L'hypermédia dans l'exposition « Tous les savoirs du monde »
Yannick Maignien
Dans le cadre de l’exposition « Tous les savoirs du monde » 1, la Bibliothèque nationale de France présente une salle finale consacrée à l’hypertexte et aux nouvelles technologies d’information et de communication.
Les facteurs de changements
Cette salle introduit le propos par des vitrines présentant les mutations des supports et formats de l’écrit. D’une part en rappelant que les tablettes d’argile, de papyrus, de bois, les volumen, le manuscrit, le codex ont présenté aux cours des siècles toutes les variations que les contraintes et possibilités matérielles limitaient ou permettaient. D’autre part pour montrer le foisonnement des tentatives techniques à la fin du XIXe et au début du XXe siècles visant à s’émanciper radicalement des contraintes d’espace et de temps, que ce soit pour le son, l’image, le texte. Y sont signalés les procédés d’enregistrement, de mesure, de traitement, de transmission par les voies marines ou hertziennes, d’apprentissage, de lecture, depuis les procédés électriques et électromagnétiques jusqu’aux actuels moyens et supports optoélectroniques et numériques.
Ces deux vitrines, plus évocatrices qu’informatives, encadrent une entrée de salle essentiellement composée d’une dizaine de bornes informatiques. Chacune est un élément, autonome, de 4 minutes, consacré à un propos particulier, dont l’ensemble, allant du codage numérique aux bibliothèques virtuelles en réseau, est destiné à présenter les facteurs des changements qui touchent les documents et affectent les bibliothèques dans leur fonctionnement, mais aussi dans leur mission essentielle de production de connaissance, d’ouverture de nouvelles voies de recherche.
Ces dix bornes hébergent un propos en boucle, stocké sur disque dur 2, sonore, visuel et animé. Ces bornes ne sont pas interactives (ce qu’elles auraient pu être), le parti étant de laisser le visiteur naviguer « physiquement » dans une sorte de « marelle », dont le plan est repris sur chaque écran. Un ordre de parcours est suggéré, que le visiteur peut sans problème ne pas respecter. Les dix éléments du propos sont donc eux-mêmes comme un hypertexte, où c’est le « lecteur qui fait le livre » 3.
L’ère des réseaux et du virtuel
Le but a surtout été ici d’être le plus clair possible pour un grand public non spécialisé, mais en apportant de façon didactique le maximum d’informations et d’explications. Quelques partis pris ont été respectés : rappeler dans les images ou références invoquées des éléments patrimoniaux ou historiques que le visiteur a pu voir dans l’exposition ; coupler cet héritage aux mutations profondes sinon radicales que connaissent les documents dès lors qu’ils sont numérisés (codage, catalogage, indexation, balisage, modification de format, stockage, transmission, traitement par l’utilisateur et lecteur final, etc.).
Le propos est de cerner en quoi les documents électroniques « De la banque de données aux documents en ligne », loin d’être la simple reproduction d’originaux matériels, accèdent à une nouvelle existence, ouvrent notamment à des traitements linguistiques automatiques sans commune mesure avec les capacités humaines.
L’approche est historique dès lors qu’il s’agit d’expliquer la courte période d’émergence de l’hypertexte, depuis Vannevar Bush en 1945 jusqu’à Mark Bernstein, en passant par Ted Nelson et Xanadu ou Douglas Engelbart. Cette histoire paie aussi sa dette aux promoteurs des grandes utopies bibliographiques qu’est celle de Paul Otlet et son Mundaneum. La maîtrise des relations bibliographiques internes aux documents comme externes dans leur relation intertextuelle est présentée ici comme enjeu majeur des outils hypertextuels à venir pour la vie des bibliothèques.
Le réseau est aussi précisé en tant que tel, par ses protocoles Internet et sa rapide évolution qu’est le Web. La « bibliothèque », quels que soient les supports d’origine conservés et diffusés, entre dans une nouvelle ère, celle des réseaux et du virtuel, du moins si le lecteur peut faire l’économie des catalogues, des formats, des interfaces ou des outils de recherches hétérogènes que ne manqueront pas de développer les bibliothèques si elles n’entrent pas dans une démarche normative et coopérative dans les traitements de ressources distantes.
Un besoin nouveau de connaissance
Les questions centrales de la structuration et de la navigation hypermédia sont posées à partir des encyclopédies électroniques 4. Implicitement, dans cette exposition, la Bibliothèque nationale de France valorise son projet par les références à la lecture assistée par ordinateur et aux vastes programmes de numérisation des textes, des sons et des images.
Une courte interview de Michel Serres tire les leçons pédagogiques et philosophiques de ce nouvel Atlas du savoir, de cette nouvelle cartographie des connaissances qui doit procéder de la numérisation et de l’accès à distance.
La salle précédente de l’exposition « Tous les savoirs du monde » fait référence à Queneau, pour qui la tentative encyclopédique actuelle avait quelque chose « d’absurde », relevant du « capitalisme des fichiers » 5. Et, certes, l’accumulation exponentielle des documents contraint à traiter plus efficacement que jamais les méta-informations qui permettent de dépasser cet embarras, de subsumer cette complexité, de pourvoir de façon sélective au besoin nouveau et sophistiqué de connaissance.
Il ne dépend pas que des technologies seules que ce projet encyclopédique soit assuré, mais il est certain que, hors d’une conduite intelligente, collective, dans la mise en œuvre de ces outils, point de salut documentaire.
Au-delà de sa durée, est à l’étude que soit porté sur un CD-Rom interactif le contenu de cette exposition, afin d’en faire au moins un outil didactique fort nécessaire dans les formations documentaires et bibliothécaires. Ce CD-Rom pourrait être aussi nécessaire pour qu’un plus large public puisse comprendre simplement des notions pourtant complexes et de haut niveau stratégique dans les sciences de l’information et dans les conditions à venir d’accès à la connaissance.