Les maisons d'écrivains

Premières rencontres

Jean-François Seron

L’idée de réunir tous ceux qui se préoccupent de la mémoire des écrivains : héritiers, associations, propriétaires de maisons, responsables de documentation littéraire n’est pas née par hasard dans la région Centre. Cette région, riche en maisons d’écrivains – une quinzaine ouvertes au public –, abrite dans le Cher un groupe informel constitué notamment d’Alain Rivière, neveu d’Alain-Fournier, de Jean-François Goussard, directeur du Centre départemental de documentation pédagogique, de Jean-Yves Ribault, directeur des Archives départementales et d’Élisabeth Dousset, directrice de la médiathèque de Bourges.

Un intérêt renouvelé

Ce groupe avait pris l’initiative de commémorer Alain-Fournier à plusieurs occasions, notamment en 1993 pour les quatre-vingts ans de la publication du Grand Meaulnes. C’est donc à la suite de ces manifestations que Jean-François Goussard a lancé en 1995 le projet de rencontres des maisons d’écrivains. Ce dernier, d’abord limité à une grande région, Centre-Bourgogne-Limousin-Auvergne, a finalement rassemblé dès 1996 des acteurs de toute la France et même de Belgique. L’État et le Conseil régional ont toujours soutenu et encouragé les initiatives en faveur des maisons d’écrivains, en particulier la restauration de l’école d’épineuil-le-Fleuriel, lieu qui a inspiré Alain-Fournier. Cette restauration réussie est un modèle de ce qu’il est possible de faire dans une maison d’écrivain dans un esprit de respect et de fidélité.

Enfin, cette réunion a été préparée dans un contexte général d’intérêt pour les maisons d’écrivains et les fonds littéraires : organisation par l’Association des bibliothécaires français (abf) d’une rencontre sur le thème des fonds littéraires à Paris, au printemps 1996, mission confiée à l’automne par le ministre de la Culture à Michel Melot au sujet du développement des maisons d’écrivains 1.

A Bourges, les 18 et 19 octobre 1996, beaucoup étaient venus : une centaine de personnes – conjoints ou descendants d’écrivains, animateurs d’associations, de centres de documentations, membres de l’abf, organisateurs de la réunion du printemps. Diversité des statuts, diversité des préoccupations, diversité des écrivains représentés, il est facile d’imaginer la richesse des rencontres et des échanges.

Georges Poisson, conservateur général du patrimoine, qui s’est beaucoup intéressé aux maisons d’hommes célèbres, dressa un large panorama des maisons d’écrivains, de la plus modeste – comme celle de Mallarmé, petite maison d’un professeur d’anglais – aux plus brillantes, comme celles de Dumas, Hugo ou Rostand.

S’appuyant sur des lieux qu’il connaissait, Georges Poisson développait une réflexion sur l’idée nouvelle de respect du passé, apparue au XVIIIe siècle avec Jean-Jacques Rousseau, sur la restauration de beaucoup de lieux, quelquefois très importante, sans qu’on puisse être sûr de la fidélité de la restitution. Il signalait le mouvement récent des écrivains comme Elsa Triolet et Louis Aragon qui, de leur vivant, envisagèrent la conservation de leur maison. Il concluait en insistant sur le nombre de maisons ouvertes au public, aujourd’hui en France – 1996 – et sur la spécificité de ces lieux qui permettent un voyage entre savoir et émotion.

Le lieu des solitaires

L’émotion fut provoquée par l’arrivée de Kenneth White, qui donna le point de vue de l’écrivain sur la maison : le lieu des solitaires. Il décrivit d’abord le pavillon de Croisset, cette pièce, la seule qui reste de la maison où Flaubert écrivait très tard dans la nuit et sur laquelle les bateaux naviguant sur la Seine toute proche se repéraient, comme auprès d’un phare. à la suite de la visite, au cours de laquelle il vit le perroquet empaillé, qui servit, dit-on, de modèle à l’oiseau, héros d’Un cœur simple, il se mit à relire le texte, soulignant ainsi que la visite d’une maison d’écrivain peut inciter à découvrir ou redécouvrir les textes d’un auteur. à partir des propos de Flaubert sur Combourg dans Par les champs et par les grèves, Kenneth White insista sur l’importance de la question des lieux de mémoire et des vestiges symboliques.

