Les amateurs

enquête sur les activités artistiques des Français.

par Jean-Claude Utard

Olivier Donnat

Paris : Ministère de la Culture, Département des études et de la prospective, 1996. - 230 p. ; 24 cm. isbn 2-909717-23-2. 120 F

47 % des Français âgés de plus de quinze ans ont pratiqué dans leur vie la musique, le théâtre, la danse, les arts plastiques ou l'écriture au cours de leurs loisirs. 22 % ont cultivé l'une au moins de ces activités au cours des douze derniers mois. C'est ce que révèle cette étude, suite de la grande enquête sur « les pratiques culturelles des Français », et preuve nouvelle de la diffusion de la culture, du moins de ces cinq grands domaines, depuis le début des années 70.

Trois objectifs ont motivé cette enquête nationale, réalisée au premier semestre 1994 par la SOFRES, sur les activités artistiques amateurs : combler une lacune dans la connaissance des pratiques culturelles ; expliquer la relation qui lie la formation et l'activité amateur à la consommation des activités et oeuvres professionnelles ; analyser la manière dont ces pratiques s'inscrivent dans les cycles de vie des Français.

Les activités étudiées couvrent presque tous les champs artistiques, à l'exception de ceux de la vidéo, du cinéma et de la photographie. Ceux-ci sont abordés dans d'autres études et publications, car ils nécessitent une approche particulière, distinguant nettement activité d'amateur et simple enregistrement des souvenirs privés, sans intention artistique notable.

Une large diffusion

Premier constat : ces activités amateurs se sont largement diffusées, mais elles concernent en priorité les nouvelles générations, celles qui ont moins de 35 ans (44 % des 15-19 ans, 33 % des 20-24 ans, un peu moins de 20 % des Français plus âgés), ce qui correspond d'une part à une forte croissance de l'offre d'exercice de telles activités, mais également à un progressif et parfois précoce abandon avec l'âge. Ces évolutions se retrouvent dans chacun des domaines avec cependant de forts contrastes à l'intérieur même de ces derniers : la pratique du journal intime est une activité juvénile, connaissant un net taux d'abandon dès la fin de l'adolescence, alors que l'écriture de poèmes ou de romans résiste mieux au temps. Des effets de génération se font jour : le piano a connu une certaine disgrâce pour les 25-45 ans d'aujourd'hui, alors que la guitare a séduit toutes les générations dont l'adolescence a été postérieure aux années 70.

Plus discriminante est la corrélation entre la pratique amateur et le sexe (le public est à forte dominante féminine, surtout dans le cas de la danse, du théâtre et de l'écriture), la situation matrimoniale (avantage aux célibataires), les catégories socioprofessionnelles (domination des cadres et professions intellectuelles), bien que, dans ce dernier cas, ce soit plus une question de diplôme que de revenus et que l'on ait affaire à une relative démocratisation parmi les milieux employés.

Plus surprenante est la constatation que la majorité de ceux qui écrivent, dansent, font du théâtre ou de la musique ou pratiquent un art plastique en amateur se tiennent relativement à distance de la création contemporaine professionnelle : ils ne participent qu'un tout petit peu plus que la moyenne nationale à la vie culturelle sans qu'on puisse déceler une quelconque spécialisation. Comme si faire partie du monde des amateurs correspondait à une réalité relativement indépendante de celle de se tenir informé du domaine culturel correspondant.

Un monde hétérogène

Le monde amateur est, il est vrai, fort hétérogène, avec une très grande diversité des configurations possibles, allant d'un semi-professionnalisme au moins rêvé à une forme assumée de divertissement. Cela n'implique aucun jugement : dans le groupe de ceux qui considèrent leur amateurisme comme très important pour leur vie, près de la moitié n'y connaît aucun professionnel. Aucune échelle fiable et unidimensionnelle ne permet donc de classer ce vaste public amateur selon l'intensité de son engagement.

Cette diversité se retrouve évidemment dans la seconde partie de l'étude qui propose une investigation plus poussée dans chacun des cinq domaines culturels, mettant ainsi en évidence les différenciations des formes et contenus des pratiques amateurs. Les pratiques d'écriture, par exemple, se distinguent des autres activités artistiques amateurs sur trois points importants. La prescription parentale y a joué un très faible rôle et, plus largement, l'écriture est d'abord vécue comme résultat d'une démarche personnelle, éloignée ou peu soumise aux contraintes extérieures et aux sollicitations de l'entourage affectif.

En revanche, les trois quarts des « écrivants » se refusent à se considérer comme des « écrivains amateurs », sensibles à ce que cette étiquette pourrait avoir de péjoratif. Enfin, tout en échangeant peu sur leur pratique, bon nombre des « écrivants » ne connaissant aucun regard extérieur sur leur production, ces derniers ont un intérêt assez large pour la littérature, sans être centrés comme les amateurs de danse ou de musique, sur le seul genre qu'ils cultivent.

Cette enquête vient donc fort à propos, à un moment où se multiplient les facteurs qui, de la réduction du temps de travail aux progrès de la scolarisation, peuvent permettre de découvrir ou redécouvrir une activité artistique. Évoquer la diversité des amateurs et de leurs pratiques, montrer leur autonomie par rapport à la sphère professionnelle, insister sur leurs goûts parfois éloignés de la création contemporaine, voilà autant d'enseignements à méditer et qui rappellent encore une fois que toute culture est également un braconnage individuel.