Courrier du lecteur / Quoi ne pas lire ?

François Lapèlerie

S’il est vrai que nous assistons à (ou subissons) une croissance exponentielle de la production scientifique qui double tous les quinze ans, il devient de plus en plus nécessaire de trouver une solution à cette avalanche qui met à mal les finances des bibliothèques et les capacités de lecture des chercheurs.

Cependant, on a constaté que 50 % des articles publiés ne seront jamais cités. On peut même se demander s’ils seront jamais lus par quelqu’un d’autre que par leur auteur.

On a également démontré que citer un article ne signifie pas, hélas, l’avoir eu en mains, et encore moins l’avoir lu. Nombreux sont les articles qui ne sont cités qu’à partir d’une référence - parfois inexacte, - recopiée - parfois inexactement - dans une bibliographie. Sur les 50 % d’articles cités, un fort pourcentage n’est donc lu que par une très petite minorité de chercheurs. Au total, peut-être 60 ou 70 % des articles publiés ne sont probablement jamais lus. Comment les éliminer ?

L’élimination préventive consisterait à empêcher certains auteurs de publier, puisqu’ils ne seront jamais lus et encombrent ainsi inutilement les revues puis les bibliographies et accessoirement les bibliothèques. Mettre en oeuvre cette solution aussi évidente que simple est loin d’être aisé… D’autant moins qu’on a embauché ces auteurs précisément pour écrire et que leur production - même non lue - revient aussi cher que la production qui sera lue. D’autant moins enfin que le moins bons articles sont en quelque sorte le terreau sur lequel poussent les meilleurs, comme nous l’apprend la science de l’information 1.

Un autre moyen moins abrupt serait de suivre le conseil qu’Oscar Wilde donnait aux lecteurs de la Pall Mail Gazette, le 8 mai 1886 : « Conseiller quoi ne pas lire est une matière que je me hasarde à recommander aux Programmes de Développement des universités. Elle est même on ne peut plus utile notre époque, laquelle (...) écrit tellement qu’elle n’a plus le temps de penser » 2. Ce conseil plus que centenaire d’Oscar Wilde semble encore très approprié 3 : apprendre - à nouveau - à penser serait peut-être une tâche essentielle des universités.

  1. (retour)↑  Le philosophe Jose Ortega Y Gasset avait eu l’intuition de ce phénomène bien avant que la science de l’information ne le confirme. On se reportera à son livre, La révolte des masses, Paris, Éd. du Labyrinthe, 1986.
  2. (retour)↑  Cité d’après Oscar WILDE, Aristote à l’heure du thé, Paris, Les Belles Lettres, 1994.
  3. (retour)↑  Y compris aux nombreux dévots, bigots et autres sectataires d’Internet : rendre les gens plus « communicants » ne les a pas pour autant rendus plus intelligents.