Fidéliser son public et promouvoir ses services et ses fonds
Jean-Claude Utard
Comment fidéliser le public des bibliothèques ? Quelles actions de communication peuvent être mises en œuvre pour susciter une utilisation durable des services et des fonds de ces établissements ? Comment concilier cette offre plus ou moins directive avec l’autonomie de l’usager ? La signalétique a-t-elle des règles ?
Au cours de deux rencontres précédentes, avait été étudiée la manière de faire connaître la bibliothèque, en particulier à travers logos et chartes graphiques 1, puis avaient été envisagés quelques moyens pour accroître sa fréquentation, y compris à travers un réseau de partenaires multiples. Ces questions, abordées sous l’angle du marketing et de la communication, furent au centre de la troisième journée de réflexion organisée par le groupe Ile-de-France (gif) de l’abf (Association des bibliothécaires français) autour de la promotion de la bibliothèque, le 25 novembre 1996 à la bibliothèque Buffon, à Paris.
Les concepts du marketing
Bernard Cova, de l’École européenne des affaires, ouvrit cette journée par une mise en perspective historique et critique des concepts du marketing. Son salutaire exposé rappela en effet comment on était passé du marketing de masse des années 50, selon lequel l’entreprise proposait des produits anticipant les besoins de segments de clientèle, à une vision beaucoup plus fine des consommateurs, où le marketing prend en considération l’individualisme contemporain, mais également les besoins de relations et d’échanges, la connaissance et le respect des désirs des usagers.
Le modèle de cette nouvelle forme d’orientation marketing, dont se réclament par exemple Ikea ou Nature et Découvertes, ne met plus en avant les seuls produits, mais veut vendre de la relation, de l’expérience, du sens, à travers ces lieux privilégiés que sont redevenus boutiques et magasins, au design calculé, pour entraîner le maximum de relations entre clients et vendeurs, voire entre clients.
Appliqué au monde des bibliothèques, le marketing ancienne manière offrait au bibliothécaire de passer d’un état d’esprit obnubilé par le produit – les documents intéressants pour eux-mêmes – à un état d’esprit orienté vers le marché – les lecteurs et leurs besoins. Le marketing d’aujourd’hui lui permettrait de dépasser ce point et de réfléchir par exemple sur le lieu bibliothèque, vu non plus seulement comme celui de la rencontre des usagers et d’une offre documentaire, mais également comme un lieu de rencontres et d’expériences échangées entre lecteurs, entre lecteurs et personnel, ce dernier devant d’ailleurs favoriser et catalyser ces échanges, prévoir des espaces où puisse exister une part d’imprévu et de spontané...
Des espaces différenciés
Ne sourions pas : nos grandes médiathèques sont confrontées à des attitudes qui sont bien celles des consommateurs actuels. Qui veulent et de l’autonomie et du conseil. Le respect de leur anonymat et la possibilité de pouvoir parler. Et qui n’y viennent pas seulement pour les documents et en se pliant aux règles d’usages pour lesquels elles sont idéalement faites (un usage individuel, silencieux, avec inscription et emprunt...). Qui savent donc en contourner ou détourner les règles. D’où le besoin de réfléchir sur l’aménagement interne, sur le design de l’environnement. Ne peut-on concevoir des espaces différenciés, certains supportant une interaction, voire une appropriation forte des usagers, d’autres étant plus classiquement documentaires, etc. ?
Si les bibliothécaires présents restèrent un peu réservés devant cette image d’une bibliothèque « portefeuille d’expériences », qui « n’existerait pas sans bistrot », du moins s’accordèrent-ils à constater que l’âge du public et de l’espace uniques était passé.
Alain Roth, graphiste indépendant, analysa les peintures extérieures des bibliobus de la Drôme : d’un graphisme moderne et vif, ils véhiculent sur les routes, pour le compte de la bibliothèque départementale de prêt, une image et des références culturelles jeunes et d’actualité.
Joëlle Muller, de la médiathèque de la Cité des sciences et de l’industrie, revint sur le fait que le mobilier et l’organisation de l’espace jouent un grand rôle dans la fidélisation du public, que la signalétique permet ou non l’appropriation des espaces et des collections. Mais elle insista également à juste titre sur le produit, sur l’offre documentaire, notant que les meilleurs « vendeurs » d’un produit ou d’un lieu en sont les utilisateurs satisfaits.
La mise en valeur des fonds
Certaines règles de la mise en valeur des fonds furent rappelées par Françoise Bovier-Lapierre, étalagiste et formatrice : une présentation de documents doit partir d’une idée unique, exprimée simplement, avec une dominante (un document ou un groupe) qui résume le thème, et d’autres qui en évoquent diverses facettes, le tout en pensant à un public particulier. Car chaque thème s’adresse à un public cible et c’est le renouvellement qui permet de passer en revue l’ensemble des publics.
Constatant que l’aménagement des médiathèques avait su rompre avec l’image d’un lieu de conservation, et avait beaucoup de points communs avec celui des grandes surfaces culturelles, Bernard Choquier, de l’agence de communication Alizée Productions, notait cependant que ce dernier restait un peu trop fonctionnel et visait trop l’autonomie des usagers, au risque d’une certaine froideur. Cela empêche les utilisateurs de se faire une véritable image de la fonction de bibliothécaire. Il faut donc réinventer des propositions, des points de conseils, « faire de la bibliothèque une forêt de tentations ».
La synthèse de cette journée féconde fut faite par Marielle de Miribel, de Médiadix. Tout en insistant sur le côté passionnant, car profondément adaptable de notre métier, elle estima qu’il ne convient pas de réserver la présence des bibliothécaires aux usagers dignes d’attention – parce que partageant les mêmes passions que les bibliothécaires –, ou à ceux posant problème. Pour tous les autres, plus ou moins autonomes, il est important de réaffirmer notre présence par l’accueil, le conseil et la proposition.