L'inventaire et ses méthodes face à l'évolution de la demande
Albert Poirot
Bordeaux a accueilli du 14 au 16 octobre 1996 les deuxièmes journées nationales d’études de l’Inventaire ; le thème en était « L’Inventaire et ses méthodes face à l’évolution de la demande ». Anniversaire et fidélité obligent, on y évoqua la mémoire du ministre André Malraux, qui, en 1964, porta sur les fonts baptismaux l’Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France. Hasard et nécessité faisant loi commune, on y salua la venue de l’ex-président du Conseil supérieur des bibliothèques Michel Melot ; celui-ci reçut « en direct » la responsabilité de la Sous-direction de l’Inventaire général des mains de son prédécesseur Gérard Ermisse, qui quittait ses fonctions le 14 octobre.
Ces journées, qui rassemblèrent quelque 200 participants, étaient principalement destinées aux personnels qui œuvrent pour cette entreprise nationale, tant en administration centrale que dans les directions régionales des affaires culturelles (drac). Elles étaient également ouvertes aux divers membres de la Commission nationale de l’Inventaire général. C’est d’ailleurs le vice-président de cette instance, Bruno Foucart, qui partagea avec le directeur du Patrimoine, Maryvonne de Saint-Pulgent, le soin d’introduire les débats.
L’enjeu international
Deux ateliers étaient notamment appelés à susciter l’intérêt du bibliothécaire et du documentaliste. Leur libellé (« La conception du système documentaire et l’exploitation des données », « L’Inventaire et la documentation patrimoniale ») demandait une rigueur de bon aloi pour que soient évitées les redites ; gens précis, les agents de l’Inventaire s’y astreignirent. Le débat, parfois vif, naquit de fait des disparités en moyens qui existent entre les différents services régionaux. Pour certains, la réalité de la documentation mérite une approche très prudente et pragmatique ; pour d’autres, aux acquis déjà nombreux, aux fichiers bien constitués, bien nourris, bien alimentés, le schéma directeur 1996-2000 du système d’information du ministère de la Culture ouvre désormais aux bases Palissy et Mérimée de nouvelles perspectives. Pour ceux-ci, l’enjeu est européen, voire mondial (cf. le projet Spic 1 et sa variante internationale Aquarelle) ; les plages de l’Inventaire sont d’ores et déjà recouvertes par la vague d’Internet.
Ce transfert des données sur des réseaux internationaux de communication méritera certainement la plus grande attention de la part des responsables politiques et administratifs. Le problème juridique des ayants droit éventuels reste à analyser. De plus, au cours des années passées, une heureuse collaboration s’est souvent instaurée au plan local entre les services de l’Inventaire et les collections publiques ou privées détentrices de pièces uniques. Leur reproduction a favorisé la constitution de la documentation de l’Inventaire, afin qu’elle soit utilisée dans un contexte technique bien circonscrit. La nouvelle donne liée à Internet bouleverse les conditions de la relation, même si une grande partie des sources utilisées est libre de droit. Seule une scrupuleuse vigilance permettra de maîtriser cette question.
Les différentes structures
Les discussions propres aux deux ateliers précités ont peut-être trop mélangé les moyens et les méthodes ; complétées par des perspectives sur les réseaux, elles aboutirent finalement à un échange sur les structures ministérielles, administratives et documentaires.
Comment aborder la relation entre les services régionaux de l’Inventaire et les Centres de documentation du patrimoine des drac ? On signala plusieurs modalités, plus ou moins exclusives les unes des autres : collaboration étroite et intensive, développement d’outils communs (ah ! les thésaurus...), fusion, absorption quand la compétence et le dynamisme du (de la) documentaliste de l’Inventaire prédominent. Quelle part d’initiative doit revenir à l’administration centrale ? Ce débat allait rester en suspens quand une intervenante, ayant sans doute beaucoup lu la fable du chat, de la belette et du petit lapin et la littérature grise, fit valoir qu’en principe, la question était dépassée : le rapport Silicani sur la réforme de l’État envisagerait plutôt une mise en commun des ressources documentaires des drac sous l’égide des caid (centres d’accueil, d’information et de documentation). Ce type de problématique trouvait son correspondant au plan national avec le projet fédérateur de Médiathèque du patrimoine qui devrait s’installer en 1998 dans une aile du Palais de Chaillot 2.
Parmi les nombreuses autres interrogations apparues au cours de ces ateliers, au moins deux méritent aussi d’être signalées, même de façon rapide : quel rôle doit revenir à l’Inventaire général dans le développement des bibliographies régionales ou des topobibliographies ? Et enfin, quels utilisateurs détermineront l’évolution de la demande et, donc, les outils ? Bien sûr le service, l’administration de l’État, mais au-delà ? Les collectivités, le public spécialisé aussi bien que les passionnés du patrimoine local ? L’universitaire appelé à témoigner à Bordeaux eut à cœur de dire tout le bien qu’il pensait de la documentation amassée par les conservateurs de l’Inventaire général ; mais il alla jusqu’à s’étonner que cet excellent travail ne soit pas davantage mis en valeur. Manifestement, la réflexion n’était pas mûre pour que l’on puisse aborder d’autres questions encore plus délicates, comme celle des horaires d’ouverture.
Le nouveau bâtiment de la drac d’Aquitaine, inauguré en 1995 et caractérisé par une greffe contemporaine sur le couvent de l’Annonciade (XVIe et XVIIe siècles), accueillait ces deuxièmes journées. Pour la commodité des échanges, certains ateliers s’installèrent dans les locaux de la Bourse du travail. Les participants purent apprécier en cet endroit quelque peu délabré l’immense tâche qui attend ceux qui ont choisi pour mission la défense et l’illustration du patrimoine. A l’Inventaire tout particulièrement, Titans, Danaïdes, Sisyphe sont des images mythologiques qui se croisent de façon obsédante. Surtout quand, invités à un vin d’honneur dans les salons de l’Hôtel de Ville de Bordeaux, les personnels de l’Inventaire y sont précédés de quelques jours par des « plastiqueurs groupusculaires » de l’Île de beauté...