Pour l'école
Roger Fauroux, ancien ministre socialiste de la Communication, ancien président de l'INA (Institut national de l'audiovisuel), avait été chargé en 1995 par le ministre de l'Éducation nationale, François Bayrou, de réunir une commission pour envisager les réformes nécessaires à un meilleur fonctionnement du système éducatif français. Le contexte était alors, on s'en souvient, marqué par des remous au sein des universités, et par la prise de conscience médiatique de ce qu'on a appelé les phénomènes de violence à l'école.
Comme la personnalité de son responsable, la composition de la commission témoigne d'un certain oecuménisme : on y trouve des universitaires, des représentants du monde de l'entreprise, des politologues, et des personnalités aussi différentes que Marc Fumaroli ou Huguette Bouchardeau. Le résultat de leur travail a été rendu public en juin 1996, après des médiatisations volontaires (diffusion de certaines auditions de la commission sur la Cinquième) et involontaires (fuites avant publication ayant entraîné un tollé syndical).
L'enseignement primaire et secondaire
Il s'agit essentiellement ici de l'enseignement primaire et secondaire, l'université n'étant abordée que partiellement, et surtout à travers la nécessité d'une amélioration du fonctionnement des premiers cycles, confrontés à l'accroissement des effectifs étudiants et à l'arrivée de nouvelles populations, moins à même de s'y débrouiller.
Soulignons cependant l'insistance méritoire avec laquelle le rapport Fauroux met l'accent sur la nécessité impérieuse de doter les bibliothèques universitaires des moyens indispensables à leur fonctionnement. Nous devons nous en réjouir, même s'il peut paraître surprenant qu'il n'évoque pas les outils documentaires qui sont sensés y préparer en amont, les BCD (bibliothèques centres de documentation) et les CDI (centres de documentation et d'information).
La lecture de ce rapport est exceptionnellement agréable. Il était de ce point de vue positif de demander ce travail à un spécialiste de la communication. L'ouvrage est rédigé dans un style direct, non dénué parfois d'humour, et évite complètement le jargon ésotérique propre aux sciences de l'éducation. Il n'en est pas pour autant totalement exempt de langue de bois. L'école est un milieu hypersensible, et de multiples précautions oratoires sont à prendre si on ne veut pas y déchaîner les passions. Ainsi, de paragraphe en paragraphe, des hommages insistants sont rendus (souvent à juste titre d'ailleurs) au corps enseignant, qui souffre d'exercer dans des conditions difficiles un métier exigeant. La commission s'est rendue sur le terrain, en France et à l'étranger, pour évaluer in situ ce qu'on appelle des expériences innovantes (la liste en est donnée en annexe), et préconise leur diffusion et leur reproduction.
Décentralisation et professionnalisation
La nécessité de procéder à une « modernisation » (la commission récuse le terme de réforme, trop usé à travers les années) se justifie pour elle par un constat qui n'est pas nouveau, mais qu'elle reprend à son compte : l'École française, républicaine et égalitariste, n'est pas en mesure d'assurer sa mission fondamentale, qui est de garantir un accès égal à l'éducation et à l'emploi des enfants et des adolescents qui lui sont confiés. Le rapport tourne donc autour de deux idées maîtresses : décentralisation et professionnalisation.
La décentralisation recouvre diverses propositions qui vont dans le sens d'une plus grande autonomie des établissements : limitation des compétences de l'administration centrale (selon une certaine forme de « subsidiarité »), transfert de compétences au niveau rectoral, notamment en ce qui concerne le mouvement des personnels et la gestion du baccalauréat, renforcement de l'autonomie des universités, possibilité accrue pour les chefs d'établissements d'intervenir dans le recrutement des enseignants et de disposer plus librement de la maîtrise de leur budget...
La nécessité de la professionnalisation est fortement affirmée : l'école se doit de préparer au métier (ou à l'emploi). Sa mission de formation générale est résumée dans l'obligation de fournir un bagage minimum auquel tout élève scolarisé pourrait prétendre en fin de cursus, où l'école aurait donc une obligation de résultat en tant que service public.
Ces compétences incluent les savoirs de base (« lire, écrire, compter »), mais aussi le développement harmonieux du corps et l'apprentissage des civilités. Elles transcendent la notion de disciplines, elles sont les outils qui permettent de les aborder de façon efficace. C'est dans le même ordre d'esprit (ainsi que par souci d'économie), que le rapport préconise la bivalence des professeurs du secondaire. L'aménagement des rythmes scolaires, prenant en compte de façons diverses des réalités différentes, doit lui aussi concourir à une meilleure répartition de l'acquisition des compétences.
Lutter contre le chômage
Au-delà, l'école reste fondamentalement une machine à lutter contre le chômage. De là découle la nécessité d'accroître considérablement le nombre et les moyens des conseillers d'orientation : on souhaite qu'ils procèdent à des orientations « positives » (dont on peut mettre en doute la faisabilité en période de pénurie d'emploi) ; de remettre à l'honneur l'apprentissage (alternative aux contrats-emploi-solidarité ?) ; de professionnaliser les filières prestigieuses (grandes écoles, filières universitaires). Le rapport émet cependant des réserves sur les capacités du monde de l'entreprise à jouer le jeu partenarial : difficulté à définir clairement les besoins de l'entreprise à moyen terme, mauvaise qualité et insuffisance quantitative des stages proposés à l'enseignement en alternance.
Décentralisation et professionnalisation sont d'ailleurs liées : c'est au plan régional qu'on peut définir conjointement des politiques de formation professionnelles. Le tout débouche sur une culture du management scolaire, qui est à l'évidence encore nouvelle dans le monde de l'école. Ainsi le rapport suggère-t-il d'accroître l'indépendance de l'appareil d'évaluation de l'Éducation nationale (l'actuelle Direction de l'évaluation et de la prospective) en le constituant en établissement public, et de créer un haut conseil de l'école chargé de suivre les évolutions en cours.
Tentative d'évaluation
Le rapport se termine sur une tentative d'évaluation du coût des mesures préconisées. On y prend de nombreuses précautions oratoires : toute réforme même si on l'appelle pudiquement « modernisation » coûte de l'argent, et l'époque n'est pas à la dépense facile. On est donc amené à compter sur le phénomène démographique de la baisse annoncée du nombre d'élèves pour investir dans l'avenir.
Qu'en est-il des chances du rapport Fauroux d'aboutir à des réalisations concrètes ? La lecture de la presse généraliste ou spécialisée fait apparaître un certain scepticisme. Si les syndicats ont réagi vivement avant sa publication, ils sont restés par la suite assez silencieux, voire, en ordre dispersé, favorables à certains points du rapport. Les commentateurs soulignent le peu d'empressement du ministre à soutenir la commission quand elle est mise en cause, les résistances classiques de la profession ou des syndicats, qu'elles soient d'ordre corporatiste ou liées à une conception républicaine de l'école publique, dont, quoi qu'elle en dise, la commission Fauroux se démarque. Ces commentateurs se sont aussi attachés à mettre en doute les coûts, baisse démographique ou pas, que les réformes entraîneront inévitablement.
Au début de 1997, on ne voit guère arriver de changements liés au travail de la commission, non plus d'ailleurs que le fameux référendum sur l'éducation, souhaité par le président de la République et devant lequel le ministère de l'Éducation nationale semble beaucoup plus réticent.