L'avenir des universités européennes

comment va-t-on diplômer les étudiants ? L'impossible statu quo, des dysfonctionnements aux objectifs

par Emmanuel Fraisse

Bertrand Girod de l'Ain

Dossiers d'Éducation et formation. numéro 68, avril 1996. - 180 p. ; 30 cm. issn 1141-4642. 95 F

Les lecteurs d'Esprit connaissent déjà l'essentiel des lignes directrices de ce rapport, puisque la première partie, comme ses conclusions, y ont été publiées ( 1).

Une grande part du mérite de la publication complète de ce dossier par la Direction de l'évaluation et de la prospective du ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche vient de ce qu'à ces deux articles passionnants s'ajoute une masse très instructive de témoignages français et européens, émanant d'usagers, de responsables et d'observateurs institutionnels ou engagés.

Une crise européenne

La première remarque que l'on est tenté de faire est que l'Université est désormais entrée dans le champ de l'évaluation et que l'approche de Bertrand Girod de l'Ain se situe bien au-delà des préjugés passéistes ou étroitement disciplinaires. C'est d'ailleurs parce que la crise (ou la croissance) des universités n'est pas seulement française, mais finalement européenne, que son constat, comme ses propositions, dépassent la simple dénonciation ou le renoncement condescendant et désabusé auxquels on est encore trop souvent confronté dans ce domaine. A l'heure où s'ouvre en France le débat sur la semestrialisation des études, elle-même liée pour partie à la nécessité d'une harmonisation susceptible de permettre de réels échanges d'étudiants et la constitution d'une Europe de l'enseignement supérieur, les analyses de Bertrand Girod de l'Ain ont le mérite de dégager l'existence de trois grands modèles de délivrance des diplômes et d'organisation des cursus.

Le modèle allemand est essentiellement fondé sur une très large autonomie de l'étudiant (il est vrai remarquablement doté en moyens de documentation), et axée sur une certification finale décisive, avec des étapes intermédiaires certes, mais pas de diplômes en cours de cursus comparables à notre deug (diplôme d'études universitaires générales), voire à notre licence. Le modèle anglais traditionnel repose sur un suivi attentif de l'étudiant (très jeune en général) et donne le primat à la certification de fin d'études. Quant au modèle français, issu depuis 1968 pour une large part du système américain des « crédits », il apparaît comme considérablement morcelé, reposant - au moins jusqu'à la maîtrise dans les disciplines littéraires - sur l'addition « de mini-réussites : une dizaine d'unités de valeurs par an », sans qu'on puisse nécessairement y discerner une progression cohérente.

Valoriser le travail de fin d'études

Pour des raisons diverses (allongement constant des études en Allemagne, pressions « additionnistes » s'exerçant sur le système anglais qui conduisent à élargir ses effectifs dans un contexte de coupes budgétaires, éclatement des cursus et échec étudiant en France) et parce qu'ils affirment les mêmes réalités d'ensemble (pression accrue du chômage, évolutions sociologiques, distorsion entre le monde professionnel et celui de l'enseignement, limites de la dépense collective), aucun de ces modèles n'est véritablement satisfaisant. Mais plutôt que d'entonner le grand air de la déploration, Bertrand Girod de l'Ain propose d'observer ce qui peut unifier, ou faire converger ces systèmes de manière positive.

Selon lui, l'essentiel réside dans la prise en compte, sur le plan européen, de l'importance du travail de fin d'études, dont notre maîtrise pourrait être la version française, au bout de quatre années (huit semestres, serait-on tenté de dire). Plutôt que de considérer la scolarité universitaire comme une série d'épreuves disjointes, mieux vaut valoriser le diplôme terminal certifiant, puisqu'il est l'occasion d'une mise en oeuvre de l'ensemble des aptitudes et des acquis de l'étudiant tout au long de son parcours.

Certes, l'épineuse question de la relation entre l'Université qui délivre le diplôme et le monde professionnel qui embauche les diplômés n'est pas résolue pour autant ( 2). Mais, aux yeux de Bertrand Girod de l'Ain, une telle direction a l'immense mérite d'ouvrir le débat d'une manière réaliste. Pour lui en effet, et on est bien tenté de le suivre sur ce point, c'est de clarté, d'information et de réflexion dont ont besoin notre enseignement supérieur et les étudiants qui (faut-il le rappeler ?) sont sa raison d'être.

  1. (retour)↑  Bertrand Girod de l'Ain, « Comment va-t-on diplômer les étudiants en Europe ? », Esprit, n° 3-4, mars 1995 ; B. Charlot, J. Beillerot (éd.), La Construction des politiques d'éducation et de formation, Paris, puf, 1995 ; « Des dysfonctionnements aux objectifs », Esprit, n° 5, avril 1995.
  2. (retour)↑  Le rapport rappelle avec finesse que cette question concerne également les métiers de l'enseignement. Ainsi le capes ou l'agrégation du secondaire ne sont pas du ressort des universités, mais, pour l'essentiel, de cette institution extérieure qu'est l'inspection générale.