Désherber en bibliothèque
manuel pratique de révision des collections
Françoise Gaudet
Claudine Lieber
« Également éprouvants sont les métiers de conservateurs et de révolutionnaires car, dans les deux cas, la difficulté est de savoir que détruire et que conserver ». Cette citation d'Alfred Sauvy, rappelée dans l'ouvrage de Claudine Lieber et Françoise Gaudet, montre bien combien est difficile l'exercice auquel se sont livrés les auteurs. Connues pour avoir publié le premier manuel pratique de « désherbage » issu de leur réflexion et de leur pratique à la Bibliothèque publique d'information 1, Claudine Lieber et Françoise Gaudet ont repris et élargi leur réflexion et leur méthode, l'étendant à un véritable manuel de révision des collections, avec la collaboration d'experts dans différents domaines.
Un véritable manuel
Les onze chapitres qui composent ce volume peuvent être articulés fonctionnellement en trois parties, non explicitées dans l'ouvrage. La première partie est constituée des six premiers chapitres, rédigés par Françoise Gaudet et Claudine Lieber : c'est là le véritable manuel du désherbage (retrait raisonné de documents jugés inadéquats dans une collection), remarquablement clair et explicite. Les auteurs proposent de resituer la révision des collections dans le cadre plus général d'une politique d'acquisition, et également d'une politique de conservation. On notera un effort de terminologie, dont on peut espérer que les définitions se retrouveront dans la littérature professionnelle et les documents officiels (il est navrant de constater que trop souvent les efforts terminologiques sont délaissés au profit d'expressions traditionnelles généralement empreintes d'approximations).
Par ailleurs, les objectifs comme les critères du désherbage sont passés en revue, avec un grand souci de synthèse et de clarté, aboutissant à la conclusion que cette opération d'élimination relève d'un acte de choix volontariste. Les différentes étapes préliminaires au désherbage proprement dit, et le déroulement de celui-ci, sont ensuite précisément décrits, et un chapitre est consacré aux problèmes spécifiques posés par les différents supports. Enfin, les conséquences du désherbage sont clairement rappelées : relégation, élimination, don, etc., mais aussi remise à niveau du fonds.
Le contexte du désherbage
Une seconde partie aborde en trois chapitres des questions importantes liées au contexte du désherbage. Hubert Dupuy évoque les bibliothèques de dépôt et réserves centrales, passant en revue les organismes, mais aussi les procédures de stockage ; Henri Comte fait un point très précieux sur les questions juridiques de domanialité ; l'article de Jean-Marie Arnoult sur la conservation et la substitution aurait quant à lui gagné à s'articuler davantage avec les préoccupations de l'ouvrage, quitte à renvoyer, pour les techniques, au remarquable ouvrage (non cité dans l'article) sur la conservation, publié chez le même éditeur 2.
Enfin, deux chapitres clôturent l'ouvrage. Le premier, rédigé par Françoise Gaudet et Claudine Lieber, présente une enquête très détaillée sur l'état de l'art dans différents types de bibliothèques en France : plus qu'une description, ce chapitre est l'occasion de proposer dans plusieurs encadrés des exemples de « règlements de désherbage » élaborés par différentes bibliothèques ou institutions, et de souligner avec force qu'un désherbage intelligent exige à terme une concertation, pour une conservation raisonnée et partagée. Le second, écrit par Viviane Ezratty et Françoise Lévêque, analyse les nécessités de conservation de la littérature pour la jeunesse. On aurait souhaité que ce chapitre, fort intéressant comme plaidoyer pour une conservation nécessaire de la mémoire de l'édition en ce domaine, s'étende davantage sur les critères et objectifs de l'élimination dans les sections jeunesse des bibliothèques publiques.
Ouvrage très riche donc, qui s'inscrit dans un courant fort de la pensée bibliothéconomique contemporaine, attentif à une vision compréhensive de la collection. Celle-ci n'est le coeur de la bibliothèque qu'au sens où elle vit et se renouvelle, à la croisée du savoir pérenne et de l'usage réel ou souhaité, de la collectivité et des publics. Le désherbage apparaît véritablement comme une opération centrale et essentielle, au-delà des acquisitions, car « on s'interroge ici sur le devenir de documents qui ont déjà été soumis à l'appréciation du public ».
Un retrait du libre accès
Cet ouvrage ne peut donc en aucun cas être considéré comme un livre de recettes, mais comme un outil qui devra se nourrir d'autres réflexions, lectures et surtout mises en pratique. Les lacunes qu'on peut relever ne sont d'ailleurs pas imputables aux auteurs, mais à l'état de l'art.
Les auteurs ont pris le parti d'envisager le désherbage comme un retrait du libre accès. Cette option présente l'avantage d'une opérationnalité immédiate, mais on peut regretter que seuls les mouvements du prêt aient fait l'objet de modèles d'évaluation des collections (même si le comptage des autres formes de transaction reste encore embryonnaire, celles-ci sont en grande augmentation aujourd'hui), et que la nécessité du désherbage des magasins locaux de relégation eux-mêmes ne soit évoquée qu'en une ou deux lignes. On aurait aimé aussi approfondir quelques questions : si le désherbage aboutit à une relégation et non à une élimination, quelle remise à niveau faut-il effectuer et selon quels critères ?
Si un guide de désherbage des romans est ardu à concevoir, ne pourrait-on pas analyser des expériences s'il y en a ? Si une élimination est difficile à concevoir au sein d'un fonds homogène historiquement constitué, à partir de quels critères peut-on distinguer ce fonds des collections courantes ? Encore une fois, on ne saurait tenir rigueur aux deux auteurs principaux, dont la conviction anime ce livre, de n'avoir pas répondu à ces questions qui réclament un débat approfondi.
On leur saura gré au contraire d'avoir su proposer un ouvrage qui allie la réflexion et la méthodologie, la clarté et la rigueur ; comme le souligne Michel Melot dans la préface : « Certains pensent que le circuit du livre s'achève avec sa mise en rayon. Ce livre les convaincra, j'espère, que, pour un bon bibliothécaire, c'est alors que tout commence ».