Accueillir, orienter, informer

l'organisation des services aux publics dans les bibliothèques

par Marie-Hélène Kœnig

Bertrand Calenge

Paris : Éd. du Cercle de la librairie, 1996. 129 p. ; 24 cm. (Collection Bibliothèques). isbn 2-7654-0625-1. 250 F

Penser et agir la bibliothéconomie autrement, voilà bien l'apport de Bertrand Calenge dans son dernier ouvrage Accueillir, orienter, informer. Autrement, c'est-à-dire en assimilant pleinement la notion de service dans le système que représente la bibliothèque.

Il semblerait que l'on n'ait plus le choix. Malgré les fractures de notre société de consommation, les besoins d'information s'amplifient sous l'effet des nouvelles technologies et les utilisateurs exigent la personnalisation des services qu'on leur rend. Dans ce contexte, la bibliothèque devrait désormais se concevoir dans un processus de servuction et non plus de production. La servuction est « la création de services qui insiste sur le côté immatériel du service avec une forte implication du client placé au coeur de la prestation ».

On en voit immédiatement l'intérêt : la bibliothèque n'est plus un espace de stockage, mais un espace d'usages, « un gisement ouvert rendu intelligent et actif par les bibliothécaires et avec le public ».

Dans cette nouvelle conception, la bibliothèque s'organise alors autour de trois principes : accueillir, orienter, informer. « Accueillir comme cueillir le public là où il se trouve, orienter comme guider, informer comme finalité essentielle des bibliothèques et donc comme aboutissement d'un processus de services ».

Un modèle limpide

Limpide, le modèle proposé par Bertrand Calenge fonctionne, avec trois idées forces : c'est l'information dynamique qui sous-tend le fonctionnement du système, activée par le bibliothécaire et le public ; le « service de référence » permet d'apporter une réponse personnalisée à une demande explicite d'information documentaire ou de documentation. Cela peut être un service de renseignement, un service d'information ou un service de recherche documentaire ; dans sa polysémie, le service doit s'entendre essentiellement comme un état d'esprit, « comme exigence dans la tension entre la demande du public et la volonté de lui répondre efficacement ».

A partir de là, la question de fond de la compatibilité des services personnalisés avec la mission de service public trouve une résolution : le service public n'est pas dévoyé par les services personnalisés, il est éclairé et valorisé par ces prestations élaborées en connaissance de cause par le bibliothécaire.

Cela implique, comme l'évoque adroitement l'auteur, que le bibliothécaire « s'assume » en tant qu'acteur responsable dans le système, certes citoyen au service d'autres citoyens, mais capable de choix, exclusifs par définition. La nature de la relation entre le bibliothécaire et l'utilisateur en est changée : elle devient une association pour une utilisation intelligente de la bibliothèque.

Tiraillé au sein d'un système en déséquilibre sous la pression des tutelles et des utilisateurs, le service reconfirme l'identité du bibliothécaire en lui donnant des directions d'action : la gestion du processus de servuction ; la gestion des compétences « au service des services » ; la capacité à organiser l'information en fonction des publics, des usages prévisibles et des usages souhaités.

Des questions bibliothéconomiquement universelles

Bertrand Calenge a centré son propos sur les bibliothèques publiques, mais les questions qu'il pose sont « bibliothéconomiquement universelles ». Bien écrit, émaillé d'exemples concrets tirés de bibliothèques de toutes tailles, cet ouvrage propose un ensemble d'outils et de grilles d'analyse immédiatement utilisables. On peut noter, en particulier, une méthodologie destinée à bâtir un système de services sur la base d'une prestation individualisée, qui se décline dans les trois fonctions-titres. Des mini-études de cas sont même proposées pour montrer que tout peut être formulé en « question de service » puisque c'est un état d'esprit... ! - aussi bien la place de la poésie dans la bibliothèque que l'ouverture dominicale ou encore la prise en compte d'une population ouvrière. Sont également évoquées les questions d'évaluation. Une bibliographie importante clôt le volume.

L'intérêt majeur de cet ouvrage est de proposer une approche globale et une mise en cohérence de l'ensemble des activités bibliothéconomiques que le quotidien professionnel fragmente. Grâce à une approche systémique, éclairée par la sociologie des organisations (l'acteur et le système) et à l'assimilation intelligente du marketing, de l'analyse de la valeur et de la gestion de projet, cette mise en perspective renouvelle totalement la question bibliothéconomique en redonnant au bibliothécaire sa place et sa responsabilité.

Les limites sont celles de ce type d'exercice : la globalisation se fait parfois aux dépens de certains points que l'on aurait aimé voir développer ou même traiter, le positionnement des centres de documentation par exemple, tant il est vrai que le modèle proposé ne nécessiterait que peu d'adaptation pour fonctionner dans la sphère de la documentation. De même, l'évolution identitaire, car l'on devine que se profile désormais un professionnel de l'information comme dans la culture anglo-saxonne, qui dépasse les di- ou trichotomies bibliothécaire/documentaliste/archiviste franco-françaises.

Emporté par la lecture, on a pu également regretter l'absence d'illustrations du propos sur l'orientation et la signalétique. Mais l'auteur a pris soin de laisser des portes ouvertes, jusqu'à suggérer des sujets de recherche bibliothéconomique.

C'est bien là la gageure (réussie) de Bertrand Calenge. Accueillir, orienter, informer figurera aussi bien sur la table de chevet du bibliothécaire que dans la bibliothèque des centres de formation professionnelle. De quoi calmer les angoisses de fin de millénaire.