteurs neuf connexions à Internet 1. Une évaluation des utilisateurs a été menée, dont quelques traits marquants ressortent. 85 % des usagers d’Internet sont des hommes, âgés de moins de trente ans, diplômés, au profil plutôt scientifique. Cependant, – et c’est un constat encourageant –, par un effet d’entraînement, le public tendrait peu à peu à se diversifier. Il convient de souligner que les utilisateurs cumulent un goût certain pour la lecture et quelques notions d’informatique : le risque demeure donc de ne toucher qu’un public déjà acquis à Internet. Plus que jamais, le bibliothécaire devra jouer un rôle de médiateur entre un public inexpérimenté et des sources d’informations sans cesse plus riches et complexes.
Jean-Jacques Pellé, du Centre régional de documentation pédagogique (crdp) de Brest, a pour sa part relaté une expérience intéressante menée sur la ville entre 1989 et 1994. Le crdp a en effet créé lors de cette période une banque de films vidéo à destination des enseignants. Ce service, nommé educable, permettait via le Minitel (3614 educable) de rechercher, puis de programmer des films dans les écoles. Le principe en était simple : pour étayer ses cours, l’enseignant choisissait un ou plusieurs films parmi une liste de 800 titres. Le Minitel lui donnait la possibilité de les programmer sur la télévision câblée de sa classe. Des livrets d’accompagnement pédagogique étaient régulièrement distribués par le crdp.
Malgré ses atouts, ce service n’a pas eu le succès escompté et a donné lieu à un certain nombre de pratiques détournées (des écoles ont par exemple systématiquement enregistré les films pour se constituer leur propre banque). Une enquête a révélé que 76 % des enseignants interrogés ne regardaient jamais la télévision en direct avec leurs élèves. Le service est donc appelé à disparaître. Cette expérience pose bien évidemment le problème de l’utilisation de l’image en classe. Elle met également en valeur un certain nombre de questions relatives à l’utilisation du câble.
Concurrence ou complémentarité
Au cours de son exposé, Pierre Blavain, du service Ingénierie éducative du Centre national de documentation pédagogique, s’est interrogé sur les formes de concurrence ou de complémentarité existant entre l’écran et le papier. Ces deux supports présentent des avantages ou des inconvénients selon le type de lecture pratiqué.
Une lecture dite « intégrale » se satisfait par exemple du livre, sans que ce support soit actuellement concurrencé. En effet, le livre offre une maniabilité, un confort de lecture, une clarté que l’écran ne peut encore proposer. Le papier reste pour l’instant le support de lecture au long cours le plus agréable. Le cas de la « lecture-apprentissage » est en revanche différent puisque l’écran associé à des logiciels adaptés s’avère plus ludique, mais surtout plus performant que le livre.
D’autres types de lecture ont été étudiés, privilégiant l’un ou l’autre support. Une réelle complémentarité existe bel et bien entre le livre et l’écran. Quand le support est différent, la lecture et l’écriture ne changent pas de nature, mais seulement de fonction, d’objectif.
La journée s’est achevée sur une démonstration d’Internet par Bruno Le Berre, de l’université de Bretagne occidentale. Cette présentation instructive était précédée d’un historique et d’un état des lieux quelque peu inquiétant. La France dispose en effet d’un nombre de connexions à Internet particulièrement faible comparé aux autres pays européens. Il est certainement temps pour les enseignants comme pour les bibliothécaires de tirer parti de ce nouvel outil en fonction des missions de chacun.