Suivit un tour du monde de ces maisons, commençant bien sûr par l’Écosse, son pays natal, et la maison de Sir Walter Scott à Abbotsford. Si la maison n’est pas très intéressante, le paysage magnifie ce lieu où l’écrivain est finalement peu présent. Puis Kenneth White évoqua les maisons de Thomas Carlyle à Ecclefechan, de Hugh Miller à Cromarty, toujours en Écosse, celle de Samuel Butler Yeats en Irlande à Ballylee, dans le comté de Galway. Il poursuivit son voyage par la France, les maisons de Montaigne, de Buffon à Montbard en Bourgogne, de Montesquieu à La Brède, de Hugo à Guernesey, de Loti à Rochefort et de Renan à Tréguier. Il passa ensuite au Danemark pour évoquer la maison de Kierkegaard, aux États-Unis pour celles de Walt Whitman à Camden dans le New Jersey et d’Henry Thoreau à Concord, enfin au Japon pour la maison de Basho à Tokyo. Il termina par sa propre maison, située en Bretagne, qu’il présenta comme le refuge de l’écrivain en exil dans le monde et comme lieu d’isolement et de concentration favorables à l’écriture.

A l’occasion de ce tour du monde, Kenneth White compara la fonction de ces maisons dans les diverses cultures et selon les contextes historiques. Au Japon par exemple, il n’y a ni musée, ni trace littéraires, au contraire des autres pays qui, à des degrés variés, honorent leurs écrivains.

Kenneth White conclut par quelques pistes de réflexion. L’idéal serait de laisser la maison en l’état, mais cela dépend de la situation économique et de l’état d’esprit de la famille. Il se dit persuadé de la valeur de ces maisons : « si on arrive à les concevoir comme des foyers d’énergie, comme des lieux d’inspiration, on pourrait peut-être commencer à les intégrer dans un champ culturel vivant, vivifiant ».

L’état des lieux

L’après-midi, furent abordés trois thèmes forts : l’état des lieux, les fonds, les publics. La grande diversité des statuts des maisons d’écrivains apparaît plus comme une richesse que comme une difficulté.

Les conservateurs professionnels soulignèrent que la fragilité inhérente aux associations doit être compensée par une clause de dévolution des biens en cas de dissolution, afin que les objets et les documents propriétés de l’association ne puissent en aucun cas être dispersés, mais remis, par exemple, à une institution.

L’autre solution proposée cherche à régler les relations avec une collectivité territoriale, en s’appuyant sur une convention qui précise les liens et les échanges de prestations entre l’association et la collectivité. Le rôle de l’État fut rappelé : la maison d’écrivain peut acquérir un statut de musée contrôlé, peut être classée monument historique ou inscrite à l’inventaire supplémentaire. Les besoins de formation furent clairement précisés, que ce soit pour l’accueil ou pour la présentation ou la conservation des collections. Georges Poisson s’engagea à travailler à la mise sur pied d’une fédération, susceptible de créer un lien entre tous.

Les fonds et les publics

La diversité des fonds fut interprétée en termes de complémentarité et de coopération. Le groupe lista les différents acteurs : les héritiers pour qui se pose la lancinante question du droit moral, les bibliothèques, les centres de recherche universitaires, les associations d’amis d’écrivain. On insista sur la nécessité de l’inventaire de l’existant, documents et objets, afin de faciliter le travail des chercheurs. Ce recensement, le plus large possible, devrait être placé sous la responsabilité du ministère de la Culture et accessible sur Internet.

Comment gagner des publics nouveaux ? Malgré les observations d’une professionnelle du tourisme qui attira l’attention sur la modestie du chiffre annuel des visiteurs dans la quinzaine de maisons d’écrivains de la région Centre – 100 000 –, alors que le château de Chenonceaux reçoit à lui seul 800 000 visiteurs, les participants ne se démobilisèrent pas. Le public à conquérir fut classé en deux catégories : les adultes et les scolaires. Chez les premiers, on distingue les individuels et les groupes, constitués de comités d’entreprises, du troisième âge, et des « autocaristes » qui organisent des voyages à thème. Pour les scolaires, on cita les classes « patrimoine littéraire », susceptibles d’intéresser d’abord les jeunes, mais aussi indirectement les parents.

On se demanda en quoi les maisons d’écrivains pouvaient susciter une relation renouvelée à la création et à l’écriture. On souhaita la réalisation d’un état des lieux détaillant les activités proposées, suggérant des thèmes des visites ; on souhaita la publication d’outils de promotion tels que le Guide bleu littéraire (réédition annoncée), la liste des classes « patrimoine littéraire ». La région a semblé à tous le bon échelon pour organiser un réseau s’appuyant sur un fléchage efficace. Les responsables de maisons ont exprimé l’espoir de monter des projets communs.

L’accueil offert par le département du Cher, par la ville de Bourges, puis la qualité de la visite de l’école d’épineuil-le-Fleuriel montrent que les conditions sont réunies qui permettent à des projets nationaux de naître et de se développer dans cette région. Les organisateurs qui se sont réunis pour un premier bilan ont déjà indiqué leur souhait de tenir une réunion nationale à Bourges, du 5 au 7 décembre 1997.